La France, pays des Lumières… importées du Niger

Les décorations de Noël, les vitrines des magasins allumées toute la nuit, les enseignes publicitaires, les grandes villes françaises ont de l’électricité à revendre. La nuit y brille tant qu’on peine à voir les étoiles. Les nuits piquent tant les yeux que les adeptes du « clan du néon » déambulent dans les rues pour éteindre les enseignes de pub allumées 24 sur 24 et opérer leur petit geste révolutionnaire contre la société de consommation. Nous consommerions trop d’électricité par rapport à nos besoins, disent en définitive ces militants. A quoi bon s’imposer des nuits blanches ?

Une interrogation qui échappe aux habitants du Niger. Dans ce pays sahélien, voisin du Mali qui fait tant couler d’encre et use tant les cordes vocales de nos journalistes et de notre ministre de la Défense, les nuits sont noires et bien noires. De la capitale aux villages qui peuplent ce pays de 16 millions d’habitants grand comme deux fois et demi la France, difficile de ne pas s’émerveiller sous le ciel étoilé qui guide les nomades Touareg et Toubou du nord du Niger dans leurs pérégrinations.

Les nomades Touareg, ils connaissent bien la France.  Dans la région d’Agadez où ils font passer leurs caravanes depuis des siècles, la société Areva, détenue à 80% par le capital public français, puisent l’uranium nécessaire à éclairer 30% des néons de l’Hexagone.  Les conditions de travail au sein des mines d’uranium d’Areva se sont nettement améliorées au cours des décennies. La préoccupation pour les effets nocifs de la radioactivité agite de plus en plus les sociétés civiles du monde entier. La société se veut donc rassurante sur l’impact de l’extraction d’uranium sur la santé et l’environnement proche de ses mines au Niger. Leur communication est exemplaire. Areva a une fondation qui finance des écoles, aide à installer de l’électricité dans les quartiers reculés de la ville d’Arlit, située aux pieds des mines d’uranium.

Rien à redire sur ce point. Si ce n’est que dès qu’un organisme qui ne dépend pas du financement de l’entreprise foule le sol d’Arlit, il en ressort avec des échantillons prouvant l’excès d’exposition aux gaz radioactifs subi par ses habitants. Greenpeace, Médecins du Monde, la Criirad, Sherpa, toutes ces ONG sont passées par la région d’Agadez pour scruter les recoins délaissés par la communication d’Areva, interroger les anciens mineurs sur la situation réelle dans les mines, les populations locales sur la propagation de ferrailles contaminées dans l’ensemble de la ville d’Arlit, voire du Niger. Tous ces gens ont des choses à dire. Parfois, confrontés au paradoxe entre un discours rassurant martelé par Areva et les messages alarmistes des ONG, ils ne savent plus sur quel pied danser et se font des films dans leur coin. Sommes-nous malades nous aussi ? Buvons-nous de l’eau contaminée, mangeons-nous du mil radioactif ? Difficile de répondre à ces inquiétudes en niant une vérité désormais reconnue au niveau scientifique et dans la jurisprudence juridique en France : la radioactivité, même à faible dose, peut tuer. Au Niger, la science et la justice sont moins rapides. C’est pourtant dans ce pays qu’Areva puise un tiers de l’uranium nécessaire à alimenter les réacteurs nucléaires français, producteurs de 80% de l’électricité française. Depuis trois mois, j’y découvre les jeux d’ombre et lumière. 

 

Les malades imaginaires de l’uranium

 

Seuls deux cas de maladie liée à la radioactivité ont été reconnus dans les mines d’uranium gérées par Areva. De quoi sont alors morts tant de ses anciens travailleurs? Reportage.

