Niger : « Et pour le hip hop je développe…. »

C’est un univers inconnu, fait de constellations aux noms étranges pour une oreille inaccoutumée : WassWong, Djoro G, Wassika, Wongari, Enyonam, Jhonel. La fièvre du hip hop est passé dans le sang des Nigériens comme une bonne montée de palu: un coup de sang intense, incontrôlable, et, si on ne souhaite pas se soigner, ça fait planer pour un long moment. Les jeunes nigériens ont décidé de laisser monter la température. Dès 1994, les groupes Wassika, Massacreur et Lakal Kaney se mettent à rapper sur des face B de cassettes. Tout ce qui leur tombe sous la main. L’heure est à l’expérimentation, à la recherche de l’essence du hip hop nigérien. Presque vingt ans plus tard, je tombe nez à nez avec les pionniers du mouvement sur le sable rouge et chaud de Niamey. La température n’est pas redescendue, il y a juste eu une baisse de tension pendant quelques années. J’ai suivi ces jeunes pendant plusieurs semaines et j’ai voulu raconter leur obstination à réussir, leur passion pour le hip hop, leur créativité et leur esprit de débrouille, avec les déboires, les erreurs de parcours et le manque de soutien institutionnel qui font que le hip hop nigérien reste encore plein d’espoir et de coups à jouer.

Le deuxième article, publié sur Jeune Afrique, est court et incomplet. Il a suscité pas mal de colère au Niger, où on me reproche d’avoir balancé le mouvement aux ordures en parlant de problèmes d’argent alors que le problème est qu’ils n’en avaient jamais eu. A Niamey, chaque rappeur incarne une opinion sur les causes de la perte de vitesse du mouvement dans les années 2000, après avoir monté en flèche à la fin des années 1990. Difficile de résumer ces combats d’interprétation en 4000 signes destinés à un public à l’oreille inaccoutumée. C’est vrai, l’article de Jeune Afrique est court et incomplet, c’est autant la responsabilité du journaliste que les contraintes du média, mais un article fleuve va bientôt pleuvoir sur le magazine de web-reportage The Ground pour compléter l’histoire et revenir plus en détail sur la vie des rappeurs nigériens.

Les nouveaux griots d’Afrique de l’Ouest

De Niamey à Ouagadougou, la scène hip hop émergente est freinée par le manque de moyens. C’est aussi ce qui fait son authenticité et sa force. Reportage au Festival Waga Hip Hop 2012, qui s’est tenu début octobre dans la capitale du Burkina Faso.

« Dans mes slams, je parle beaucoup des jeunes Africains. On a l’impression que le temps s’est arrêté parce qu’on ne bouge pas; les jeunes espèrent mais ne font rien pour que les choses changent. » A Niamey, capitale du Niger – pays en queue de classement du rapport des Nations Unies sur l’indice de développement en 2009 –, la jeunesse est perfusée à l’économie informelle, et l’attentisme domine sur les chemins de latérite brûlants qui maillent le centre-ville. Alors Jhonel, le slammeur nigérien le plus en vue du moment, a fait de l’hyperactivité son mode de survie: à peine close la première édition du Festival international de slam et humour qu’il a organisé dans la capitale du 4 au 7 octobre, voilà le jeune homme de 29 ans au corps frêle déjà reparti slammer au Festival Waga Hip Hop, au Burkina Faso voisin. Vu du Niger, un pays de 16,2 millions d’habitants– dont 80% vivent sous le seuil de pauvreté – où les studios d’enregistrements se comptent sur les doigts de la main et les labels hip hop sont chimériques, le festival organisé à Ouagadougou est une terre promise. Depuis douze ans, l’association Umané Culture, à l’origine du festival, attire les artistes de rue les plus en vue d’Afrique de l’Ouest. Au fil des éditions, l’évènement est devenu une plate-forme pour la scène locale, grâce à ses résidences d’artistes et ses cafés-concerts gratuits, tandis que ses ateliers de slam et de breakdance permettent de dénicher les futurs talents. C’est donc rempli d’espoir que le 9 octobre à quatre heures du matin, Izo, membre du groupe de rap nigérien Enyonam et ami de Jhonel, s’est embarqué dans le bus Niamey-Ouagadougou pour un trajet de 12 heures, après avoir fourré plusieurs albums autoproduits dans sa besace. «Je vais les distribuer aux producteurs du festival et aux managers qui seront présents», explique le trentenaire jovial, qui n’a pu réunir la somme pour le voyage qu’au dernier moment.

