A Valence, Espagne, les mineurs battus font la loi
Police have arrested 43 students and schoolchildren, including eight minors, in the city over the past four days.
Demonstrations in support of the Valencia students were being organised in half a dozen cities around the country on Tuesday evening. Valencia’s students, meanwhile, said they would continue to protest « with our books and hands in the air ».
Même The Guardian s’enflamme. Pourtant, ils ont eu droit à leurs manifestations les Anglais, à leur sauce. Fish&Chips. Eh bien cette fois c’est au tour des Espagnols, version valencienne, Paella avec encre médusée contre pieds écrasants de marins, les policiers qui nagent en eaux troubles et risquent de se noyer à chaque nouveau coup de matraque filmé ou photographié par les médias espagnols. Attention, les Valenciens en ont gros sur la patate. Des années d’escroquerie organisée depuis les plus hautes sphères de l’Etat, du pipeau poussé au niveau de l’art rhétorique, du PP poussé au niveau du lard pléthorique. Qu’une envie, tout virer au sens propre et mythologique, quand la plèbe foutait en l’air les élites grasses et quand Sparte ruinait Athènes en 27 ans de Péloponèse. Pénélope en revenait pas, les notes journalistiques non plus. Ci-dessus, la réaction du journal britannique le plus lu par ceux qui lisent des journaux britanniques, ci-dessous, un reportage radio depuis Barcelone, la qualité est mauvaise mais il faut pardonner le journaliste (hors de question !!!) car il revenait juste d’une interview et, mauvais, n’avait même pas prévu la manifestation tenue à Barcelone en soutien des étudiants valenciens défoncés par les flics espagnols.
Manifestation à Barcelone en soutien aux étudiants valenciens
Derrière le hastag #PrimaveraValenciana, les jeunes espagnols se rêvent en étudiants tunisiens défoncés par la police, capables de réunir un peuple, d’enflammer une région. Peut-être certains sont moins ambitieux. Pour eux, l’objectif, c’est la place Syntagma, la révolte à tout prix, le masque à gaz pour tout outil de négociation face aux encasqués. « Fils de pute », « fils de Franco », « sans votre casque vous n’êtes rien! », tous ces beaux messages en direction des poulagas qui trônent, le doigt frétillant sur la matraque devant le commissariat de Barcelone, avenue Laietana. Et le dos frissonne car on sait l’impact d’un 15M maintenant, ici en Espagne. Les jeunes n’ont plus peur et ce n’est pas une répression un peu musclée à Valence qui va les arrêter… Pas vrai ?
Allez, pour avoir une idée de ce qui s’est passé à Valence ces 15 dernières années, voici la republication d’un article que j’ai envoyé au magazine numérique Slate.fr.
Corruption: l’incroyable PP connexion de Valence
C’est la fin d’une ère dans cette région espagnole. Celle durant laquelle membres du parti conservateur se faisaient offrir des costumes ou ériger des statues par des entrepreneurs dans l’optique de «mettre Valence sur la carte du monde».
En jetant un œil depuis le hublot de votre avion vers le tissu urbain de Valence, vous pourrez admirer les formes fuyantes et courbées de la Cité des Arts et des Sciences, conçue par l’architecte Santiago Calatrava pour la modique somme de 1.282 millions d’euros, soit 700 millions de plus que le budget initial.
Mais même en scrutant bien, vous ne verrez aucune des trois tours qui devaient côtoyer cette esplanade de 350.000 m². Les gratte-ciels Alicante, Castelló et Valence auraient dû s’élancer à 308, 266 et 220 mètres de haut, mais les 450 millions d’euros nécessaires à leur construction creuseraient aujourd’hui un trou colossal dans les comptes de la communauté la plus endettée d’Espagne, de plus en plus mal notée par Moody’s et Standard & Poor’s, et que l’Etat vient de renflouer de 123 millions d’euros pour qu’elle rembourse ses dettes à la Deutsche Bank.
Ce qui n’a pas empêché l’architecte de toucher 15 millions d’euros pour le simple fait de les avoir imaginées. Un rêve plutôt cher pour une communauté qui vient d’annoncer un plan d’austérité impitoyable: 1.057 millions d’euros d’économie en deux ans (440 millions de coupe dans le budget de la santé et 379 millions sur le personnel public). Aujourd’hui, faute de chauffage, les élèves vont à l’école avec leur couverture, le gouvernement n’ayant pas octroyé un euro à l’éducation publique depuis huit mois.
