Facebook et Twitter : amis ou ennemis des révolutions ?

Internet est dépeint comme l’engrais du printemps arabe, mais s’il est vrai que les révolutionnaires ont troqués tracts et syndicats contre Facebook et Twitter, ces armes peuvent toujours se retourner contre eux.

Dimanche 27 mars, j’ai rendez-vous à Paris avec Fabrice Epelboin, l’éditeur du site ReadWriteWeb qui vient de rendre son dernier souffle. Evoquer le pouvoir révolutionnaire d’Internet avec ce scientifique de formation est passionnant pour deux raisons : numéro un, l’homme a édité les textes du blogueur tunisien Slim Amamou et a lancé un WikiLeaks tunisien, Tunisie Leaks. Numéro deux, il n’est pas que censuré pour son engagement sur la toile ; il est traqué. Quand je lui demande s’il habite près de notre lieu de rendez-vous, il répond, laconique : « Je n’ai plus vraiment de « maison » en France. Depuis le début de la révolution tunisienne, je suis suivi et mis sur écoute. J’ai reçu des menaces légères mais très claires. Je suis en quelques sortes un fugitif. »

Internet, arme à double tranchant

Qui de mieux pour comprendre le rôle paradoxal d’Internet dans les révolutions arabes, émancipateur et castrateur à la fois ? Quand la maison mère américaine du blog d’informations high tech décide de fermer sa version française, il écrit : « La participation active de l’édition Française et de plusieurs de ses auteurs à la révolution Tunisienne n’est pas forcément étrangère a cette soudaine décision. » Internet est un espace d’échange à la vocation neutre. Les dissidents des dictatures l’utilisent pour fomenter leurs révoltes, avec l’aide de soutiens comme ReadWriteWeb jusqu’à peu ou Cyberdissidents.org. Les despotes, éclairés ou pas, s’en servent pour les faire taire.

« Facebook et Twitter étaient les outils d’une jeunesse aussi seule que désœuvrée. Depuis quelques mois, on sait qu’ils ont été essentiels aux mouvements contestataires. On va bientôt comprendre qu’ils sont aussi une arme de choix pour précisément les mater », précise la journaliste Flore Vasseur sur France Culture le 22 mars. Eh oui, règle numéro un, dans le monde numérique, les frontières s’érodent, tant entre les nations qu’entre les systèmes politiques. Fabrice Epelboin distingue par exemple « les dictatures numériques issues de dictatures IRL (« In real life », ndlr) et celles issues de régimes démocratiques »… Comme les Etats-Unis. Anonymous avance que l’armée américaine vient d’investir 2,76 millions dans un programme de cyber-influence. Pendant ce temps, le Wall Street Journal révèle que les entreprises américaines MacAfee et Blue Coat Systems vendent leurs services de filtrage d’Internet aux régimes d’Arabie Saoudite et de Bahreïn. La France, avec les lois Hadopi et Loppsi, et l’Espagne avec le vote récent de la loi Sinde, ne sont pas mieux loties. En décembre 2009, le magazine Books titrait « Internet contre la démocratie ». A l’intérieur, un article d’Evegueni Morozov, spécialiste américain d’origine biélorusse sur les nouveaux médias, listait toutes les manœuvres des dictatures, de la Biélorussie à la Chine en passant par l’Iran et la Birmanie, pour contrôler et étouffer toute velléité contestataire.