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Le hip hop ne nourrit pas

Mais les deux Nigériens ne sont pas les seuls à compter sur le festival pour booster leur carrière: autour du Centre culturel français (CCF) de Ouagadougou, hôte du festival, de nombreux jeunes musiciens du pays espèrent que l’histoire de Victor Démé – chanteur burkinabé repéré au Waga Hip Hop et depuis en tournée dans les festivals du monde entier – se répète avec eux.

En attendant, il faut bouger car, sauf exception, le hip hop ne nourrit pas. «Certains rappeurs, comme Yeleen, Faso Kombat ou Smokey, ont réussi à tirer leur épingle du jeu. Mais dans la majeure partie des cas, il faut trouver des activités parallèles pour subvenir aux besoins quotidiens. Seuls les festivals permettent de gagner quelque chose, car vendre des disques ne marche pas dans un pays où la population a le choix entre acheter ton album ou manger», explique Hamidou, alias Valian, slammeur burkinabé invité au Waga Hip Hop 2012. «De mon côté, je donne des cours de mathématiques. » Alors pendant que Solo vend des t-shirts ornés d’un portrait de Thomas Sankara – homme politique burkinabé révolutionnaire, assassiné le 15 octobre 1987 – à la sortie du CCF où il doit se produire avec son groupe Akili Gnouma, d’autres marchandent des objets artisanaux pour financer les maquettes qui leurs permettront peut-être d’être repérés par un producteur européen. Alors que les compilations d’artistes du pays sont réalisées en France, tous les artistes ont les yeux tournés vers l’Europe.

En 2011, des émeutes juvéniles consécutives à la mort du jeune lycéen Justin Zongo – provoquée par les sévices des autorités locales – avaient révélé au monde entier la frustration des jeunes burkinabé. Un an plus tard, «la jeunesse est toujours dans la misère», estime le responsable de l’Association nationale des étudiants à Koudougou, sur Radio France Internationale (RFI). Et si le manque de perspectives qui pousse les jeunes vers la débrouille de la rue était aussi le germe d’une scène hip hop en ébullition? «On vient d’un milieu loin d’être aisé, nos conditions de vie sont dures. Notre colère emmagasinée, on aurait pu l’exprimer d’une façon violente, mais l’art est là pour canaliser cette fougue, cette énergie et cette rage. Tout ce qu’on vit au quotidien en termes d’injustice sociale nous interpelle et c’est de là que l’inspiration vient», explique Hamidou, qui est passé du rap au slam et considère que les deux font partie de la même famille: «Les gens ont tendance à opposer les deux, mais pour moi, la base des deux est l’écriture. Après, chacun s’exprime comme il le sent.»

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Les ancêtre des slameurs 

Sur la scène du Waga Hip Hop, le 9 octobre, Jhonel, Hamidou et les autres slammeurs invités se sont donc succédés sur scène avec des textes ayant trait à l’avenir de leur génération, mais aussi à la pauvreté infantile, aux droits des femmes, à l’aliénation du continent africain, voire à l’amour, le tout empreint d’humour » et de jeux de mots bien placés. Certains slammaient en français, d’autres dans l’une des nombreuses langues locales du Burkina (mooré, dioula…), du Niger (yerma, haoussa) ou du Togo. La variété des thèmes abordés par le slam montre que la colère juvénile n’est pas son seul carburant.

De l’avis de Jhonel, le slam, «cette manière de donner corps et âme à un texte», prolonge la tradition orale ancrée dans la culture africaine: «Nos griots font en quelque sorte du slam, même sans le savoir. Je me souviens encore quand j’avais neuf ans, dès qu’il y avait un message à passer, on les voyait arriver dans les villages dans un bruit de tam-tam et on se retrouvait tous pour les écouter. Aujourd’hui, beaucoup de Nigériens pensent que le slam est né au Niger car en m’écoutant, ils retrouvent l’attitude du griot. D’ailleurs, même si le slam vient des Etats-Unis et d’Europe, je pense que cette manière de donner corps et âme à un texte est aussi inspirée des coutumes d’Afrique de l’Ouest», dit le slammeur nigérien avant de partir distribuer ses disques à la sortie du concert.

De la rue à l’école

Le slam, «c’est comme le beurre de karité. On le retrouve dans des crèmes hors de prix en Europe tandis qu’ici, il pourrit sur les étals des marchés. On cherche les origines du slam hors de nos frontières, alors qu’il est né en Afrique», abondait plus tôt Jacques Prosper Basié, poète et écrivain, lors du débat «Le slam, une nouvelle forme d’éducation?» Ce conseiller technique au Ministère des Arts et de la Culture burkinabé y a même proposé, à l’unisson avec le poète burkinabé Da Léon, d’intégrer le slam à l’école. «Ce serait un moyen d’apprendre à l’enfant à s’exprimer. La place du slam, c’est la place qu’on souhaite donner à la parole dans nos vies», a affirmé Da Léon, également conseiller au Centre national des arts et de l’audiovisuel (CENASA).

