Les migrants nigériens nostalgiques de la Libye de Kadhafi

 

Pour les Nigériens, Mouammar Kadhafi était peut-être un tyran, mais ils n’ont jamais manqué de travail sous son régime. Désormais, ils risquent leur vie pour un emploi en Libye.

Deux cent soixante mille migrants nigériens refoulés aux portes de la Libye où ils travaillaient pour envoyer de l’argent à leurs familles restées au pays. C’est le décompte oublié de l’intervention de l’OTAN en Libye, débutée le 19 mars 2011. «Souvent, ils ont subi des évènements douloureux de pillage et d’expulsion et ont dû partir les mains vides», explique Fatou Ndiaye, responsable de projet au sein de l’Organisation internationale des migrations (OIM).

Abdoul Aziz était mécanicien à Tripoli quand la crise libyenne a démarré. Le travail ne manquait pas: «J’arrivais à 9 h le matin et je partais à 22 h!», explique-t-il sous l’arbre planté devant le siège du Collectif des rapatriés du Niger (CORNI), dont il est le vice-président. S’il est rentré, c’est pour deux raisons: «D’abord les bombardements de l’OTAN. Ensuite, ma femme, enceinte de sept mois.» Pour le reste, «Kadhafi a tout fait pour nous. Je n’ai pas eu besoin d’un seul visa en dix ans. Même s’il y avait du racisme contre les Africains subsahariens, le régime était bienveillant et empêchait les abus», assure-t-il. Adam Kadri, un autre rapatrié, est resté trois mois sous les bombes avant de finalement rentrer, «parce que ma mère me suppliait chaque jour au téléphone».

Car pour beaucoup de migrants rapatriés de Libye, dont 90% sont des hommes jeunes en âge de travailler, le retour au pays marque le début des ennuis. Le Niger est le dernier pays au monde en termes d’indice de développement humain, selon le classement du PNUD en 2013. Cette année, près de huit cent mille personnes sont en situation d’insécurité alimentaire, a récemment évalué le Bureau des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA). Chaque migrant de retour est une bouche à nourrir. Raison de plus pour leur retrouver du travail au plus vite: «A Tahoua, Tillabéry, Zinder et Niamey, nous avons mis en place deux mille deux cent vingt-cinq projets individuels de micro-entreprises et neuf cents projets communautaires. L’OIM suit les jeunes pendant un an avant de valider leur projet, pour vérifier que les 500 euros qu’on leur donne ne seront pas utilisés pour un futur voyage en Libye», précise Fatou Ndiaye.

Un objectif dur à tenir. Depuis le siège du CORNI, Abdoul Aziz essaye d’allumer les ordinateurs qu’il a reçus avec l’aide de l’OIM pour monter un cybercafé avec Omar Adamou, le coordinateur du Collectif. En vain. «Les trois machines qu’ils nous ont données ont tenu un mois et puis plus rien!», se plaint-il. De son côté, Adam Kadri a bien reçu du matériel pour devenir vulgarisateur grâce au programme de l’OIM, mais l’activité n’a pas suivi: «Ça fait deux ans que je suis rentré, j’ai tout essayé, mais il n’y a rien à faire ici. Désormais, je compte repartir en Libye», assure le Nigérien de 33 ans.

Le problème, c’est que dès décembre 2012, la Libye a fermé ses frontières avec le Niger. Depuis, les quelque quatre mille migrants ouestafricains qui tentent d’entrer en Libye chaque mois en passant par Agadez, la principale ville du nord du Niger, risquent soit d’être refoulés à la frontière, soit, pire, d’être enfermés dans les geôles libyennes. En mars 2013, tandis que Nicolas Sarkozy se rendait à Benghazi pour célébrer le bastion de la révolution libyenne, huit Nigériens étaient tués en Libye. Trois mille autres sont toujours détenus. Dans des conditions déplorables: «Un frère a été enfermé pendant trois mois. Ils ont dit qu’il était mercenaire de Kadhafi. En prison, ils l’ont tabassé et torturé. Quand il est rentré, on a dû l’hospitaliser; il était presque aveugle et souffrait de problèmes de nerfs», se souvient Omar.

«A terme, nous allons vérifier si le nombre de migrants en direction de la Libye diminue, ce qui montrerait qu’on a été capable de les décourager d’entreprendre un voyage désormais dangereux», envisage Fatou Ndiaye, avant d’ajouter un exemple de mauvais augure: «A Tellé, à côté de Zinder, j’ai compté cent rapatriés lors de mon premier voyage, précise-t-elle. Quand j’y suis retourné, ils n’étaient plus que cinquante…»

Article publié mercredi 22 mai sur le journal suisse Le Courrier.

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