Faut-il fermer les centres d’internement pour étrangers?
Après la mort d’Idrissa Diallo, 21 ans, dans le Centre d’Internement pour Étrangers (CIE) de Zona Franca, à Barcelone, société civile, avocats et médias demandent la fermeture de ces centres, considérés comme pire que des prisons.
Un écho médiatique imprévu a entouré la manifestation pour la fermeture des Centres d’Internement des Étrangers (CIE) à Barcelone, vendredi 20 janvier. Un rassemblement organisé à la suite à la mort d’Idrissa Diallo, un Guinéen de 21 ans, dans la nuit du 5 au 6 janvier, dans le CIE de Zona Franca.
Mille et une raisons de fermer les CIE
Mais à 11h50, dix minutes avant le début de la mobilisation, une arrestation spectaculaire de quatre délinquants à l’issue d’une course poursuite dans la rue même où étaient déjà réunis quelques sympathisants avec leurs pancartes, a détourné l’attention des médias. L’actualité de la journée devient alors ces arrestations « casse-cou » et non plus cette manifestation « casse-couille ».
Car la mobilisation n’est pas à la hauteur de l’enjeu. 200 personnes seulement ont répondu présentes pour réclamer la fermeture des 9 CIE espagnols. Pourtant, pas moins de 148 associations allant de SOS Racisme à Médecin du Monde avaient lancé cet appel relayé par le quotidien local El Periodico.
Depuis le décès d’Idrissa Diallo, Twitter déborde de messages délivrant les bonnes raisons – #razonesCIErre – de fermer des centres décrits comme étant pires que des prisons dans la pétition du quotidien El Periodico remise au ministre de l’Intérieur, lequel a reconnu des « carences et insuffisances » sans s’engager à modifier le règlement des centres. Une question se pose alors: l’engouement médiatique n’est-il dû qu’au côté morbide des médias, comme le souffle la représentante de « Papiers et droits pour tous » à son voisin pendant la conférence de presse annonçant la mobilisation le 18 janvier : « Ils sont là parce qu’il y a eu un mort. Le reste du temps, on n’en voit aucun » ?
Vide légal et règne de l’arbitraire
Mais au-delà de la traque au fait-divers, médias et associations de défense des droits de l’homme saisissent l’opportunité de ce drame pour enquêter sur un système d’enfermement au fonctionnement opaque où règne l’arbitraire depuis sa création en 1985.
« Pendant 14 ans [avant leur légalisation en 1999, ndlr], les CIE ont fonctionné avec un vide légal au niveau de la gestion et du régime interne. Sans norme interne, les directeurs des centres se chargeaient d’improviser et de résoudre les problèmes quotidiens, ce qui implique de graves cas d’arbitraire, surtout devant l’absence de régime disciplinaire »
dénonce Cristina Fernández Bessa, de l’Observatoire du système pénal et des droits de l’homme de l’université de Barcelone.
Prenons l’exemple d’Idrissa, le troisième interné mort en trois ans dans le CIE de Zona Franca, emporté par un infarctus deux semaines après la mort de Samba Martine, décédé suite à une méningite, dans le CIE de Madrid.
Dimanche 1er janvier, Imad Kchikech, un compagnon de cellule d’Idrissa, avait pourtant averti deux avocats de la situation critique. Mais ils seront expulsés du centre d’internement « de très mauvaise manière avec l’aide de la police », dénonce le communiqué public signé par 148 entités et remis à la Délégation du gouvernement pendant la manifestation. Le lendemain, un troisième avocat est tout bonnement interdit de visite par le directeur du centre en personne et trois jours plus tard, Idrissa meurt d’un infarctus en raison de négligences, si l’on en croit les déclarations d’Imad Kchikech. Mais Imad Kchikech est expulsé manu militari vers le Maroc, dans un avion privé mobilisé par le ministère de l’Intérieur, pour contourner la manifestation prévue par les Indignés à l’aéroport de Barcelone. Une pratique courante pour éviter les témoignages indiscrets, comme le rappelle Antonia Moyano, avocate de l’Association solidaire DAB qui a déposé une plainte après la mort d’Idrissa pour tirer l’affaire au clair:
« L’association DAB avait déjà déposé une plainte à la suite du ‘suicide théorique’ du jeune Marocain Mohamed Abagui, le 13 mai 2010 dans le CIE de Zona Franca. Des internés avaient accepté de déclarer, mais entre le moment où la juge avait étudié notre demande et celui où elle l’avait acceptée, il n’y avait plus de témoins: ils avaient tous été expulsés. Cette fois, malgré l’expulsion d’Imad, des témoins sont encore sur place pour déclarer »,
explique Antonia.
« CIE, la pire destination »
Les CIE ont été légalisés en 1999 en Espagne, mais la garantie des droits de la personne est toujours aussi dépendante du bon vouloir du directeur du centre, selon Cristina Fernández Bessa qui dénonce leur « impunité ». Premier acte de bonne volonté après la mort d’Idrissa, deux juges vont être en charge du contrôle du CIE de Barcelone ; ils pourront, selon l’article 62 de la Ley de Extranjeria, « visiter le centre en cas de manquement grave ou quand ils le considèreront nécessaire ».
Mais les personnes réunies dans le centre-ville de Barcelone vendredi 20 janvier ne se contenteront pas de quelques réformes.
On demande la fermeture des centres d’internement des étrangers, des personnes qui sont détenues sans avoir commis aucun délit, on les arrête parce qu’ils n’ont pas de papiers en règle. C’est comme si on te prenait à conduire sans permis de conduire: ce serait une faute administrative, pas un délit. Pourtant, eux, on peut les détenir jusqu’à 60 jours,
explique une des manifestantes, bénévole chez SOS Racisme.
Droits bafoués
Si la fermeture des centres ne semble pas être à l’ordre du jour, la manifestation des Barcelonais, pour limitée qu’elle soit, donne un élan nouveau aux nombreuses recommandations du Défenseur du peuple pour améliorer la situation des internés dans ces centres où « la tension et l’ennui sont crispants », selon les mots de Cristina Fernández Bessa. La jeune femme a visité le CIE de Zona Franca en novembre dernier et n’a rien vu d’autres que des tables et des chaises pour s’asseoir et tuer le temps.
« CIE, la pire destination », enquête d’étudiants en journalisme sur le CIE barcelonais, révèle que l’on retire jusqu’aux téléphones portables des internés pour ne pas qu’ils avalent les batteries.
L’article décrit une réalité pire que n’importe quelle prison, quand bien même « les personnes internées devraient avoir les mêmes droits que quiconque, hormis le droit de circuler librement, dans l’attente de leur expulsion », rappelle Lluïsa Domingo, présidente de la Commission de défense des droits des personnes et du libre exercice du métier d’avocat.
L’intérêt, certes tardif, des médias, a au moins le mérite de faire prendre conscience aux Espagnols de ce qui attend les immigrés sans-papiers qui se font de plus en plus souvent contrôler dans la rue, de manière discriminatoire, comme l’a récemment dénoncé Amnesty International.
Cet article a été publié le 21 janvier 2012 sur le site ‘informations européennes myeurop.info.
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