En attendant de voir des élèves déclamer leurs propres textes à côté de ceux des grands poètes africains, les apprentis slammeurs se réunissent chaque année sous la paillote du CCF pour la semaine d’atelier slam organisée par le Waga Hip Hop. Une fois intégrés les conseils de Jhonel ou du slammeur burkinabé Ombr Blanch, ils se lèvent chacun leur tour pour déclamer les poésies griffonnées dans leur chambre. «J’ai découvert le slam lors de l’atelier du festival en 2006. Ce fût un engouement pour tous les gens qui écrivaient des poèmes et cherchaient une opportunité de les partager. En plus, il n’y a pas de barrière musicale, tout le monde peut déclamer un texte, ce qui n’est pas si simple dans le rap», explique Ouattara, un jeune participant à l’atelier. Chaque année, le slam est un peu plus pris au sérieux au Pays des hommes intègres: «Il y a encore trois ans, quand je disais ‘je fais du slam’, on me répondait ‘quoi, l’islam?’ Grâce aux ateliers organisés au Waga hip hop tous les ans, ce genre de réflexion devient rare. Depuis septembre, la Ligue de slam africain est sur pied, avec des artistes de toute l’Afrique de l’Ouest, de Fatal Slam au Cameroun à Siroco, au Gabon, en passant par Jhonel au Niger», se félicite Ombr Blanch, président de la Ligue.

Crédit photo : Emmanuel Haddad

La volonté comme seul budget 

A partir de l’exemple burkinabé, Jhonel a eu l’idée de reproduire des ateliers slam à Niamey. En marge du Festival international de slam et humour, il a monté des ateliers un peu particuliers, les apprentis slammeurs étant des jeunes souffrant de handicap moteur. Leurs textes ont tourné autour du thème «Appelle-moi par mon nom», «car au Niger, les gens appellent ces personnes par leur handicap», explique Jhonel, de retour de Ouagadougou. Si le slam peut faire changer les mentalités sur le handicap, ce griot contemporain est lui aussi persuadé qu’il peut devenir un outil pédagogique dans les écoles de Niamey: «Je suis en contact avec 40 classes de collège pour faire des sessions slam de deux mois avec les élèves», sourit-il, courant d’un rendez-vous à l’autre. Mais pour Jhonel comme pour Ombr Blanch, l’ambition précède les fonds. «C’est la Ligue africaine de slam qui a financé la soirée slam au Waga Hip Hop. J’ai même dû mettre de ma poche et appeler ma petite soeur pour gérer la billetterie», regrette Ombr Blanch, malgré le succès de la soirée. Si Jacques Prosper Basié, conseiller au Ministère des Arts et de la Culture, a assisté au débat du festival, ce n’était qu’à titre personnel. Il avoue que son ministère n’est impliqué ni dans le festival, ni dans la Ligue de slam africain. C’est donc encore sur son temps libre et bénévolement qu’Ombr Blanch va prolonger les ateliers slam entamés au Waga Hip Hop. Après trois mois de formation intensive, les tchatcheurs les plus prometteurs se produiront sur la scène principale du CCF.

A Niamey, Jhonel s’est déjà lancé dans les démarches auprès des partenaires pour financer la deuxième édition du Festival international de slam et humour. «Cette année, tous les artistes invités sont venus gratuitement depuis le Burkina, le Togo ou le Mali. J’espère que l’an prochain, je pourrai au moins les payer», songe-t-il. Pauvre et peu soutenue, la famille nombreuse du hip hop en Afrique de l’Ouest n’en est que plus solidaire et déterminée.

A Ouagadougou, le hip hop underground a sa chapelle

Comme tous les soirs du Festival Waga Hip Hop, Charlie, Solo et Bernard attirent le festivalier vers leurs t-shirt représentant Thomas Sankara ou Hailé Sélassié. En vain. Les poches vides, ils jaugent le hip hop africain qui résonne de l’autre côté des grilles du Centre culturel français avec un regard de critique avisé. «Le rap africain n’est pas très développé, avance Solo. La plupart des jeunes burkinabé imitent les rappeurs américains et français. Seuls quelques groupes utilisent les instruments traditionnels qui donnent une couleur africaine au rap. Faso Kombat le fait au Burkina et les Sénégalais Daara J Family, qui se produisent au festival, n’ont pas non plus oublié les rythmes traditionnels de leur pays. Ils rappent en français, en anglais, mais aussi en wolof. Et derrière, on entend la kora, le balafon et les percussions.»

