Dans les camps de réfugiés sahraouis : 35 ans d’attente, d’espoirs et de rêves

Ils font partie des camps de réfugiés que l’on a oublié avec le temps, construits au lendemain d’une décolonisation inachevée dont l’injustice s’étend encore 35 ans plus tard. Rencontre dans le camp sahraoui de Dakhla, avec ses professeurs, ses cinéastes en herbes et ses rêveurs patients.

C’est une étendue de maisons en adobe plantée au milieu du désert de la Hamada. Une ville de 30 000 habitants qui n’apparaît pas sur la carte. Dakhla et les quatre autres « Wilayas » (nom donné à chacun des cinq camps de réfugiés) où vivotent quelques 165 000 Sahraouis ont été oubliées des médias, du marché du travail et des échanges de richesse mondialisés. Proche de l’épicentre du « printemps arabe », on y prie chaque jour Allah pour un futur libre au Sahara Occidental, de l’autre côté du « mur de la honte » construit par le Maroc il y a 30 ans. Si vous croisez des femmes en train de pousser des bombonnes de gaz et de soulever d’énormes sacs de farine déposés par un camion, c’est que la Wilaya de Dakhla n’a pas d’électricité et que son champ de légumes de quelques hectares ne suffit pas à nourrir toutes les bouches. « On ne peut pas garder 165 000 personnes dans une situation d’urgence pendant 35 ans », s’insurge Abdul Karim Ghoul, le représentant de l’UNHCR en Algérie. C’est pourtant le cas depuis que la Marche Verte marocaine a entraîné l’exil des Sahraouis en novembre 1975, malgré l’avis de la Cour internationale de justice leur reconnaissant le droit à l’autodétermination après avoir été colonisés par l’Espagne. L’UNHCR approvisionne les habitants des camps de presque tout ce qu’ils ont : eau, hôpitaux, écoles, compléments alimentaires pour lutter contre l’anémie qui touche 52% des enfants de moins de 5 ans et 67% des femmes enceintes, camions pour récolter les poubelles, etc. « Depuis deux ans, nous sommes passés à une stratégie d’intégration sociale pour garantir plus de stabilité. Mais seulement jusque à un certain point. » Pas question de trop développer le camp, car si les résolutions internationales sont enfin respectées, ses habitants abandonneront tout illico pour retourner vivre au Sahara Occidental. C’est du moins le discours qu’on vous répète sans cesse autour du traditionnel thé vert sucré. Mais qu’en pensent la génération des Sahraouis nés dans les camps, eux qui n’ont jamais connu la terre de leurs parents ?

Septième art dans le désert

Les membres de l’association Gran Angular des îles Canaries viennent pour la troisième année consécutive à Dakhla pour réaliser un court-métrage avec les enfants du camp. Ils participent à l’un des nombreux ateliers proposés en marge du festival de cinéma Fisahara, qui organise pour la huitième année consécutive une semaine de rencontre entre les Sahraouis et tous les Espagnols décidés à faire porter leur voix hors du désert. Les enfants écrivent le scénario qu’ils vont ensuite mettre en scène tout au long de la semaine du 2 au 8 mai. L’an dernier, le court-métrage « Aisha » racontait le rêve d’une fille qui n’a jamais vu la mer et tente de se l’imaginer grâce à la mémoire des Sahraouis ayant vécu hors du camp. « A la fin, la mer apparaît derrière elle comme si son rêve se réalisait, explique Agustin, de Gran Angular. C’est un peu ce qu’on essaie de faire ici avec eux. » Grâce au festival, les enfants ont pu visionner le court-métrage cette année. « Alors, c’était quoi le rêve d’Aisha ? » demande Agustin à la fin du film. Après silence et hésitations, une voix ose : « La plage ». « C’est tout ? » S’inquiète Omar, traducteur et accompagnateur du groupe. « La terre du Sahara », dit enfin un garçon. S’en suit une interprétation du court-métrage par Omar à l’aune de l’histoire des Sahraouis fondée sur un rappel aux enfants de la cause de leur peuple depuis 35 ans : le retour à la terre. Ici, le cinéma est avant tout un outil éducatif. le Front Polisario, parti unique qui organise la vie des camps depuis leur création, accueille donc à bras ouverts le septième art pour que la lutte du peuple sahraouie puisse être connu hors des limites ensablées des camps.

