Barcelone appartient aux lève-tôt
Les autres se bousculent, s’évitent, se frottent, joies de la masse fluide et incessante qui envahit les rues du centre catalan, ses boutiques et ses bars. Rafael Argullol, écrivain auteur de Visión desde el fondo del mar, en est même arrivé à parler d’un banc sur les pages d’El País. Oui, un banc. Il ne voulait pas revenir sur les génies qui ont foulé le sol de la capitale catalane, de Gaudi à Dalí en passant par Antonio Tàpies. Ni aux monuments, à la folie architecturale de la ville de son cœur. Juste un banc. Parce que lorsqu’on habite quelque part en Espagne, il est très important de pouvoir traîner dans la rue, parler à ses voisins et s’asseoir sur des bancs. C’est comme ça. Un banc en dit plus long que des pierres vieilles de plusieurs siècles, pas en termes de patrimoine mais sur la manière dont les gens habitent l’espace urbain. Et à Barcelone, les gens n’habitent plus l’espace, ils l’évitent. Malgré eux. « La más grave confusión de Barcelona ahora -y también, quizá, sea el caso de Madrid- es la de dar prioridad a la ciudad de los visitantes sobre la de los habitantes. » (« La pire confusion actuelle de Barcelone -et c’est peut-être aussi le cas de Madrid- est de donner la priorité à la ville des visiteurs sur celle des résidents« )
L’écrivain raconte tout tristoune comment ce banc était réchauffé par les fesses de son père jadis, et probablement par celles du père de son père, et qu’il a été délogé pour installer une énième terrasse vulgaire et impossible à différencier de celles qui l’entourent.
L’autre jour, je me suis levé très tôt, chose rare. Un coup à déambuler dans les rues vides du Barrio Gótico, croiser un vieux qui essaie de se moucher pendant trois minutes, des ouvriers qui jouent aux cartes sur des marches, une vieille bigleuse qui parle avec elle-même en attendant l’ouverture de la boucherie… J’ai eu pour la première fois l’impression de ne croiser que des gens d’ici (je n’y vis que depuis 3 semaines), pas de marée humaine cosmopolite descendant les artères du centre-ville appareil photo et porte-feuille en mains. Il faut se lever tôt pour pouvoir squatter un banc à Barcelone.
Réagissez, débattons :