Le Liban s’enfonce dans la crise des déchets
Les dangers sanitaires et environnementaux liés à la crise des déchets sont alarmants.
Les piétons se couvrent la bouche avec la manche de leur veste, les fenêtres des voitures se ferment, chacun se protège comme il peut de la fumée blanche qui s’élève du pont de Maameltein, sous lequel brûlent des tonnes de déchets entassés là depuis des mois.
Le 1er décembre, une étude menée sous la direction de Najat Saliba, responsable du groupe de travail sur la gestion des déchets à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), a révélé la présence de taux alarmants de gaz cancérigènes à proximité des ordures brûlées en plein air, une pratique désormais courante au Liban. Le risque de cancer y toucherait 37 adultes et 186 enfants par million d’habitants !
Absence de solution à la gestion des déchets
« Les Libanais se sont habitués à ces déchets, comme ils se sont accoutumés à vivre avec des coupures d’eau et d’électricité », soupire Assaad Thebian, l’un des fondateurs du mouvement citoyen « Vous Puez ». Celui-ci a été créé pour dénoncer l’absence de solution durable à la gestion des déchets ménagers, depuis la fermeture de la décharge de Naameh, le 17 juillet dernier.
Après des dizaines de manifestations, une occupation du ministère de l’Environnement, une grève de la faim, de nombreux militants pacifistes battus et arrêtés par les forces de l’ordre, le jeune militant est sceptique. Le 19 décembre, une nouvelle manifestation est organisée à Beyrouth, mais quel est le bilan de tant d’efforts ?
Homme de théâtre et activiste de « Vous Puez », Lucien Bourjeily se veut réaliste : « L’image de nos leaders politiques est écornée. Les Libanais ont compris que ce sont les premiers responsables de la tragédie environnementale et humaine que l’on subit. »
Une piste autour du tri et du recyclage
Selon Bassam Sabbagh, chef du service de l’environnement urbain au ministère de l’Environnement : « Il y a plusieurs solutions sur la table, mais aucune n’est adoptée, car les politiques veulent une issue dont ils puissent tirer profit. Fin août, ils ont refusé une offre de six entreprises privées, l’estimant trop chère. Depuis, les négociations tournent autour d’un projet d’exportation des déchets qui coûterait le double. Pourquoi ? Car ils pourront toucher une commission », dit-il.
Il existe pourtant une alternative durable, qui passe par le tri à la source et le recyclage. « Les municipalités de Dekouané, Baabda, Ajaltoun, Antoura, Rabieh, Bikfaya et d’autres, demandent déjà à leurs habitants de faire le tri. Nous avons créé un guide pour les accompagner et un centre de tri pour illustrer les meilleures pratiques à reproduire », affirme Christ de Sarkissian, de l’ONG Arc-en-Ciel.
Mais le ciel se fait de nouveau menaçant. Depuis un mois, la pluie accroît les dangers liés aux décharges sauvages : « Nous courrons un risque élevé de voir le lixiviat, liquide filtrant par percolation des déchets, atteindre les nappes phréatiques. Si cela arrive, il faudra des années pour nettoyer les nappes des polluants contenus dans ce liquide », s’inquiète Christian Khalil, spécialiste de la toxicité de l’eau à l’Université Libano-Américaine (LAU).
Article publié dans le journal La Croix le 18 décembre 2015
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