Le paradoxe de l’exil

A 35 ans, Omar est un professeur de primaire affable et dévoué. Parti du Sahara Occidental âgé de cinq mois, il ne rêve pourtant que d’une chose : prendre les armes pour retourner chez lui par la force. Une attitude paradoxale que l’on retrouve en permanence chez des individus débordant de créativité, mais prêt à tout quitter pour prendre les armes. Leur leitmotiv : « Mourir digne plutôt que vivre comme des chiens ». Une semaine de cinéma et  d’échanges culturels n’y peuvent pas grand-chose. Alors il y a trois ans, les enfants sont allés voir Roberto Lazaro, directeur de cinéma et responsable d’un atelier au Fisahara, pour lui expliquer qu’ils voulaient pouvoir faire de la vidéo tout au long de l’année. En réponse, le réalisateur espagnol inaugure cette année l’Ecole de Formation Audiovisuelle Abidin Kaid Saleh, qui permettra dès septembre à 18 élèves, 14 filles et 4 garçons, de suivre des modules de production, scénario, son, direction d’acteurs, direction de photographie, montage et post-production et réalisation de télévision. De quoi parleront les premiers travaux des élèves qui ont été sélectionnés tout au long des huit années d’ateliers de cinéma du festival Fisahara ? « Je voudrais faire des documentaires sur la résistance sahraouie », dit l’une d’elle. Puis toutes les autres la reprendront en cœur.

Il y aura donc d’avantage de filles pour faire vivre l’histoire sahraouie par l’image. Il faut dire qu’au sein de la république sahraouie en exil, depuis que les hommes sont partis faire la guerre contre le Maroc en 1976, les femmes ont gagné un rôle social qu’elles n’ont dès lors plus lâché. Dans l’école secondaire Sidi Yehdih Urga, la directrice confirme : « Les jeunes filles sont plus appliquées, les garçons veulent presque tous devenir militaires pour aller à la guerre ». Croisées dans ce nouvel établissement qui manque encore de tout, les jeunes étudiantes de 14 ans rêvent de devenir professeur d’anglais, d’espagnol ou médecin. Et les garçons ? « Ils veulent tous devenir joueurs de foot comme Messi », rit l’une d’elle. « C’est pas vrai, je veux être professeur moi aussi », lance un élève piqué au vif.

Les handicapés ont aussi leur chance

Pendant que l’école de cinéma donne de l’espoir à ceux qui veulent s’en sortir par la culture plutôt que par les armes, un établissement d’un autre genre tente d’offrir un avenir aux enfants autistes, retardés mentaux et sourds-muets du camp. 12 professeurs, 3 hommes et 9 femmes, proposent à une quarantaine de ces élèves « spéciaux » non seulement des cours mais aussi des ateliers de couture, de charpenterie et de mécanique. « Quand nous avons créé l’école en 1998, les enfants sourds-muets ou handicapés mentaux étaient exclus, les parents ne les comprenaient pas et il n’y avait aucune alternative à l’école conventionnelle. Aujourd’hui, ils sont tous autonomes et certains sont plus utiles à leur famille que les autres enfants », se félicite Fatma Sidahmed, la fondatrice et directrice de l’école spéciale. « Aujourd’hui, des mères m’apportent même leurs enfants bien qu’ils ne souffrent d’aucun trouble mental, vu la réputation qu’a pris l’établissement ! On est loin des critiques du début. » Des mères inquiètes de voir leur progéniture suivre la norme, rien de plus commun… Sauf que tous ici portent des douleurs psychologiques plus ou moins lourdes nées soit de l’exil, soit du fait d’être né dans un camp où la dépendance est totale et l’inactivité dévastatrice. Personne ne peut mesurer une telle souffrance. Le Front Polisario a créé une véritable République en exil, la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Elle fonctionne beaucoup mieux que la plupart des Etats souverains alentours, concède même un journaliste espagnol présent au festival de cinéma, évoquant la misère du Mali ou de la Mauritanie. Mais comme Omar, beaucoup ont constaté que le temps de paix (1991-2011) avait largement dépassé la période de guerre qu’ils ont mené contre le Maroc (1975-1991), sans pourtant parvenir à aucun résultat. Et ils s’impatientent.

Restent toujours des optimistes, ceux qui, comme Sidi Hmudi Hreibelat, pensent que tout a une solution. Ce Sahraoui parti étudier à Cuba parmi tant d’autres pense que cela vaut la peine d’attendre encore un peu. « Le premier dirigeant historique du Polisario est mort l’an dernier. Bientôt, la nouvelle génération des ingénieurs, médecins et avocats formés à l’étranger va arriver au pouvoir. Et il n’y aura pas meilleur diplomate pour aller plaider la cause des Sahraouis devant le monde entier. »

Retrouvez l’accroche de l’article sur le site de l’hebdomadaire Témoignage Chrétien

Photos : ©Emmanuel Haddad

 

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