Un président sous influence

 

Le début des élections présidentielles annonce un bras de fer entre l’Iran et l’Arabie saoudite, devant lequel les citoyens libanais sont réduits au rôle de spectateurs.

«Quel candidat présidentiel est le plus proche des attentes du peuple libanais?» A la question posée par le site d’information «Now Lebanon», sur une page dédiée aux élections présidentielles dont le premier tour débute aujourd’hui, les internautes libanais se sont prononcés en majorité en faveur de Ziad Baroud. Un sondage symbolique, car cet ancien ministre de l’Intérieur, sensible aux revendications des mouvements sociaux, ne s’est pas porté candidat. En outre, le peuple libanais n’aura pas son mot à dire dans le choix de son futur président, chrétien maronite depuis le Pacte national de 1943. «L’homme politique qui correspond le plus à nos aspirations serait Ziad Baroud, mais on sait qu’il n’a aucune chance d’être choisi», affirmait à «La Liberté» une responsable du syndicat
des enseignants privés après une journée de grève début avril, amère.

Elu par les députés 

Car au Liban, le nom du futur chef de l’Etat n’est pas déposé dans les urnes par les citoyens mais élu par les députés, après avoir été discrètement adoubé au sein des arcanes diplomatiques, entre Riyad, Téhéran, Washington et Damas. «La seule élection présidentielle qui ait été libanaise à 90% a eu lieu entre Elias Sarkis et Suleiman Frangieh. C’était en 1970», assure Charles Saba, chercheur au Centre Issam Fares pour le Liban. Le reste du temps, le choix du futur président a toujours été lié aux intérêts des puissances régionales et internationales, dans un pays où seuls quatre présidents sur dix-neuf ont été élus sans la présence de forces militaires étrangères. Alors quand Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, parti chiite créé grâce au soutien de l’Iran au début des années 1980, annonce que «nous avons l’opportunité d’élire un président made in Lebanon», les Libanais privés de vote ont de quoi rester perplexes.

Crédit photo: Emmanuel Haddad

Crédit photo: Emmanuel Haddad

Deux blocs
Selon l’article 49 de la Constitution libanaise, «le président de la République est élu, au premier tour, au scrutin secret à la majorité des deux tiers des suffrages par la Chambre des députés. Aux tours de scrutin suivants, la majorité absolue suffit.» Or obtenir le soutien des deux tiers des députés semble mission impossible, au sein d’une classe politique déchirée depuis 2005 entre deux blocs antagonistes, le 8 mars dominé par le Hezbollah («le Parti de Dieu») et le 14 mars, réuni autour du Courant du futur de Saad Hariri (fils de l’ex-premier ministre Rafic Hariri, assassiné en 2005, dont les meurtriers présumés, membres du Hezbollah, sont jugés par contumace par le Tribunal spécial pour le Liban). «C’est pour cela qu’il faut des garants internationaux pour tomber d’accord sur un président», explique Charles Saba. «Après 1990, sous la domination syrienne, le chef d’Etat libanais était directement choisi à Damas. Mais la Pax syriana a été brisée par la Révolution des Cèdres en 2005, après l’assassinat de Rafic Hariri. Le rôle de faiseur de président revient désormais à l’Iran et à l’Arabie saoudite, soutiens respectifs du 8 mars et du 14 mars.»

Au profit du Hezbollah
Or depuis quelques mois, un début de rapprochement semble s’opérer entre les deux puissances régionales chiite et sunnite. Au Liban, cet apaisement s’est traduit par l’émergence d’un gouvernement réunissant le 8 et le 14 mars le mois dernier, ainsi que la mise en place d’un plan de sécurité dans les régions du nord et de l’est, jusqu’ici perméables aux répercussions du conflit syrien. Alors que le rapport de force libanais dépend de l’issue de la crise syrienne, où Téhéran et Riyad mènent une guerre par procuration, le régime syrien de Bachar al-Assad semble en passe de prendre le dessus au niveau militaire, grâce au soutien du Hezbollah, au point d’annoncer la tenue d’élections présidentielles début juin. «La situation en Syrie évolue au profit du Hezbollah, ce que l’Arabie saoudite et le 14 mars ne peuvent pas ignorer. En d’autres termes, Samir Geagea n’a aucune chance de devenir président», résume Charles Saba. Samir Geagea, candidat officiel du 14 mars, ancien chef de milice pendant la guerre civile, est hostile à tout rapprochement politique avec le Hezbollah. Ceux qui «parient sur l’élection d’un président anti-résistance et anti-Syrie» doivent «cesser ces paris», ont statué le vice-président du Conseil exécutif du Hezbollah, cheikh Nabil Kaouk, dimanche, à propos du candidat à la moustache. Michel Aoun, chef du Courant patriotique libre allié au Hezbollah et pressenti pour être le candidat du 8 mars, n’a pas encore officiellement déposé sa candidature.

Crédit photo: Emmanuel Haddad

Crédit photo: Emmanuel Haddad

En 2008, il a fallu 20 sessions et six mois de vacance au pouvoir avant que Michel Sleiman ne soit adoubé, par l’entremise du Qatar. A partir d’aujourd’hui, un scénario peu ou prou identique risque de se reproduire, selon Charles Saba: «Aucun candidat ne va obtenir les deux tiers des voix avant le 25 mai, échéance du mandat du président actuel. Puis l’Iran et l’Arabie saoudite vont essayer d’obtenir un président proche de leurs intérêts. Ce bras de fer va durer longtemps, peut-être jusqu’aux élections législatives prévues en novembre prochain.»

Article publié le 23 avril 2014 dans les journaux suisses Le Courrier et La Liberté.

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