Au Liban, l’école ou la rue pour les enfants syriens
Au Liban, l’école est le seul moyen pour les 500 000 jeunes réfugiés syriens de rester des enfants. Cette année, plus de la moitié en sont privés. Reportage.
Perché au septième étage sans ascenseur d’un immeuble en construction du camp de réfugiés palestiniens de Beddawi, Mohammad el-Massoud, 11 ans, s’apprête à aller vendre des mouchoirs dans la rue. Parmi les six frères de cet enfant né au nord de la Syrie et réfugié au nord du Liban depuis deux ans, la moitié s’échinent à trouver de maigres gagne-pain pour permettre aux autres de se rendre à l’école.
Lui, il fait les deux. Le matin, ses paquets de mouchoirs en main, il traverse les ruelles bondées d’enfants palestiniens, libanais et syriens. Il passe devant le garage où Abdel Rahman, un gosse de 13 ans originaire de Homs, repeint les voitures depuis trois ans. Puis il sort héler les passants et les chauffeurs sur le boulevard qui longe l’entrée du camp. A 250 livres libanaises le paquet (16 centimes), il peut ramener l’équivalent de deux sacs de pains s’il en vend dix.
Ecoliers travailleurs
L’après-midi, Mohammad refait le même trajet, sac en bandoulière, direction l’école pour enfants syriens Tuyoor el-Amal («Les Oiseaux de l’espoir»), située au bout de la rue.
Cette année, l’établissement ouvre ses portes à 2000 enfants syriens, âgés de 3 à 16 ans. Son directeur, Mustafa al-Haj, a plus que doublé le nombre d’inscrits, sans être sûr de pouvoir payer le personnel: «L’an dernier, je n’ai pu accueillir que 700 écoliers», dit cet homme de 31 ans, originaire d’Idlib. «Or beaucoup de Syriens venaient dans mon bureau avec leur marmaille pour que je les aide. Alors pour la rentrée 2015, j’ai loué un deuxième établissement scolaire pour en accueillir plus. Ceux dont les parents ne peuvent pas payer les 40 dollars de frais d’inscription (38 francs), je les inscris gratuitement. Pas question de laisser un enfant hors de l’école cette année!» assène cet ancien professeur d’école à Damas.
«D’abord leur sœur, leur confidente»
Dans le brouhaha de la cour de récréation ou dans le silence d’Eglise des salles de classe, Mohammad est entouré d’enfants qui, comme lui, vivent déjà comme des adultes: «Beaucoup de mes élèves travaillent à côté. Ils sont porteurs dans les marchés ou vendeurs à la sauvette», confie Ala, l’une des institutrices de l’école. «Mais surtout, il y a des orphelins, des traumatisés de la guerre. Mon rôle est d’abord d’être leur mère, leur sœur, leur confidente. Après seulement, je suis leur enseignante», ajoute la jeune Syrienne de 25 ans, elle- même réfugiée.
Entre les horreurs qui ont poussé leur famille à fuir la Syrie et les difficultés de leur quotidien au Liban, les réfugiés syriens en âge d’être scolarisés vont à l’école pour apprendre, mais aussi pour redevenir des enfants: «Toute la journée, ils restent enfermés dans la pièce unique que leur famille a pu louer. Ils n’ont pas de jouets ni de loisirs et beaucoup travaillent. D’un coup, l’école leur fait rencontrer des amis et les fait sortir de cette prison qu’est leur vie de réfugiés. Pour eux, c’est comme un rêve», souligne Mustafa al-Haj.
L’effort du Liban
Le pays du Cèdre accueille plus d’un million de réfugiés syriens. Plus de 500 000 d’entre eux ont l’âge d’aller à l’école cette année, selon Rana Zakhia, responsable du programme «Retour à l’école» à Unicef. «L’an dernier, 106 000 non-Libanais se sont inscrits dans 144 écoles publiques libanaises. Cette année, 259 écoles accueilleront 200 000 enfants syriens», dit-elle avec fierté.
Alors que la crise des réfugiés s’est enfin invitée à l’agenda européen après la mort tragique du petit Aylan au large des côtes turques, le Liban gère depuis quatre ans la plus grande proportion de réfugiés au monde. Or pour la première fois, les écoles publiques ouvrent grand leurs portes aux Syriens. «Il y a clairement des changements très positifs, assure Maha Shuayb, chercheuse spécialisée sur l’éducation au Centre pour les études libanaises. «Les années précédentes, beaucoup de barrières administratives empêchaient les Syriens de passer leurs examens dans le système scolaire libanais. Elles ont toutes été levées.»
A l’heure actuelle, il manque toujours 36 millions de dollars (34 millions de francs) pour atteindre l’objectif de 200 000 enfants syriens scolarisés annoncé par le Ministère de l’éducation. Reste à savoir si tous les Syriens ont inscrit leurs enfants.
«Les autorités ont répondu à l’enjeu de l’accès. Reste à répondre à celui de la qualité, alerte Maha Shuayb. La perception générale est que dans les cours de l’après-midi, réservés aux Syriens, on n’apprend rien. L’an dernier, seuls 19% des enfants libanais se sont rendus à l’école publique dans le primaire. Pourquoi les Syriens s’y rendraient si les Libanais la fuient?»
S’adapter à l’exil
Malgré la bonne volonté des autorités libanaises, plus de la moitié des 500 000 enfants syriens du Liban resteront sans éducation cette année. Les établissements comme Tuyoor el-Amal permettent aux exclus du système scolaire libanais de ne pas se retrouver à la rue. Mais s’il était jusque-là partisan du cursus syrien pour ne pas déboussoler les enfants, Mustafa compte désormais appliquer le programme libanais, plus porté sur les langues étrangères. C’est le seul moyen pour que ses écoliers puissent obtenir un diplôme reconnu par l’Etat et poursuivre des études supérieures. Alors cette année, même les élèves de maternelle vont se coller à l’anglais. Parmi eux, Isra el-Khaled, 5 ans, pourra ainsi quitter chaque jour la pièce unique que ses parents ont transformée en foyer il y a trois ans, lorsqu’ils ont fui la ville de Homs. Son frère de 6 ans, lui, ne bougera pas. Après deux ans à vivre sous les bombes, il a perdu l’usage de la parole et la raison.
Pour plus d’informations sur l’école Tuyoor el-Amal: la page facebook, avec le contact de Mustafa al-Haj pour effectuer des dons en ligne.
Article publié le 11 décembre dans le journal suisse Le Courrier
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