«Mettre Valence sur la carte du monde»
Mais au temps de la «décennie merveilleuse», comme la surnomme le professeur d’urbanisme valencien Fernando Gaja i Díaz, rien n’était trop cher pour faire de la Communauté de Valence la nouvelle «Californie européenne». «En deux générations, Valence s’est convertie d’une économie basée sur l’agriculture à une autre fondée sur le tourisme et les services, et elle l’a fait à coup de requalification: vendant des terrains pour construire, à un prix très élevé, se rappelle Guillermo López García, professeur de journalisme à l’université de Valence. Aucune réflexion sur d’autres modèles productifs, aucune attention à l’environnement… Dans tout cela le PP (Partido popular, parti de la droite conservatrice, au pouvoir depuis les élections législatives du 20 novembre, NDLR), qui gouverne depuis 16 ans, a sa part de responsabilité. Pour avoir vendu l’idée frivole de l’argent facile, des nouveaux riches. De l’endettement dans des grands projets absurdes aussi», ajoute l’auteur du blog satirique La Paella Rusa.
Un nouveau stade de foot pour 200 millions d’euros, un parc thématique géant pour 460 millions d’euros ou 30 millions d’euros de publicité pour un aéroport, beaucoup de mégaprojets lancés sous gouvernement PP, depuis 1995, ont pour trait commun d’être soit inachevés, soit larvés, soit trop chers à maintenir. Mais cela n’a pas empêché leurs concepteurs privés de se remplir les poches au détriment des caisses publiques. Ainsi allaient les choses sous le règne de ce qui ressemble aujourd’hui à une «PP connexion», une ère où municipalités et entrepreneurs se rendaient des services mutuels dans l’optique de «mettre Valence sur la carte du monde».
«Aujourd’hui, Valence est finalement sur la carte, non pas grâce à tous ces projets mégalomanes, gaspilleurs, souvent inutiles. Elle l’est pour être la première communauté sauvée par les deniers de l’Etat, parce qu’elle doit des sommes phénoménales à ses citoyens. Mais aussi pour sa corruption, pour cacher des rapports officiels qui devraient être rendus publics…» Et tant d’autres raisons énumérées par un journaliste valencien d’El Pais.
Quelles qu’en soient les causes, la découverte de Valence et de sa PP connexion à grands coups de procès pour corruption en série –affaire Gürtel, affaire Fabra, affaire Brugal, pour n’en nommer que trois parmi les 15 répertoriés par le Parti socialiste de Valence dans un rapport sobrement intitulé «La corruption dans la communauté de Valence» [PDF]– permet de se pencher sur les goûts de nouveaux riches qui ont dominé la «décennie merveilleuse». En guise d’avertissement, Ignacio Escolar, journaliste à Publico, prévient:
«Pour les antécédents historiques, rappelle-toi seulement d’une chose: les Borgia étaient en réalité une famille originaire de Valence: les Borja.»
Le goût du luxe
Si l’on dit que la corruption n’a pas de visage, l’ambiance pots-de-vin et beaux costards qui a dominé la décennie du boom immobilier espagnol (1996-2006) à Valence s’incarne dans les visages des membres du PP convoqués sur les bancs du Tribunal supérieur de justice de Valence. Et le plus reconnaissable est celui d’«El Bigotes», un homme arborant de belles moustaches régulièrement coupées chez un coiffeur exclusif de Benicalap, quartier hype de la ville. Sous la bacchante, un pur havane, qu’Alvaro Perez Alonso sortait à chaque nouveau succès commercial depuis la poche intérieure de la veste de son costume sur mesure réalisé par Antonio Puebla, l’un des meilleurs couturiers d’Espagne.
Le costume, c’est un peu ce qui a rapproché les principaux membres du PP mis en cause dans la trame Gürtel, aussi appelée «affaire des costumes», ouverte par le juge Garzon en 2009. Francisco Camps (président du gouvernement de Valence de 2003 à sa démission en juillet 2011), José Victor Campos, vice-président du Conseil du gouvernement de Valence, Ricardo Costa, porte-parole du Parti populaire de la Communauté valencienne (PPCV) et Rafael Betoret, chef de cabinet du ministère du Tourisme ont été soupçonnés d’avoir reçu en cadeau des costumes chic de la part d’El Bigotes.
Francisco Camps et Ricardo Costa ont été déclarés non-coupables par un juré populaire à 5 voix contre 4 tandis que les deux autres avaient plaidé coupables. Mais la partie submergée de l’iceberg reste à mettre au jour. «L’affaire des costumes est une cause dérivée de l’affaire Gürtel», lit-on dans El Pais, le gros de l’affaire étant le financement illégal présumé du PP par les entreprises du groupe Correa, dont le patron, Francisco Correa, est en prison depuis février 2009. Par son intermédiaire, El Bigotes aurait raflé 85 contrats publics, pour un total de 7,2 millions d’euros entre 2004 et 2009.
Le tailleur n’était peut-être pas de taille pour Carlos Fabra. Le président de Castellón depuis 1996 (province située au nord de la communauté valencienne) a préféré une oeuvre beaucoup plus monumentale: un colosse de 20 tonnes, à son effigie, et dont un avion sortira de la tête… pour décorer le nouvel aéroport de la province. 300.000 euros le tout, contre 1.600 euros en moyenne pour les costumes d’El Bigotes.