Les putchistes sont des geeks

Voilà pour le côté obscur d’Internet. Celui-ci est assez peu évoqué en ces temps de « révolution numérique », de « révolution 2.0 » et autres slogans accrocheurs du moment. Oui, c’est vrai, sans Facebook et Twitter, pas de révolte en Moldavie, pas de contestation en Iran, pas de peuple violet en Italie ni de vague révolutionnaire au Maghreb. Les héros des révolutions tunisienne et égyptienne s’appellent Slim Amamou, militant de l’internet libre et blogueur, et Wael Ghonim, chef du marketing pour Google dans le Moyen-Orient et blogueur. Loin des généraux à la Nasser, les putchistes du XXIe siècle sont des geeks. Calé devant son café vide, Fabrice Epelboin use du détour historique pour me faire comprendre l’importance de l’outil numérique dans les changements actuels : « Le rôle d’Internet en Tunisie est le même que celui qu’a joué l’imprimerie pour la Révolution française. La différence, c’est que là où il a fallu 200 ans pour que l’imprimerie de Guttenberg débouche sur la révolution française, 20 ans auront suffit pour que l’arrivée du web entraîne le départ de Ben Ali le 14 janvier 2011. » Indéniablement, révolution numérique et révolution politique se sont combinées pour aboutir au résultat du départ de Ben Ali le 12 janvier 2011 et celui de Moubarak le 11 février. Encore faut-il avoir le bon décodeur pour comprendre en quoi l’outil accompagne-t-il l’histoire.

Grille de lecture

Premier rappel important : « Ce sont des hommes qui sont descendus manifester, pas des ordinateurs portables », souligne Fabrice Epelboin. Plus important, sous un régime dictatorial, les spectateurs européens ne peuvent savoir ce qui se passe qu’à travers un filtre médiatique bien impuissant. Là-dessus, Fabrice est impitoyable : « La France est le premier partenaire commercial de la Tunisie. Les intérêts croisés sont multiples entre les deux pays et on a eu affaire à une censure pure et dure où la presse française s’est tue jusqu’au dernier moment et où les politiques ont soutenu Ben Ali jusqu’à son départ… Bon, ce n’était pas un black-out total, France24, Libération ou Rue89 en ont parlé avant le 14 janvier, mais malgré nos coups de fils répétés à toutes les rédactions, la grande majorité ont attendu le renversement du pouvoir pour aborder la question. » Censure d’un côté, méconnaissance d’internet de l’autre : « Lors de la révolution verte iranienne en 2009, Twitter a été utilisé pour sortir de l’information à l’extérieur. Point barre. Après les journaux ont avancé que ce réseau social avait servi d’outil de coordination au mouvement de révolte. Tout cela est faux. Le problème c’est que les journalistes qui comprennent les nouvelles technologies en France se comptent sur les doigts de la main. » C’est donc sur Twitter que le blogueur égyptien Ramy Raoof a précisé que « la révolution 2.0, la révolution Facebook, la révolution Twitter sont des expressions dénuées de sens ».

La guerre du net aura bien lieu

Pour parler d’e-révolution, comme l’a fait le magazine en ligne espagnol Periodismo Humano à propos de la situation syrienne le 5 avril, mieux vaut donc utiliser un vocabulaire militaire. Car c’est bien d’une lutte qu’il s’agit. En Syrie, Facebook est officiellement interdit. Mais il était toujours possible de surfer en masquant son numéro de DNI, avec l’aide de TOR par exemple, une plate-forme qui permet de préserver son anonymat face à la surveillance numérique. Récemment, Facebook a été autorisé, et tout est allé très vite : « Sans Internet, nous n’aurions pas pu voir les vidéos et les images des crimes du régime d’Asad. Internet a actionné le premier mouvement quand les membres des groupes anti-Asad ont manifesté à Damas le 15 mars. Quand les médias ont repris les vidéos des manifestations postées sur Internet, plus de Syriens les ont vues, et ça a aidé à rompre le mur de la peur » a révélé Ahed al Hendi, responsable de la section du monde arabe à Cyberdissidents.org, sur Periodismo Humano. Alors si Internet est l’imprimerie du printemps arabe comme l’avance Fabrice Epelboin, reste à ne pas le laisser entre les mains des clercs, lesquels peuvent toujours utiliser cette arme à mauvais escient. Et personne ne souhaite revivre la Terreur après avoir vu l’espoir levé par le printemps révolutionnaire.

Pour aller plus loin :

Les archives du site français ReadWriteWeb

Le site de Cyberdissidents

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