Interview d’Antonio Barroso, fondateur d’Anadir : “Je suis à la recherche de mes origines”

A presque 42 ans, Antonio Barroso a abandonné son emploi dans l’immobilier et travaille sans relâche depuis trois ans pour une cause personnelle qu’il partage avec quelques 300.000 Espagnols, victimes d’un trafic présumé d’enfants adoptés illégalement des années 1960 aux années 1990 : la recherche de ses origines. L’homme est débordé : l’association Anadir qu’il a fondée vient de déposer une plainte devant le parquet général de l’Etat pour rétablir la vérité sur ce scandale national. Sans transition, il passe de l’espoir au doute, de la conviction à l’étonnement. Interview.

Rézo : Quels sont les résultats de la plainte qu’Anadir (Association nationale des victimes d’adoptions illégales), que tu as fondée pour rétablir la vérité sur le cas des enfants adoptés à leur insu, a lancée le 27 janvier ?

Antonio Barroso : Et bien, nous avons pour l’instant obtenu du procureur de la république qu’il lance une enquête nationale sur les vols présumés de bébés nés entre 1950 et 1980. Nous avons créé une banque d’ADN, un de mères, l’autre d’enfants, et nous espérons qu’il va pouvoir retrouver nos familles biologiques et faire payer les coupables pour eux.

R : Vous pensez que l’enquête sera longue ?

A.B : Très longue oui ! De nombreux hôpitaux et cliniques vont être passés au peigne fin pour savoir quel a été leur rôle dans le trafic d’enfants volés qui a eu lieu jusque dans les années 1990. A l’heure actuelle, nous avons déposé 300 plaintes, mais beaucoup d’autres voix de victimes vont se rajouter au fur et à mesure de l’avancée de l’enquête. Tout cela pourrait s’étendre sur un an, deux voire plus que ça. C’est une affaire incroyable et les Espagnols doivent enfin connaître toute la vérité sur ce drame.

R : Emilio Silva, le président de la Fondation pour la Récupération de la Mémoire Historique (FRMH), situe le présumé trafic d’enfants débuté dans les années 1940 dans le contexte du régime franquiste. Il évoque le rôle du psychiatre militaire Antonio Vallejo-Nájera qui voulait « éradiquer le gène marxiste » et considère qu’il s’agissait avant tout d’un projet idéologique. Anadir refuse à l’inverse de revenir sur l’aspect idéologique dans sa plainte…

A.B : Ça n’a strictement rien à voir avec le franquisme ! Il s’est agit avant tout d’un commerce juteux entre des médecins, des religieuses assistantes sociales, aidés peut-être de fonctionnaires du registre civil. Tout cela n’a rien d’idéologique. On parle d’autre chose que du franquisme, qui est loin dans le passé. Beaucoup de vols d’enfants ont eu lieu dans les années 1990. Certains cas ont même eu lieu en 2009, et aujourd’hui, des gens continuent de vivre dans le déni de leur identité.

R : Vous avez accueilli beaucoup de ces individus qui, comme vous, ont découvert la vérité sur leur adoption à l’âge adulte, ou de mères qui ont découvert que leur enfant, malgré ce qu’on leur a dit à l’hôpital, était encore en vie. Comment réagit-on à cette nouvelle ?

A.B : Par la perte de repères tout d’abord. Tout ce qu’on pensait être vrai est en réalité un tissu de mensonge. Au final, on nous a volé notre liberté. Tout ce qui faisait notre identité, ce qui nous rendait libre – l’éducation de nos parents, les valeurs qu’ils nous ont inculquées – nous a été retiré, et on se retrouve sans rien. Comment peut-on faire ça à des gens ? Je ne comprends pas comment une telle chose a pu se produire dans un pays soi-disant moderne comme l’Espagne.

R : Quand vous avez découvert que ceux que vous pensiez être vos parents avaient payé pour vous adopter, vous ne vous attendiez pas à ce qu’autant de personnes soient dans votre cas… A cette ampleur, les hautes sphères de l’Etat pourraient-elles être impliquées ?

A.B : Non, je n’aurais jamais imaginé qu’autant de gens aient vécu le même drame que moi. C’est incroyable ! En même temps, je ne pense pas que des politiques soient impliqués. Par contre, de nombreuses personnalités puissantes ont trempé dans l’affaire. Par exemple, le docteur Vela qui dirigeait la clinique San Ramón d’où émanent beaucoup de plaintes d’adoption irrégulières, était lié d’amitié avec le procureur madrilène de l’époque. Tous ces individus qui ont participé au trafic n’ont jamais été poursuivis. Avec Anadir, nous jouons la carte de l’union des forces pour faire inculper ceux qui peuvent encore l’être.

R : Vous mettez donc 100% de votre énergie dans le combat d’Anadir… Financièrement, vous y gagner quelque chose?

A.B : Pas du tout ! Nous ne recevons aucune aide de quiconque ! Je dois assumer tous les frais, des factures de téléphone de 200 euros par mois au papier de la photocopieuse, en passant par le loyer du local que nous louons. D’ailleurs, nous devons vite trouver des fonds, c’est impossible de continuer ainsi. Il faudrait pouvoir payer une secrétaire, employer d’autres personnes pour nous venir en aide, parce que tout seul, ça va un temps, mais… Sur le site d’Anadir, nous avons publié le numéro de compte de l’association pour ceux qui veulent nous soutenir. Mais pour être franc, en un an, nous avons reçu 300 euros, à peine de quoi régler la facture téléphonique mensuelle… Nous avons besoin de soutien !

R : Est-ce que l’association que vous avez fondée vous procure un nouveau d’appartenance ?

A.B : Non. J’en suis toujours au même point qu’il y a quatre ans. Je suis toujours dans le même état de choc et d’incompréhension. Je suis à la recherche de mes origines. Tant que je ne saurais pas qui sont mes vrais parents, je continuerai à vivre dans le déni.

Pour aller plus loin :

  • anadir.es : le site de l’association Anadir. Vous pouvez y faire une donation et suivre l’actualité de la plainte.
  • « La fábrica de bebés ». Reportage de la chaîne Antena 3, produit par El Mundo TV – à retrouver sur You Tube – revient sur le trafic présumé d’enfants à Madrid il y a trente ans, avec des informations exclusives.

Article publié initialement sur Rézo, magazine des francophones d’Espagne

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