L’Espagne lève le voile de l’information
Promesse électorale depuis 2004, la Loi sur la transparence de l’information est enfin sur les rails en Espagne. Une remise à niveau nécessaire en termes de droit d’accès à l’information publique. Mais la loi ne se montre pas vraiment à la hauteur des espoirs qu’elle a fait naitre dans un pays où les institutions ont toujours cultivé une relative opacité.
Les pouvoirs publics faciliteront, de préférence par des moyens électroniques, l’information dont la divulgation s’avère d’importance majeure pour garantir la transparence de leur activité, en tenant compte des limites présentées dans cette loi.
Huit ans qu’ils l’attendaient ! Huit longues années à mendier la concrétisation d’une promesse électorale du socialiste José Luis Zapatero, une première fois en 2004, puis réitérée en 2008, après sa réélection comme président du gouvernement espagnol… En vain. Jusqu’à ce Conseil des ministres du 23 mars, où le gouvernement conservateur dirigé par Mariano Rajoy a annoncé que l’avant-projet de loi sur la transparence serait mis en œuvre.
Cancre européen
C’est le soulagement dans les rangs de ceux qui ont soutenu ce projet, comme Jesús Lizcano, professeur d’économie financière à l’université autonome de Madrid et président de Transparency International en Espagne :
Mieux vaut tard que jamais. C’est absolument nécessaire pour améliorer la qualité de notre démocratie et la participation citoyenne… Et pour nous élever au niveau de nos voisins.
Car l’Espagne était le dernier pays d’Europe de plus d’un million d’habitants à ne pas disposer de loi sur la transparence. Reste Chypre, Malte et le Luxembourg. De quoi faire dire à un journaliste d’El Pais :
Le manque de transparence semble être quelque chose d’instauré dans la culture politique espagnole.
Les militants du droit d’accès des citoyens à l’information publique voient leurs efforts récompensés. Victoria Anderica, coordinatrice de la campagne d’Access Info Europe, une des entités pionnières de la coalition raconte :
En 2006, il y avait sept organisations dans la Coalición Pro Acceso [Coalition Pro Accès, ndlr]. Aujourd’hui, on compte 56 membres qui demandent une loi d’accès à l’information publique, parmi lesquels Access Info Europe, Amnistie International ou Ecologistas en Accion.
Six années de silence administratif et de promesses non tenues. “En 2010, nous avons fait une expérimentation, la campagne des 100 questions pour mesurer le niveau de transparence des administrations”, poursuit-elle. Les requêtes ne sont pas anodines : le nombre de soldats tués en Irak et en Afghanistan, les dépenses de la Présidence de l’UE ou de la candidature de Madrid aux JO 2016, ou encore les déplacements à l’étranger du maire de la capitale. Chaque fois, la même réponse qui ne vient pas : silence administratif. Victoria a calculé :
Au total, 50% de nos demandes ne reçoivent pas de réponse et parmi les réponses, seules 20% sont recevables.
Malgré les défauts du projet, l’important est d’aller de l’avant. Jesús Lizcano se montre optimiste :
Je pense, comme beaucoup d’observateurs, que le projet de loi ne met pas en place les instruments nécessaires pour instaurer une vraie transparence. Au niveau de la bonne gouvernance par contre, les progrès sont notables. Nous pouvons améliorer ce projet de loi grâce à la consultation publique.
Car l’Espagne a beau avoir du retard, elle tient à se placer à “l’avant-garde mondiale”, martèle-t-on au gouvernement. Les citoyens peuvent donc envoyer leurs propositions au législateur pendant quinze jours, lequel les prendra en compte pour le texte de loi final. Promet-on.
Droit à savoir
Les citoyens espagnols ont du pain sur la planche, tant les lacunes demeurent. Une pétition en ligne vient même d’être lancée pour obliger le gouvernement à proposer une nouvelle loi plus aboutie. Victoria est rebutée par les nombreuses exceptions prévues :
La Coalition Pro Accès propose dix principes minimum pour garantir le droit à l’information publique et le projet est loin de les inclure. En particulier le droit à l’information publique n’est pas défini comme un droit fondamental et il n’y a pas d’organe indépendant pour le défendre.
L’Agence espagnole de protection des données devient d’un coup de baguette magique l’Agence espagnole de protection des données et d’accès à l’information. C’est elle qui répondra aux réclamations. Le projet de loi [pdf] prévoit que :
En cas d’absence de résolution au bout de deux mois, la réclamation sera considérée comme rejetée.
Le directeur de l’actuelle Agence de protection des données, dite indépendante, est nommé par le gouvernement sur conseil du ministre de la Justice [pdf]. Le président de Transparency International en Espagne prévient :
Seul le Parlement peut refuser cette nomination à la majorité absolue. Ce qui est impossible actuellement. La politisation du projet est donc une entrave à la transparence1. Mais ce n’est pas la seule. Au sein de l’administration, les fonctionnaires ont l’impression de trahir leurs supérieurs en livrant une information au citoyen, d’où cette inertie qui domine. Dorénavant, ils vont devoir changer pour respecter la loi.
La formation des fonctionnaires sera un des deux défis pour faire de cette loi un succès. L’autre tient à l’envie des citoyens de s’informer. Là-dessus, tous les yeux sont tournés vers le Royaume-Uni, pionnier de l’open governement en Europe. La plateforme whatdotheyknow a beaucoup inspiré tuderechoasaber (“ton droit à savoir”, ndlr), un outil créé par les membres de la Coalición Pro Acceso pour que les citoyens puissent exercer leur droit à l’information de la manière la plus simple et rapide possible.
Contre l’opacité, le journalisme de données
Tout reste à faire et l’optimisme de Jesús Lizcano, combiné aux initiatives de la coalition des militants du droit à l’information fera peut-être taire les critiques. Reste un regret. Que l’accent soit porté sur le code de bonne gouvernance est un moyen d’insuffler la crédibilité dont l’Espagne, réputée pour la corruption de sa classe politique, a besoin sur les marchés. Le gouvernement instrumentalise en effet cette loi pour plaire à Bruxelles, inquiet de voir la dette publique espagnole à son plus haut niveau depuis 22 ans, et culpabiliser le PSOE d’avoir truqué les chiffres du déficit en quittant le pouvoir.
Mais vu de l’intérieur, on craint un effet d’annonce. C’est ce qui s’est passé avec la loi de 2006 sur l’accès à l’information sur l’environnement. Malgré l’obligation administrative de livrer toute information environnementale, l’ONG Oceana a attendu cinq ans avant de recevoir le rapport de l’Institut Espagnol d’Océanographie révélant la pollution au mercure de plusieurs espèces de poissons, de l’espadon au thon rouge en passant par le requin.
Pour éviter qu’un tel silence ne se reproduise, Victoria a une recette à l’accent indigné :
Ne pas avoir peur du paternalisme de l’État espagnol, qui pense trop souvent que les citoyens ne sont pas capables de manier l’information qui les concerne.
En ajoutant, en guise de première pierre, à la naissance de la Loi sur la transparence celle d’un premier groupe de journalisme de données.
Article publié sur OWNI le 10 avril 2012
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