Un local étroit sur un chemin de latérite. A l’intérieur, un bureau, des chaises en plastique et un cintre pour tout mobilier. Le bureau de l’Association des anciens travailleurs des mines et leur famille (Atsmf-Rakkiye) est aussi pauvre que ses membres. Boureima s’y rend à pied, faute de pouvoir se payer la course de taxi. «J’ai travaillé vingt et un ans à la Cominak en tant qu’échantillonneur. Voilà neuf ans que je suis au chômage après un licenciement abusif», raconte le fondateur de l’association, née en 2009. La Cominak, société minière filiale d’Areva créée en 1974 à Arlit, ville de quatre-vingt mille habitants située dans le nord du pays, est l’un des deux principaux points communs entre les anciens travailleurs venus assister à la réunion associative dominicale. L’autre, c’est la maladie.
Islam Mounkaïla, président de l’association et ancien opérateur de fabrication de l’usine de transformation de la Cominak entre 1978 et 1999, arrive en avance, le pas un peu gauche. «Il y a quatre ans, j’ai eu une paralysie, je ne pouvais même plus parler. J’ai peu à peu retrouvé la parole, mais je garde une lourdeur permanente dans le côté droit du corps», explique-t-il, le visage crispé. Derrière lui, un ex-ouvrier, Mamane Sani, le suit en boitant. Celui-ci est resté paralysé d’un côté, un an après son départ de la Cominak. Lui reste en mémoire la méthode expéditive de la prévention sanitaire: «A la Cominak, quand tu rentres, le médecin dit toujours que tu es apte. Mais, dès que tu en sors, tu deviens invalide.»

Crédit photo: Emmanuel Haddad

«On leur cache la vérité»
En adhérant à l’Atsmf, les anciens travailleurs nigériens des mines d’uranium abattent leur dernière carte pour tenter de connaître la vérité sur leur état de santé. Il s’agit des ouvriers de la Somaïr, créée en 1968, et de la Cominak, deux sociétés dont Areva détient la majorité du capital et qui lui permettent d’extraire un tiers de l’uranium nécessaire à faire tourner les cinquante-huit centrales nucléaires françaises. Jusqu’à présent, rien ne prouve officiellement que les maladies dont ils souffrent ont un lien avec leur activité professionnelle: «Depuis 1962, le Centre national de sécurité sociale (CNSS) n’a validé que sept dossiers de maladies professionnelles en provenance des mines d’uranium d’Arlit. Et, sur les sept, seuls deux sont nigériens», affirme Ousmane Zakary, chef du service de réparation du CNSS. Mais, selon lui, cette excellente statistique tient moins à la qualité de la protection sanitaire qu’aux méthodes des médecins locaux, employés d’Areva: «De nombreux ouvriers se plaignent que le médecin de la Cominak leur pose des problèmes pour déclarer que leur maladie est bien d’origine professionnelle. On essaie de leur cacher la vérité sur leur situation de santé.»

«Sujet tabou»
Des risques sanitaires liés aux rayonnements ionisants, la première génération des travailleurs miniers ne sait rien: «Dans une population à 80% illettrée, les gens n’y pensent même pas. Même nous, les agents de santé, n’avions pas d’information à ce sujet. C’était un sujet tabou», se souvient Hamsatou Adamou, sage-femme à Arlit entre 1976 et 1992. Sensibilisé aux questions de sécurité sanitaire en France après vingt ans d’activité à la Somaïr, son mari, aujourd’hui membre de l’Atsmf, décide aussitôt qu’ils doivent quitter la ville en 1992: «Mon mari faisait partie des premiers agents de la Somaïr. Tous ses collègues sont morts, de cancers, de problèmes de reins, de foie, etc. Parmi ceux qui sont restés, beaucoup sont aujourd’hui malades ou paralysés. Mais on ne peut pas dire que c’est directement lié à l’irradiation; il aurait fallu faire des études!» regrette Mme Adamou.

Pourtant, les études faisant le lien entre l’exposition aux gaz radioactifs et l’augmentation des risques de cancer ne manquent pas. Depuis 2003, des ONG françaises se rendent à Arlit armées de dosimètres pour mesurer le niveau de radioactivité, puis le comparer aux normes internationales en vigueur. Directeur du laboratoire de la Commission d’information et de recherche indépendantes sur la radioactivité (Criirad), basé à Valence, en France, Bruno Chareyron ne laisse planer aucun doute: «Les mineurs de l’uranium au Niger sont exposés à des radiations ionisantes dans les carrières, les mines souterraines, les usines d’extraction, mais aussi à leur domicile et en ville», estime-t-il, après s’être rendu lui-même à Arlit en 2003 et avoir analysé les échantillons prélevés sur place par Greenpeace en 2009. L’ingénieur en physique nucléaire précise que «dès de très faibles doses, le risque sanitaire augmente. Le radon et ses descendants ont été classés cancérigènes pour l’homme par l’Agence internationale pour la recherche contre le cancer dès 1988.»