Liturgie rap au Daba

Faso Kombat, Yeleen, Smokey, K-Djoba ou Obscur Jaffar, la plupart des rappeurs qui marchent au Burkina Faso n’ont pas joué au Waga Hip Hop 2012. «Il fallait voir les éditions précédentes. Ça débordait de monde! Cette année, ils invitent Daara J pour la troisième fois alors que tant d’artistes d’ici gagnent à être connus», regrette Charlie sous son bonnet. Mais à l’instar des autres jeunes qui n’ont pas pu se payer le billet d’entrée au festival, il sait où se rendre pour écouter du hip hop. Car jeudi soir, c’est soundsystem au Daba, bar à ciel ouvert dont les murs sont recouverts de graffitis. «Il y en a qui vont prier à la messe le dimanche, nous on va rapper au Daba», prophétise Willy, alias Wendlamita Kouka, le seul rappeur de la scène underground de Ouagadougou à s’être produit au festival. Dans les textes de son album Linge sale, il raille les gens qui l’ont poussé à renoncer au rap sous prétexte qu’il ne gagnerait pas assez d’argent. Cet ancien prof de sport vit désormais du rap et de la peinture et, quand il prend le micro à deux heures du matin au Daba entre deux rappeurs, c’est gratuitement et pour le bonheur du public averti. «Avant le Daba, il y avait le Ouaga Jungle. Tous les rappeurs, slammeurs et autres s’y retrouvaient pour s’exprimer, se rencontrer et s’entraîner. Depuis avril, le Daba a repris le flambeau. C’est un bon moyen pour les jeunes de se dire qu’ils font quelque chose de bien, même s’ils n’arrivent pas à en vivre. On espère bientôt lancer une compilation des meilleurs d’entre eux pour qu’ils puissent se faire connaître», explique Willy. Derrière le Ouaga Jungle, fermé en 2006, le Daba, ouvert en avril dernier, ou encore l’enregistrement de l’album de Wendlamita Kouka, on retrouve Camille Louvel, un Français diplômé de philosophie à Rennes, arrivé au Pays des hommes intègres au début des années 2000. Tombé amoureux de la scène underground du Burkina Faso, ce jeune passionné de hip hop a récemment créé le label Chapa Blues pour en faire briller les meilleures pépites. Du Ouaga Jungle est sorti de l’ombre Obscur Jaffar, du Daba ressort déjà le nom de Wendlamita Kouka. Mais l’existence d’un espace live pour les jeunes talents ne suffit pas. «Même si certains festivals comme Waga Hip Hop mettent les musiciens en relation avec des professionnels, les artistes n’ont pas les moyens de progresser. On bricole. Les studios sont souvent faits avec les moyens du bord. Les pare-brise de camions servent de vitres de séparation. Les studios d’enregistrement se font dans des

studios de répétition. De plus, il n’y a pas de label burkinabé», explique Camille Louvel à RFI. DJ et technicien du son dans tous les concerts du Waga Hip Hop pour sa douzième édition, puis DJ au soundsystem du Daba, le Français s’est rendu indispensable, révélant en creux le vide matériel et humain qui l’entoure.

Gare à ceux qui oublient 

Il est une heure du matin au Daba, Charlie a disparu pour réapparaître sur scène, en duo avec un rappeur venu de Marseille. Sous son bonnet se cachait un MC hors pair. Ici, rap et slam sont restés des exutoires pour mettre en mot et en musique les difficultés de la vie à Ouagadougou. Et gare à ceux qui oublient d’où ils viennent: «Les rappeurs comme Smokey ont oublié que c’est grâce à nous qu’ils sont arrivés là où ils en sont. Faso Kombat fait partie des seuls rappeurs connus qui ont gardé les pieds sur terre», avance Bernard. Mais peu à peu, le hip hop underground se fraie un chemin au Burkina Faso. «Nous aimerions avoir un mot à dire sur la programmation du Waga Hip Hop l’an prochain», sourit Willy. Cela devrait se faire sans anicroche, sachant que cette année, tous les artistes se sont retrouvés samedi soir pour clore le festival par un soundsystem au Daba… Qui s’est prolongé jusqu’à l’heure de la messe dominicale.

Article publié sur le journal indépendant suisse Le Courrier le 24 novembre 2012.


Niger: l’enfant caché du hip hop africain

Diagnostiqué mort et enterré après un boom dans les années 2000, le hip hop nigérien veut redevenir le moyen d’expression privilégié des jeunes. L’association Niger Hip Hop s’apprête à sortir une compilation de ses meilleurs artistes. Reportage à Niamey.