Fabra, toujours caché derrière ses lunettes de soleil, est actuellement jugé pour cinq délits de trafic d’influence, corruption et fraude fiscale. Le juge d’instruction lui a demandé une caution de 4,2 millions d’euros au premier jour du procès. Le «cas Fabra» fait presque petit bras à côté de la trame Gürtel, avec ses sept délits à la clé: prévarication, trafic d’influence, corruption et délit électoral, et ses 17 personnalités politiques impliquées. La statue sert toujours de consolante de luxe face à l’Union des consommateurs d’Espagne qui s’est constitué partie civile et réclame 20 ans de prison et une amende de 5.300.000 euros. Cela n’empêche pas Fabra de louanger la statue:
«Elle me paraît merveilleuse, si en plus elle inspirait les musées ça serait parfait.»
Le goût du vide
Le 26 janvier, les dizaines de milliers de Valenciens qui ont défilé contre le plan de rigueur du gouvernement en ont profité pour demander «moins de Vuitton et plus d’éducation». Ce qui surprend le plus les citoyens valenciens qui découvrent au fur et à mesure des journées de procès les détails des affaires de corruption dans lesquelles sont impliqués des membres de la «PP connexion» –13 membres du parlement de Valence, 9 des gouvernements de province, 34 dans les mairies de la province d’Alicante, 10 dans ceux de la province de Valence et un dans la province de Castellon, deux membres de la chaîne communautaire Canal 9 et 12 membres du gouvernement de la communauté–, c’est le nombre de mégaprojets financés avec leurs impôts qui se sont révélés n’être que des coquilles vides.
Le plus royal est celui du gendre de Juan Carlos, Iñaki Urdangarin, qui a touché 382.000 euros pour des Jeux européens qui n’ont jamais dépassé le stade de l’accord de principe signé avec Esteban González Pons, conseiller du gouvernement valencien en 2005, aujourd’hui porte-parole du PP. Si la somme suffit à remettre en cause la famille royale dans son ensemble, ce ne sont que des broutilles à côté des 2,6 millions payés d’avance le 30 septembre 2005 à Santiago Calatrava pour les prodigieux gratte-ciels qu’il devait construire à côté du Centre des Arts et des Sciences. Par la suite, il a reçu 137.000 d’euros pour les maquettes, puis deux fois 6,2 millions d’euros pour la rédaction du projet.
Le vide qui remplit l’espace où devaient s’élancer les tours fait désormais écho à celui des caisses de la CAM. La banque est aujourd’hui ruinée après avoir financé la Cité des Arts et des Sciences ou le parc thématique Terra Mitica, au point de devoir demander 2 800 millions au Fond de Restructuration de l’Ordonnance Bancaire (FROB) pour atteindre les 10% de capital minimum exigés par le gouvernement.
Mais la ville de Valence n’est pas la seule à payer le prix élevé du goût pour le vide minimaliste prisé par le gouvernement valencien. Santiago Calatrava a été payé pour d’autres vides architecturaux ou «projets fantômes» comme les surnomment le parti Izquierda Unida (Gauche Unie, IU) qui s’est donné pour mission de les débusquer.
Pour la réforme du bassin de Torrevieja, il a touché 600.000 euros; 2,7 millions d’euros pour le centre commercial de Castellón qui est pour l’heure paralysé.
«Nous avons porté plainte pour prévarication et malversation d’argent public ainsi que pour fraude à l’administration, car il n’a pas non plus payé d’impôt, précise Ignacio Blanco, député IU. Mais notre plainte a été archivée. Le ministère public a bien reconnu l’existence des 15 millions d’euros pour des tours invisibles, mais on nous a opposé qu’il n’existait pas de délit pour gaspillage d’argent public. Nous pensons maintenant à porter l’affaire devant la justice. Car pendant ce temps, on constate que la plupart des constructions de Calatrava ne peuvent même pas être entretenues. L’opéra est loué pour des salles de mariages, l’Agora n’est pas achevée. Le seul bâtiment rentable, c’est l’Oceanogràfic (plus grand aquarium d’Europe), le seul bâtiment de la Cité des Arts et des Sciences qui n’ait pas été construit par Calatrava.»
A Castellón, mis à part quelques nuages, le ciel est vide et bleu. Aucune trace d’avions, malgré la construction d’un aéroport flambant neuf qui aura coûté plus de 150 millions d’euros. Inauguré en mars 2011 sans avoir fait les démarches pour l’autorisation de vols aériens, il sert en attendant de parc d’attraction. Aucun problème, pour Carlos Fabra, qui déclarait le jour de l’inauguration:
«Ceux qui disent que l’on est fou d’avoir inauguré un aéroport sans avions n’ont rien compris. Pendant un mois et demi, tout citoyen qui le désire pourra visiter le terminal et se balader sur les pistes d’atterrissage, ce qu’ils ne pourraient pas faire si les avions devaient décoller et atterrir.»