Areva nie en bloc
L’étude réalisée par Blandine Vacquier, au sein du Laboratoire d’épidémiologie des rayonnements ionisants de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, le confirme. Réalisée sur une cohorte de cinq mille nonante-huit anciens mineurs d’uranium français sur une période échelonnée entre 1946 et 1999 (en France, la dernière mine d’uranium a fermé en 2001), elle démontre l’existence d’un risque accru de 40% de décès par cancer du poumon lié à l’exposition cumulée au radon. Or le radon, gaz radioactif issu de la désintégration de l’uranium, s’échappe au quotidien des verses qui entourent la ville d’Arlit: 35 millions de tonnes de déchets radioactifs y sont empilées et laissées à la merci du vent.

Reste que la vérité scientifique semble s’arrêter à la frontière de la France. Car, face à un rapport de Greenpeace publié en 2009 selon lequel «le taux de mortalité des maladies respiratoires (16,19%) (à Arlit ndlr) est deux fois plus élevé que la moyenne nationale (8,54%)», Areva s’est empressé de publier un contre-rapport3. On y apprend qu’en réalité les affections allergiques sont dues «aux actions agressives du sable pour les yeux et les poumons, et non à l’activité minière comme le laisse supposer Greenpeace».

La justice pourrait ouvrir la porte aux indemnisations

C’est «une première dans le monde minier», se félicite-t-on à Areva. Le 6 décembre 2011, la société minière française s’est engagée à offrir «un suivi postprofessionnel des anciens collaborateurs exposés à l’uranium (…), un suivi sanitaire des populations vivant dans la zone d’influence des implantations minières (…), la conduite d’une étude sur la mortalité des mineurs de 1968 à 2005 afin d’assurer une totale transparence sur l’impact sanitaire de l’activité minière actuelle et passée». Tout ceci grâce à la création de l’Observatoire de santé de la région d’Agadez (OSRA), région du Nord-Niger où se trouve la ville minière d’Arlit. Une institution financée à 100% par Areva.

A lire le communiqué d’Areva, on en oublierait presque que cette initiative a vu le jour à la suite d’une menace de poursuite judiciaire lancée en 2007 par Sherpa, association française d’avocats spécialisés dans la lutte contre les crimes économiques internationaux, alors soutenus par l’ONG Médecins du monde. Ces acteurs de la société civile reprochent à Areva le non-respect des normes de protection contre la radioactivité auprès des mineurs et des habitants avoisinant les mines d’uranium, que ce soit au Niger et au Gabon, en fondant leurs critiques sur leurs études de terrain, et sur celles de la Criirad et de Greenpeace.

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Deux ans et cinq cents visites médicales plus tard, la déception est totale: l’OSRA s’est révélé n’être qu’une «opération de communication, sinon d’affichage», affirme Sherpa dans un communiqué publié le 18 décembre 2012, annonçant son retrait de l’accord fondateur signé en 2009. L’association de juristes dénonce le fait que «le processus d’indemnisation, s’il a bénéficié à deux familles d’expatriés français – ce qui est notoirement insuffisant –, n’a bénéficié à aucun travailleur nigérien ou gabonais, alors même que la situation médicale de plus d’une centaine d’entre eux a été examinée». En effet, aucune maladie professionnelle n’a été diagnostiquée par le comité médical de l’OSRA chez les anciens mineurs nigériens. Pour Cissé Amadou, membre de l’Association des anciens travailleurs des mines et leur famille (Atsmf-Rakkiye) à Arlit, ce n’est pas une surprise: «Les visites médicales ont été supervisées par le docteur Barazé, médecin à l’hôpital de la Cominak pendant des années. Comment un docteur qui n’a jamais relevé de pathologie liée à l’irradiation chez des ouvriers, qui ont d’ailleurs tous trépassé deux ans après leur départ de la mine, pourrait-il revenir sur son diagnostic aujourd’hui?»

Les visites médicales réalisées par l’OSRA sont au point mort depuis mai 2012. Au même moment en France, Areva a été condamné à la suite de la mort par cancer du poumon de Serge Venel, ex-employé français de la Cominak entre 1978 et 1985, pour «faute inexcusable». Le verdict du Tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun ouvre des droits à des dommages et intérêts à hauteur de 200 000 euros pour la famille du défunt. Le leader de l’énergie nucléaire s’est empressé de faire appel, afin d’éviter d’entraîner un effet d’aubaine chez les anciens mineurs nigériens: «S’ils dédommagent la veuve de Serge Venel, nous serons des milliers au Niger à partager son sort», rappelle en effet Boureima. Islam Mounkaïla confirme: «Serge Venel était mon chef opérateur. Nous étions beaucoup plus exposés à la radioactivité que lui.»

