Immigration journalism award 2017

Parler d’immigration, c’est parler de survie. Surtout quand on est en Afrique de l’Est, le berceau des Homo Sapiens -nous-, qui n’ont cessé de coloniser la planète en quête de ressources et de terres nouvelles. Le meilleur moyen de raconter ce phénomène, c’est encore de marcher. C’est ce que fait le journaliste Paul Salopek du magazine National Geographic depuis 2013, depuis l’Afrique de l’Est jusqu’en Terre de feu argentine.

Maison éphémère de réfugiés perpétuels au Somaliland – crédit : Emmanuel Haddad

Plus modestement, la photographe canadienne Adrienne Surprenant et moi-même sommes partis à la rencontre des migrants contemporains de la Corne de l’Afrique, migrants forcés victimes de conflits politiques, religieux, de dérèglements climatiques provoqués par l’homme, qui changent l’herbe en sable, affament les bêtes et ruinent les pasteurs nomades. Difficile d’imaginer endroit plus désolé qu’un camp de réfugiés et déplacés installé sur les hauteurs désertiques d’Hargeisa, la capitale du Somaliland. Là, à notre grande surprise, nous avons rencontré de nombreuses personnes qui se sentaient en sécurité. Pauvres, malades souvent, mais avec derrière leurs yeux la mémoire des guerres éthiopienne, somalienne et yéménite qui ont trop de fois menacé leur vie pour qu’ils n’en apprécient pas la juste valeur. Notre travail a été récompensé en 2017 par le prix Immigration journalism de la French-American Foundation. En voici un extrait.

Somaliland, terre de déplacés de guerre

Balancés d’un conflit à l’autre, des milliers de Somaliens, d’Ethiopiens et de Yéménites finissent par s’échouer au Somaliland, pays en devenir dont les habitants sont eux-mêmes de récents déplacés de guerre. Là, ils survivent dans une paix teintée de dénuement.

Sahra Abdullay se devait de sauver ses six enfants encore en vie. A Mogadiscio, la milice islamiste Al-Shabbaab gonflait ses troupes en recrutant des mineurs pour en faire de la chair à attentat-suicide. Et en avoir perdu deux lui semblait un tribut suffisant à leur djihad insensé.

En 2013, son fils aîné avait été kidnappé par les shebabs. Il était pourtant parvenu à leur échapper et à se cacher chez sa soeur. Mais, les islamistes somaliens l’ont retrouvé et abattu d’une balle dans la tête. Sa sœur aussi, qui portait en elle un germe de vie sur le point d’éclore.

Avoir traversé 1’500 km pour trouver refuge dans le camp de déplacés de Nasahablod, au Somaliland, n’a pourtant pas suffi à apaiser la crainte qui ronge la matriarche quand elle songe à l’avenir de ses enfants.

Chaque matin, elle les regarde quitter la hutte familiale, un taudis dressé sur des palis de bois et recouvert de tôle, de bouts de bâches et de tissus divers, pour aller cirer les chaussures des habitants d’Hargeisa.

«J’ai honte. Pour eux. Et pour moi aussi. J’étais enseignante à Mogadiscio, ça me fait mal de devoir frapper aux portes pour proposer de faire le nettoyage», confesse la quinquagénaire d’une voix contrite.

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