Pour se remonter le moral, les citoyens de Castellón peuvent toujours détourner leur regard compatissant vers les gradins vides du stade du FC Valence. En 2008, le club de football abandonne son partenariat avec Toyota au profit de Valencia Experience: «Présenté comme un conglomérat qui organise des évènements à Valence (l’America’s Cup, le Grand Prix de Formule 1, un tournoi de tennis), le consortium (lancé par le magnat du textile Vicente Saez-Merino, NDLR) promet 6,5 millions d’euros par an pour imprimer son nom sur les maillots, raconte le magazine So Foot. Valencia Experience est en fait une coquille vide. Entre temps, le groupe Saez-Merino a fermé quatre de ses cinq usines, et licencié 634 salariés sur 913», pouvait-on lire dans l’article «Valence au bout de l’enfer» publié en mars 2009.
Quant au Nou Mestalla, le stade attendu par les supporters depuis 2008, il est toujours en construction: sous l’auspice de la municipalité de Valence, Juan Bautista Soler, le président du club, avait prévu de le financer avec les bénéfices tirés de la construction d’immeubles sur l’emplacement de l’ancien stade. Qui, faute de mieux, est toujours debout.
Le goût de l’impunité
C’est peut-être ce qui a fini par faire pencher la balance de l’opinion contre le gouvernement de Francisco Camps: son sans-gêne. «Le problème fondamental, du point de vue politique, c’est l’acharnement de Camps et de son entourage politique à mentir, à nier tout lien avec la trame Gürtel, niant connaître des gens qu’il connaissait de toute évidence, estime le professeur de journalisme Guillermo López García. Donc quand apparaît sur l’enregistrement (de la brigade centrale de blanchiment d’argent, qui a mis sur écoute El Bigotes sous la demande du juge Baltasar Garzon, NDLR) “mi amigito del alma” (“mon tendre ami”) et “te quiero un huevo” (“je t’adore”, familier) et qu’il devient évident que Camps entretien une relation étroite avec El Bigotes, sa crédibilité est détruite aux yeux de l’opinion publique. Sur le fond, pour avoir menti, et sur la forme, avec ces formules vraiment ridicules.»
Camps et Costa innocentés, les autres membres du PP mis en examen dans la trame Gürtel ou Brugal continuent pour la plupart leur carrière politique. «Le système électoral, que ce soit au niveau national ou dans les communautés, se base sur des listes fermées décidées par l’appareil du parti. Une fois élus, les députés se limitent à faire et à voter ce qu’on leur indique depuis la direction du parti, explique Guillermo López García pour justifier l’immobilisme de la classe politique valencienne. En outre, au sein du PP est née l’idée qu’il faut maintenir la position adoptée à tout prix. Rectifier? Presque jamais. Reconnaître ses erreurs? Jamais. Et dans le cas spécifique de Camps, il faut tenir compte de son rôle pour garantir la continuité de Mariano Rajoy (l’actuel président du gouvernement, NDLR) au Congrès de Valence en 2008, ce qui explique le soutien clairement affiché de Rajoy à Camps.»
Même si le président du gouvernement Mariano Rajoy estimait que «Camps compte dans notre parti comme n’importe quel autre» au lendemain du verdict de l’affaire des costumes, le 26 janvier, quelque 100.000 manifestants valenciens contre la rigueur sont passés sous la fenêtre de l’ex-président du gouvernement pour lui demander «combien a coûté le procès».
Le goût de la démesure
Mais depuis l’élection du PP à la majorité absolue le 20 novembre dernier, l’image de la PP connexion de Valence risque d’éclabousser celle d’un gouvernement qui doit jouer la carte de la rigueur. Alberto Fabra, le nouveau président de la communauté autonome, prépare donc déjà le remplacement de Sonia Castedo, la maire d’Alicante impliquée dans l’affaire Brugal pour traitement de faveur envers le promoteur immobilier Enrique Ortiz.
Le goût de la démesure de la «PP connexion» ne facilite pas le lifting de bon comptable que cherche à se payer le nouveau président de Valence. Car les chiffres sont parfois cruels. Le plan d’économies de 1.057 millions d’euros qu’il a annoncé début janvier est l’équivalent du surcoût des trois principaux grands projets urbanistiques lancés sous l’ère de Francisco Camps -700 millions de dépassement de budget pour la Cité des Arts et des Sciences, 240 pour la Cité de la Lumière à Alicante et 107 millions d’euros pour le parc d’attraction Terra Mítica.
Article publié le 06 février 2012 sur Slate.fr
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