Depuis leur local exigu, les membres de l’Atsmf sont encore loin d’envisager de porter plainte contre Areva. Chacun garde l’espoir que l’OSRA, dont l’Atsmf reste partie prenante, lui permettra de connaître la vérité sur ses problèmes de santé, et d’être pris en charge. Mais ils savent désormais que, en cas de blocage sur le terrain médical, la possibilité de passer par la justice n’est plus irréaliste: «La jurisprudence du Tribunal des affaires de sécurité sociale de Melun pourrait parfaitement être transposée dans l’hypothèse de salariés nigériens souffrant de maladies imputables à la contamination par l’uranium, confirme Jean-Paul Teissonnière, l’avocat de la famille de Serge Venel, joint par téléphone à Paris.

Article publié sur Le Courrier le 12 janvier 2013


Areva au Niger, Lhomme qui dérange

Le 1er février, le militant antinucléaire Stéphane Lhomme sera appelé à la barre, après avoir dénoncé la corruption d’Areva au Niger. Dans ce pays frontalier du Mali où l’armée française opère depuis une dizaine de jours, la France prend un tiers de l’uranium dont elle a besoin. Non sans quelques arrangements, s’insurge le militant.

« Tu vois, nous sommes le quatrième pays producteur d’uranium au monde et nous n’avons même pas de lampadaires. » Maina, membre de l’association Alternative Niger, marche à tâtons dans les rues de Niamey, dépourvues d’éclairage public. Ce qui l’énerve le plus, c’est de savoir que l’uranium nigérien, extrait par Areva et exporté vers la France, éclaire au même moment les routes et les places publiques françaises. Le paradoxe est saisissant : tandis qu’un tiers du minerai jaune utilisé par les 58 réacteurs nucléaires français provient du pays de Maina, le Niger importe les trois quarts de son électricité du Nigéria.

Maina ignore toutefois qu’en France, ce paradoxe exaspère au moins autant que lui Stéphane Lhomme, le fondateur de l’Observatoire du Nucléaire. Depuis sa vigie citoyenne basée à Saint-Macaire, en Gironde, il surveille les moindres faits et gestes de l’industrie nucléaire française, des malfaçons de l’EPR de Flamanville construit par EDF aux manœuvres d’Areva pour s’accaparer, depuis plus de 40 ans, l’uranium nigérien à un coût réduit.

Dans cette lutte à la David contre Goliath, le militant écologiste est tombé sur une arme de taille le 11 décembre dernier : selon l’AFP Areva aurait offert 26 millions d’euros au Niger pour boucler son budget 2013 et une partie de ces fonds va être utilisée par le gouvernement nigérien pour acheter un nouvel avion présidentiel à Mahamadou Issoufou. « Ce don est une humiliation pour les citoyens du Niger », estime-t-il. Car en parallèle, l’Etat nigérien ne tire que 5% de son PIB des recettes de l’exploitation de l’uranium. Ni une ni deux, il publie un communiqué pour dénoncer un acte de « corruption, probablement sur le plan légal et assurément sur le plan moral », de la part d’Areva, qui entend ainsi « perpétuer sa mainmise sur les réserves d’uranium du Niger. »

Stéphane Lhomme souligne que le cadeau budgétaire d’Areva vient mettre un terme aux critiques du gouvernement, qui multipliait récemment les prises de parole pour dénoncer le manque-à-gagner du Niger face à Areva : « Les déclarations faites de temps à autre par des politiciens nigériens visent plus certainement à obtenir quelques avantages de la part de l’ancienne puissance coloniale, mais assurément pas à remettre en cause le « business de l’uranium », qui n’a pourtant rien apporté de bon au peuple du Niger, qui reste un des plus défavorisés de la planète… » Du côté d’Alternative Niger on s’interroge : « Si c’est un cadeau, quelle est alors la contrepartie qu’attend Areva ? »

Uranium contre réélection
Le problème, c’est qu’Areva dément tout transfert monétaire aux autorités nigériennes et attaque dans la foulée L’Observatoire du Nucléaire pour diffamation. Et bien que l’AFP, avait recueilli l’information de la bouche même du président du groupe parlementaire du parti au pouvoir, le gouvernement nigérien dément aussitôt avoir reçu le moindre franc CFA de la part de l’entreprise française. Le 1er février 2013, le militant anti-nucléaire devra se défendre face aux avocats d’Areva. Ce procès met en péril l’existence de l’Observatoire du nucléaire qui, outre les frais de justice, risque une amende de 25 000 euros.

