A Khanaqin en Irak, les réfugiés pris en étau entre djihad et sectarisme
L’offensive des djihadistes de l’EIIL en Irak et au Levant se poursuit, et de nombreux civils ont dû fuir les combats. Certaines familles se sont réfugiées à Khanaqin, ville majoritairement kurde située à l’est de l’Irak. Reportage.
Depuis le 11 juin dernier, Sarmad, responsable du HCR dans la province de Diyala, n’a pas goûté au repos. Après les premiers affrontements entre l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) et les armées irakienne et kurde dans les villes de Jaloula et Saadiya, quelques 2500 familles, prises entre deux feux, sont arrivées les poches vides dans la ville à majorité kurde de Khanaqin, 180 000 habitants, entourée de vergers bucoliques qui cachent mal une histoire de déplacements forcés.
En hâte, il a fait dresser des tentes, installé des citernes d’eau et des sanitaires. « Je cuisine trois repas par jours pour les familles », livre de son côté Adnan Mohammed Ali, le cheikh de la ville. Il fait partie des milliers de Kurdes expulsés de Khanaqin dans les années 1970, victimes de la campagne d’arabisation menée dans les zones kurdes par le régime de Saddam Hussein. Revenu depuis 2003, il a pris la tête de l’aide aux familles de déplacés arabes, sans rancoeur.
« Dans la province, les chiites et les sunnites s’entendent bien, j’ai aussi de bons amis kurdes, assure Anwar, une jeune fille de 18 ans qui a dû fuir Saadiya en pleine période d’examens. Ici, personne ne partage les idées de l’EIIL. Si beaucoup se sont soulevés contre l’armée avec les djihadistes, c’est qu’elle avait mis le feu à la prison et avait détruit la mosquée de la ville avec la complicité d’une milice chiite. Tout le monde avait un proche emprisonné pour rien; ils l’ont vu mourir dans les flammes », assure-t-elle sous la chaleur étouffante d’une tente de l’UNHCR.
Le maire de Khanaqin acquiesce: « Les sunnites ont été persécutés par le pouvoir chiite; ce n’est pas étonnant que les tribus sunnites locales et d’anciens membres du parti Baas, aux commandes du pays pendant 30 ans, s’allient aujourd’hui avec l’EIIL », dénonce Mohammad Amin, un homme râblé aux attributs kurdes, moustache, pantalon large et pistolet glissé sous la ceinture, bien en évidence.
Al-Qaïda en Irak, ancêtre de l’EIIL, avait fait de la province de Diyala l’une de ses places fortes, avant d’être évincé en 2008 par les armées irakienne et américaine. Avec le retrait de celle-ci en décembre 2011, le groupe terroriste est revenu en terrain connu, avec à sa tête Abou Bakr el-Baghdadi, fils du pays.
Le pétrole, enjeu stratégique majeur Face à l’EIIL, les Kurdes se sont déployés pour préserver les intérêts stratégiques de la zone: « Le nerf de la guerre, c’est le pétrole(le gisement de Khanaqin produit 16 000 barils par jour). Mais pour nous, c’est surtout un territoire qui revient historiquement aux Kurdes. » Une région disputée avec le gouvernement irakien depuis une décennie, que les peshmergas(l’armée kurde) ont rattaché de facto au Kurdistan il y a trois semaines. « L’armée irakienne a pris la fuite, ce qui a permis aux djihadistes de s’emparer de Jaloula et Saadiya. Nous avons repris 90% de Jaloula, mais l’EIIL tient toujours Saadiya », explique Mustafa Chawrash, commandant peshmerga dans la province de Diyala.
Les combats se poursuivent entre combattants kurdes et l’EIIL au nord de Baqouba, dernière grande ville avant la capitale. L’effort des peshmergas sert donc aussi la survie de Bagdad.
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Publié sur L'Express le 30 juin 2014.
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