La gauche grecque face à l’histoire

Moins médiatisée que l’extrême droite, la gauche de la gauche pourrait devenir la troisième force de l’europarlement. L’effet Syriza en Grèce se propage, notamment à la Belgique.

Le succès de Syriza aux élections locales grecques dimanche dernier va-t-il amplifier la tendance? La coalition de la gauche radicale menée par Alexis Tsipras a le vent en poupe depuis deux ans et pourrait profiter du scrutin européen du 25 mai pour devenir le premier parti du pays. Un cas unique dans l’Union européenne mais qui traduit pourtant la réelle poussée des forces situées à la gauche des Partis socialistes. Outre la Grèce, l’Espagne, l’Irlande, les Pays-Bas et même la Belgique devraient voir un renforcement des mouvements qui portent le refus des politiques d’austérité, parfois imposées par la social-démocratie elle-même.
Le site européen PollWatch2014, qui actualise régulièrement les intentions de vote, pronostique un futur groupe d’eurodéputés rouges/verts de quelque 52 membres contre 36 actuellement. On est encore loin des 209 sociaux-démocrates ou des 212 conservateurs projetés, mais le groupe Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL) talonne de près les libéraux, jusqu’à présent troisième groupe de l’europarlement1, et passe nettement devant les Verts. Etat des lieux en Belgique et en Grèce. Benito Perez

Vendredi 16 mai, veille du premier tour des élections municipales et régionales grecques, Dimitris distribue des flyers pour Antarsya, devant la façade classique de l’Académie d’Athènes. Le stand de ce mouvement anticapitaliste fait triste mine face au kiosque électoral géant de Syriza, situé de l’autre côté du boulevard Elefthérios Venizélos. De son côté de la rue, Dimitris reproche à ses concurrents de la gauche alternative  de «ne plus chercher qu’à s’emparer du pouvoir. Au point d’accepter d’anciens membres du PASOK (Parti socialiste grec, ndlr) dans leurs rangs!» s’insurge l’ingénieur. De l’autre, Rania, militante de Syriza et professeure d’anthropologie sociale, est plus pragmatique: «Bien sûr, cette stratégie d’ouverture crée des tensions au sein de Syriza. Mais nous sommes face à un moment historique où nous devons prendre des risques!»

Crédit photo: Emmanuel Haddad

Crédit photo: Emmanuel Haddad

Des risques payants. Si en 2009, la Coalition de la gauche radicale, alias Syriza, n’avait obtenu que 4,7% des voix aux élections européennes, la grande inconnue du scrutin de 2014 tient dans l’étendue de sa victoire sur les autres partis. Les sondages lui donnent autour de 27%, soit trois à cinq points d’avance sur le parti conservateur Nouvelle Démocratie (ND), dont le président est l’actuel premier ministre, Antonis Samaras. Le PASOK, lui, ne recueille que 5,5% des voix.

«Une victoire historique», se réjouit d’avance le journaliste Nikos Xidakis, candidat de la coalition aux européennes. «Si notre avance sur ND dépasse 3%, nous appellerons à des élections anticipées», dit celui qui, au civil, dirige la rédaction du quotidien conservateur (!) Katherimini. Selon lui, «le parti de gauche a été sage de s’ouvrir aux déserteurs des partis traditionnels. Les autres formations de gauche veulent préserver leur pureté; un luxe que l’on ne peut s’offrir dans l’état d’urgence actuel.»
Dimitri Sotiropoulos, professeur de sciences po à Athènes, abonde: «Ce vote n’est pas juste un vote de gauche. Syriza a su incarner les angoisses et la résistance des Grecs face à l’effondrement de leur niveau de vie. Ses électeurs viennent autant du Parti communiste que des socialistes, voire de la droite.»

Abattre la corruption

Le succès électoral de Syriza marque «la fin de la Metapolitefsi», annoncée par le politologue Christos Lyrintzis, en référence à la domination du PASOK et de Nouvelle Démocratie depuis la fin de la dictature en 1974. Les transfuges du PASOK vers Syriza sanctionnent une gestion de la crise par le parti social-démocrate entachée de scandales. Au point que Georges Papandréou, ex-premier ministre et président du parti, a reconnu devant les députés en 2012: «Notre système politique est responsable collectivement de tous les fonctionnaires que nous avons embauchés par favoritisme, des privilèges que nous avons accordés par la loi, des syndicalistes et des hommes d’affaires que nous avons favorisés et des voleurs que nous n’avons pas mis en prison.»

Crédit photo: Emmanuel Haddad

Crédit photo: Emmanuel Haddad

Syriza, «un parti qui a toujours été perçu comme honnête, même avant son succès électoral», rappelle Theodora Kotsaka, chercheuse à l’Institut Nikos Poulantzas, incarne donc l’espoir d’un changement. «Certes, son leader Tsipras est charismatique, mais au-delà, c’est la rencontre de cette personnalité avec une opportunité historique, qu’il a eu le courage de saisir, qui explique le succès de Syriza», ajoute-t-elle.

Alexis Tsipras incarne le refus du mémorandum de la dette, signé par la Grèce en mai 2010 avec la Troïka (les bailleurs de fonds de la Grèce: BCE, FMI et UE). En quatre ans, la Grèce a vu son PIB diminuer de 26%, son taux de chômage passer de 9,5 à 27,6%, les salaires s’effondrer de 38% et les retraites de 45%. «Nous n’avons d’autre choix que de prendre le pouvoir, car la politique néolibérale est une mort lente pour les peuples grec et européen. Syriza est notre meilleure chance», estime Nikos Xidakis.

Faible marge de manœuvre
L’agenda européen est clair: «Un gouvernement Syriza va mettre un plan Marshall européen sur la table», et «requérir une conférence sur la dette européenne, à l’instar de la conférence de Londres qui a décidé d’effacer une large portion de la dette allemande en 1953», expliquait déjà le leader de 39 ans à Vienne en septembre dernier, avant de le réitérer le 15 mai lors du débat télévisé pour ­l’élection du président de la Commission européenne, dont il est le candidat de la gauche européenne.

Reste que les révélations du Financial Times sur le «plan Z», concocté dans le secret des institutions financières européennes pour prévoir la sortie de la Grèce de l’euro en 2012, laissent Nikos Xidakis prudent sur la possibilité de changer l’Europe: «Je sais que notre marge de manœuvre sera réduite au parlement européen; c’est entre les Etats que se fait l’Europe. Mais nous nous battrons pour faire de cette percée de la gauche européenne le début d’un changement profond.»

Article publié dans Le Courrier mardi 20 mai 2014, à la veille des élections européennes.

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