Inquiet mais pas abattu, Stéphane Lhomme est revenu quelques semaines plus tard, en 2013, avec un nouvel argument pour dénoncer les relations clientélistes entre Areva et le Niger. Le 14 janvier, il publie le compte-rendu confidentiel d’une réunion tenue en novembre 2012 entre trois membres de la direction d’Areva et M. Hassoumi, le directeur du cabinet de la présidence de la République nigérienne. On y apprend qu’Areva s’apprête à distribuer 35 millions d’euros au gouvernement nigérien, « en prenant en compte le manque à gagner généré par le report probable du projet Imouraren ». Imouraren, c’est la future plus grande mine d’uranium d’Afrique située au Nord-Niger, avec des réserves de 100 000 tonnes d’uranium, détenue à 57% par Areva. Confirmée, la promesse de transfert d’Areva au Niger, malgré son démenti officiel un mois plus tard ! Le leader français va d’ailleurs se contredire en janvier 2013 en annonçant officiellement qu’il versera bien 35 millions d’euros à l’Etat sahélien.

Les révélations du document confidentiel ne s’arrêtent pas là. Les représentants d’Areva y annoncent que la mine d’Imouraren ne sera pas inaugurée avant mi-2016, voire en 2017. M. Hassoumi rappelle alors aux représentants d’Areva que « l’année 2015 est une échéance politique importante qu’il convient de ne pas dépasser pour un démarrage du projet Imouraren », car l’ouverture de la mine « correspond à un projet majeur du président ». Sur ce, ils s’engagent à avancer le lancement de la production à 2015. Interprétation du président de l’Observatoire du Nucléaire : « dans la mesure où l’entreprise Areva pourra continuer à s’accaparer à bas prix l’uranium du Niger, elle organisera à la mi-2015 une jolie cérémonie pour simuler le début de la production d’uranium à Imouraren et permettre ainsi au Président nigérien sortant d’en tirer parti pour sa réélection début 2016. »

Dans l’attente de son procès, qu’il envisage désormais avec confiance, le militant réitère ses accusations contre Areva. Il a même trouvé le temps de publier sur Rue89 une tribune où il déclare que la guerre au Mali n’a d’autre visée que de sécuriser l’approvisionnement français en uranium. Il est égalament à l’initiative d’une cyberaction lancée le 15 janvier incitant les citoyens français à demander la vérité sur l’avion présidentiel d’Areva au Niger.

Mise sur écoute, gardes à vue…
Stéphane Lhomme n’en est pas à son premier combat contre l’industrie nucléaire. Porte-parole du réseau Sortir du Nucléaire entre 2002 et 2010, il avait publié en novembre 2003 un document confidentiel défense, où l’on apprenait que le futur réacteur EPR était vulnérable à une attaque d’avion. Or ce réacteur de troisième génération, qui s’est depuis révélé plus coûteux que rentable, était alors l’espoir commercial d’EDF. Face à ce militant zélé, le fournisseur d’électricité publique avait donc opté pour la méthode forte et placé M. Lhomme sur écoute avec la collaboration de l’entreprise suisse SecureWyse. Le militant écologiste subira aussi deux gardes à vues et une perquisition, histoire de calmer sa curiosité mal placée.

Malgré le soutien parlementaire et médiatique, il n’a toujours pas obtenu justice face à EDF : « Après avoir déposé plainte contre EDF pour complicité et recel d’intrusion frauduleuse dans un système informatique, j’ai été entendu à deux reprises par les gendarmes, la seconde fois en décembre 2010. Depuis, le Parquet fait le mort ! La plainte n’est pas classée… ni instruite. Il est clair qu’il y a une volonté de ne rien trouver », estime le militant.