Qui s’en souvient encore ? « En 2003, selon un classement RFI et Africa n°1, le rap nigérien était le quatrième au monde et le deuxième en Afrique, après le Sénégal. Ce classement a donné espoir à beaucoup de gens ici », explique Fred, grand gaillard au visage fermé, dans le studio de Liptako TV, nouvelle chaîne au Niger dédiée à la culture et au sport, où il a troqué la carrière de MC (maître de cérémonie, NDLR) contre celle de directeur technique audiovisuel.

Rapper contre le sida et les talibés

À l’époque, il rappe dans le groupe WassWong, « fusion entre le groupe Wassika (« message » en haoussa) et Wongari (« guerrier » en djerma) ; on était « le message des guerriers » ! Les morceaux étaient vraiment engagés, on parlait du sida, des « talibés », les enfants de la rue, de la mentalité au Niger, où l’on se cache parfois derrière la religion pour faire des choses qu’elle n’ordonne pas », se souvient-il comme d’un âge révolu. Car « les temps changent » pour le rap nigérien comme pour MC Solaar, l’un des premiers rappeurs français à passer en boucle dans les « fadas » (réunions informelles de quartier, NDLR) où les jeunes rêvent de devenir rappeurs en buvant du thé sucré pour tromper l’ennui.

Des années 1990 au début des années 2000, le rap gagne du terrain comme une traînée de poudre, des quartiers Terminus et Plateau de la rive gauche de Niamey au quartier Haro Banda de la rive droite. Et puis rien. Qui a tué le rap nigérien ? Pour Saydou, ex-rappeur d’Haské Clan qui est passé au reggae à l’instar de nombreux artistes, c’est l’argent qui a déchiré les groupes phares de l’époque, de WassWong à Kaïdan Gaskia. Fred y voit plutôt un mélange de religion et de désillusion : « D’abord, Bilal Keats, leader de WassWong, est parti pour se consacrer à l’Islam. Ensuite, les groupes les plus en vue, Black Daps, Djoro G, Kaïdan Gaskia et WassWong, ont créé le collectif Lilwal puis se sont entre-déchirés, ce qui a beaucoup déçu les fans, qui répondaient toujours présent aux concerts, et ont peu à peu perdu la foi ».

Les nouveaux soldats du rap nigérien

Et puis il y a Kamikaz, ancien de Djoro G, seul rappeur qui réussit encore à jouer à guichet fermé. Alors que certains diagnostiquent la fin du rap nigérien, suite à l’échec du collectif Lilwal, il répond par la provocation. Dans « Le rap est mort », avec sa voix de Joey Starr nigérien, il lance : « La culture du rap dérange plein de gens, leur attitude morbide face à ce mouvement provient d’une jalousie rampante ».

Ce titre, adressé aux « soldats du rap », a été écouté… et entendu. Aujourd’hui, Niger Hip Hop, une nouvelle association de rappeurs nigériens à l’esprit F.U.B.U (« For us by us », « par nous et pour nous »), est sur pied. Princesse Tifa, la vice-présidente de l’association, tresses sur le cuir chevelu et tatouage de lion sur le torse, y croit dur comme fer : « Nous nous sommes engagés à toujours acheter les places de concerts des autres artistes et leurs albums », sourit-elle, tandis que le débat est animé pour la sélection des morceaux qui figureront bientôt sur la première compilation de hip hop nigérien. Devant un plat de gnebe, « la bouffe des jeunes du Niger », les rappeurs de Metaphore, Lamine et Lion Sidib, mettent en garde : « Créer une association ne suffit pas en soi ; nous devons commencer à nous projeter à l’international ».

« C’est ça le rap nigérien ! »

Kamikaz, lui, a troqué son micro entre deux enregistrements d’album pour la caméra, afin d’aider les nouveaux talents à se faire connaître. Avec l’émission Hip Hop Live, bientôt diffusée sur Liptako TV, il va filmer les rappeurs dans leur intimité. Moustine sera le premier. Ce fan de Booba, plus rap bling bling que rap conscient, a donc vu Kamikaz, le modèle vivant du rap nigérien, débarquer dans son quartier de Bobiel avec une équipe de télé. Pendant le tournage, derrière la casquette et les lunettes noires du jeune MC, un âne passe et des huttes de paille dépassent. Moustine veut les cacher avec sa voiture, mais son manager l’interrompt : « Laisse, c’est ça le rap nigérien ! »

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Article publié sur Jeune Afrique le  29 novembre 2012.

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