La fragile « troisième voie » de la société civile à Idlib, en Syrie
Opposants de la première heure au régime, les membres de la société civile d’Idlib sont aujourd’hui en lutte contre Al-Nosra, et profitent de l’accalmie des bombardements pour construire leur avenir.
« Le peuple est plus fort que vous », « dehors, dehors, dehors, les chabiha (miliciens pro régime, NDLR) dehors », crient plus de mille civils réunis face aux combattants du Front Al-Nosra sur la place centrale de Maarat al-Numan, ville de la province d’Idlib, située au nord-est de la Syrie.
Soudain, les hommes armés et encagoulés du groupe djihadiste ouvrent le feu et les civils s’éparpillent, avant de revenir encore plus nombreux et déterminés.
Début juin, des manifestants pacifiques ont envahi les rues de cette ville de 80 000 habitants pour dire non à la présence du groupe djihadiste. Présent sur place, Salem (1) raconte à travers l’application WhatsApp : « Les combattants d’Al-Nosra ont pénétré dans la ville et des affrontements ont éclaté avec la 13edivision de l’armée syrienne libre (ASL). Les habitants sont sortis pour protester contre les violences et faire juger les criminels. Au deuxième jour des protestations, Al-Nosra a tiré en l’air, puis sur la foule. Le lendemain, les civils ont obtenu le retrait des barrages dans la ville et le départ d’Al Nosra. »
« Le peuple tient tête à nos côtés face à Al-Nosra »
En 2011, les habitants d’Idlib se soulevaient contre la répression violente par le régime syrien des manifestations pacifiques. Six ans plus tard, alors que la province est aux mains des rebelles depuis avril 2015, c’est désormais contre Hayat Tahrir al-Cham, la coalition dirigée par Al-Nosra, que la société civile résiste.
Lieutenant-colonel de la 13e division de l’ASL, qui contrôle Maarat al-Numan depuis 2012, Ahmad Saoud précise que la contestation contre Al-Nosra ne date pas d’hier : « En 2016, les citoyens de Maarat al-Numan ont organisé une ’’campagne de résistance civile’’ contre le groupe djihadiste qui a duré plus de cent jours. Les membres de la 13e division sont tous originaires de la ville et nous respectons le travail du conseil local : c’est pourquoi le peuple tient tête à nos côtés face à Al-Nosra », dit-il au téléphone.
Idlib compte aujourd’hui 144 conseils locaux, chargés de fournir les services publics à près de 2 millions d’habitants, dont 700 000 déplacés internes. Dans de nombreux villages, ces organisations de la société civile ont été supplantées par la branche humanitaire d’Al-Nosra ou d’Ahrar al-Cham, l’autre groupe armé islamiste de la province, concurrent d’Al Nosra.
Une région épargnée par les bombardements russes et syriens
Mais dans les grandes villes comme Maarat al-Numan ou Idlib, les conseils locaux continuent d’imposer leur troisième voie, entre le régime syrien et les radicaux : « Nous n’avons pas les moyens de nous opposer aux groupes armés, mais nous tirons notre force du peuple qui nous a élus et qui nous juge sur nos accomplissements », ajoute Ismaïl Aindani, président du conseil d’Idlib, qui fournit l’eau, l’électricité, le pain et les transports à ses concitoyens.
Depuis le 4 mai 2017, date d’entrée en vigueur des « zones de désescalade » dont Idlib fait partie, la province est épargnée par les bombardements des forces aériennes russe et syrienne.
Une mesure prise conjointement par la Russie, l’Iran et la Turquie lors des négociations d’Astana. « Le conseil local d’Idlib en a aussitôt profité pour rénover les places publiques, les parcs, les rues, afin de faire revenir la vie dans nos quartiers », se félicite Ismaïl Aindan.
« Nous pouvons enfin construire notre avenir »
Membre de l’ONG Violet Syria, Nour Awad abonde : « Avant, nous répondions juste à l’urgence humanitaire créée par les bombardements. Désormais, nous assurons des formations professionnelles, nous rénovons les écoles… Nous pouvons enfin construire notre avenir », dit-il par WhatsApp.
Directeur de l’association de soutien aux médias libres (ASML), qui prépare une formation de femmes reporters à Idlib, Armand Hurault insiste sur le rôle de la société civile locale : « Il y a une compétition entre les groupes armés et l’administration civile : qui aura le contrôle final des territoires ? Rien n’est encore sûr. »
Article publié dans La Croix le 17 juillet 2017.
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