Le 1er février prochain, il espère que cette fois la justice lui donnera raison face à Areva. Et que que l’écho médiatique du procès enverra un signal de solidarité à Maina et aux Nigériens, toujours privés d’éclairage public.

Article publié sur Regards le 21 janvier 2013

Crédit photo : Emmanuel Haddad


Françafrique? Oui, mais…

Quand le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, a annoncé l’envoi des forces spéciales françaises au Nord-Niger pour «renforcer la sécurité des principaux sites d’exploitation d’uranium de l’entreprise française Areva», les réactions ne se sont pas fait attendre dans le camp des opposants à l’intervention française au Nord-Mali. «Colonialisme nucléaire», a aussitôt dénoncé l’Observatoire du nucléaire, voyant dans ce déploiement la raison occulte de la mobilisation française, qui vise à «sécuriser notre approvisionnement en uranium», selon la tribune publiée dans la presse française par le président de l’association antinucléaire, Stéphane Lhomme.

Depuis le bureau du Laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL) qu’il a fondé à Niamey en 2001, Olivier de Sardan prend ce genre d’allégations avec des pincettes: «L’Etat français n’a pas sa politique guidée par Areva. Qu’il veuille sécuriser la région pour l’uranium, certainement, mais quel Etat n’agit pas par intérêt? Les Chinois aussi ont des intérêts miniers au Niger, mais c’est la France qui s’y colle pour les préserver et ils sont bien contents», nuance l’anthropologue, directeur de recherche au CNRS.

Mines sous protection directe
S’interroger sur les modalités et les causes de l’intervention de la France au Mali est pourtant légitime. Comment ne pas s’étonner de voir le déploiement de plus de 3000 soldats français au Mali après le discours de François Hollande à l’ONU le 28 septembre 2012, assurant que «la France, je l’annonce ici, soutiendra toutes les initiatives permettant que les Africains eux-mêmes règlent cette question dans le cadre de la légalité internationale avec un mandat clair du Conseil de sécurité»? Si le président a depuis cru bon de préciser que la France «ne défend aucun calcul économique ou politique au Mali», l’envoi des forces spéciales françaises pour sécuriser les mines d’Areva, «du jamais vu» selon Jean Guisnel, spécialiste des questions de défense à l’hebdomadaire français Le Point, prouve définitivement le contraire.

De là à asséner que la France n’agit que pour défendre ses ressources énergétiques, il y a un pas qu’André Bourgeot, anthropologue spécialiste du Mali, ne souhaite pas faire. «C’est une vision manichéenne qui empêche de comprendre les enjeux régionaux profonds», estime le directeur de recherche au CNRS. «Il y a deux variables à prendre en compte. D’abord, la menace réelle d’une prise de la ville de Sévaré par les groupes terroristes AQMI, MUJAO et Ansar Dine, car ils auraient eu la main sur deux aéroports et un accès direct à Bamako. Ensuite, l’existence d’intérêts importants de la France au Niger qui, en cas d’emprise djihadiste dans la région, auraient été altérés. Ces variables se combinent: on ne peut pas en privilégier une et la dissocier de l’autre.»

Héritage colonial
L’héritage colonial est toutefois bien présent dans les esprits des Nigériens. Invité lors d’un débat organisé par l’association Alternative Niger à Niamey, Olivier de Sardan s’est ainsi vu qualifier d’«agent de la France» pour avoir jugé l’intervention de la France nécessaire face à AQMI et à ses alliés au Nord-Mali, sans pour autant nier l’existence des intérêts français au Sahel. Secoué, le chercheur n’en reste pas moins convaincu qu’aujourd’hui la course aux ressources énergétiques ne se joue plus sur le terrain militaire: «Le contre-exemple, c’est le Tchad, où la France a ouvertement soutenu le régime au pouvoir. Pourtant, c’est le groupe américain Exxon Mobil qui a la main sur l’or noir tchadien.»

Alors terminée la Françafrique, dénoncée aujourd’hui par l’Observatoire du nucléaire? «On ne supprime pas un réseau établi depuis plus de cinquante ans d’un coup de baguette, nuance André Bourgeot. La différence avec le gouvernement précédent, c’est que François Hollande a réagi à un appel du gouvernement malien. Il y a eu convergence d’intérêts.»

Article publié sur le journal suisse Le Courrier samedi 26 janvier 2013

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