C’est comment un isoloir indigné ?

Les élections espagnoles sont derrière nous. Sur les 34 millions d’électeurs recensés, combien se sont abstenus ? 9 710 775 (28,31%). Combien ont voté blanc ? 333 095 (1,37%). Combien ont voté nul ? 317 886 (1,29%). Combien ont l’impression que le bulletin qu’ils ont placé dans l’urne va changer quelque chose à l’heure où de plus en plus n’arrivent pas à payer leur loyer, et beaucoup plus n’arrivent pas à trouver de boulot ? On verra dans les semaines à suivre combien seront dans la rue, mais une chose est sûre, le mouvement communément appelé « indignés » continue sa route, il va lentement parce qu’il va loin, comme ils aiment à dire, ces jeunes et vieux post-soixante-huitards comme on les appellerait en France, ces révoltés. Ces désabusés. Ces sur-informés face à l’ennui du chômage et des petits boulots mal payés qu’ils voient poindre à l’horizon. Et si ce n’est pas ce qui les attend, c’est une retraite aussi sèche qu’un saucisson de Lozère.

Tout le monde se demandait ce qu’ils voteront, ces indignés : étaient-ils assez indignés pour rester hors du système ? Ou allaient-ils jouer les « entristes », se mettre dans le système pour mieux le réformer ? On se croirait au crépuscule du XIXème siècle, quand le socialisme naissait dans l’Europe en pleine révolution industrielle, se tâtant et se déchirant, entre réforme et révolution. Les vieux schémas n’ont plus cours, le mouvement social du XXIème siècle naissant refusant de s’inscrire dans le jeu des partis. Mais pour ces élections, certains ont tout de même proposé d’influer depuis l’extérieur, par le vote, en appelant à ne pas voter pour les deux partis majoritaires, le PP et le PSOE. Alors que l’Espagne de gauche se lève avec la gueule de bois au lendemain du 20N, ces tentatives imparfaites et autres expérimentations du mouvement, comme les « urnes indignées » qui récoltèrent des idées pour les élections, sont à garder au frigo. Elles sont comme le pot-au-feu : encore meilleurs réchauffées.

Sur le vote des indignés aux élections législatives espagnoles, j’ai écris deux articles, que je republie ci-dessous.

 

Élections espagnoles : indignés contre la droite, mais comment ?

 

Sauve qui peut, ce n’est plus une défaite, c’est la bérézina ! Aux dernières nouvelles, le parti socialiste espagnol (PSOE) repartirait des élections du 20 novembre (20N) avec 112 misérables sièges. 57 de moins qu’en 2008. Son adversaire politique, le parti populaire (PP), atteindrait le chiffre magique de 198. 29 de plus que la majorité du PSOE en 2008. De quoi revenir sur l’avortement et le mariage gay sans peine, et imposer une privatisation des services publics à grande vitesse.

Contre le PP, sort ta calculette !

Tout espoir est-il perdu ? Non. La majorité absolue lorgnée par Mariano Rajoy peut encore être évitée. Reste à savoir compter. #AritmEtica20N est une base de calcul créée pour retirer des députés aux trois partis dominants de la vie politique espagnole –PP, PSOE, CiU (parti conservateur catalan)- en calculant le nombre de votes nécessaires à leurs principaux challengers pour obtenir des sièges, selon le paysage politique de chaque communauté autonome espagnole. Devant cette table de calcul, les électeurs espagnols se retrouvent face à deux options de vote alternatif au trio de tête, dont l’une est plus probable de réussir à détrôner le PP que la seconde. Par exemple, à Barcelone, il faudrait 52 110 votes en faveur d’ICV-EUiA (parti des verts catalans, issu d’une scission avec IU, parti de la gauche radicale), ou 5 293 en faveur d’ERC-RI.CAT (parti de gauche radicale catalan).

Qui est derrière #AritmEtica20N ? Les indignés bien sûr ! Pas si vite. Au royaume de l’engagement citoyen horizontal et non-partisan, la liberté individuelle vaut de l’or…

« Ils me foutent tous la gerbe ! »

Alors que n’importe quel institut de sondage espagnol donnerait de l’or pour connaître les intentions de vote des indignés espagnols, ceux-ci s’échinent à vous expliquer qu’ils n’ont ni porte-parole, ni consigne de vote.  Cette réalité multiple qui fait la richesse du mouvement m’a encore été rappelée samedi 12 novembre, jour où les indignés sont retournés sur les places des villes espagnoles. J’ai commis l’erreur de nommer « organisations » Democracia Real Ya et #nolesvotes, d’où sont issus plusieurs individus qui participent à #AritmEtica20N. « Pour la dernière fois, ce ne sont pas des « organisations ». Nous sommes des individus libres de leurs choix et au sein de chaque entité il y a des voix dissonantes ! » me crie-t-elle au bout du fil. Soit. Quand je lui demande ce qu’elle pense des critiques qui avancent qu’#AritmEtica20N risque (involontairement ?) de favoriser l’émergence de partis intermédiaires qui jouent le jeu du système que les indignés dénoncent, comme IU ou UPyD, elle craque : « Non mais tu ne m’as pas compris, moi je ne supporte aucun parti, ils me foutent tous la gerbe. #AritmEtica20N a été créé pour empêcher le PP d’avoir la majorité absolue, mais ne soutient en aucun cas les autres partis ! »

Ce témoignage sous anonymat en poche, un peu brusque mais révélateur de l’angoisse de l’arrivée d’un mandat de Mariano Rajoy, je me dirige vers la Plaza Catalunya où les indignés sont de retour ce samedi 12 novembre pour proposer un point d’information sur le 20N.

« Vote arithmétique utile » ou « vote nul utile » ?

Là, je découvre avec stupeur une option de vote inédite : le « vote nul utile ». « C’est mieux que le vote blanc parce que cela ne favorise pas les résultats électoraux des partis majoritaires et c’est mieux que l’abstention parce qu’en aucun cas il peut être interprété comme un désintérêt envers la politique et la démocratie » explique le fascicule distribué par Mar et José Luis, de la commission économie et ressources de l’#acampadabcn. Au verso, un bulletin à glisser dans l’enveloppe le 20 novembre, où l’on retrouve deux revendications majeures : une réforme constitutionnelle venant du peuple et la mise en suspend du remboursement de la dette souveraine espagnole jusqu’à obtenir la garantie que les droits sociaux vont être sauvegardés.  Au sein même du mouvement des indignés, nous sommes face à deux appels contradictoires. D’un côté, le vote utile d’#AritmEtica20N : voter ICV pour contrer le « PPSOE ». De l’autre, le vote nul utile : voter nul pour montrer son refus du système électoral actuel. « C’est une campagne déguisée en faveur d’ICV », considère José Luis à propos d’ d’#AritmEtica20N. « Le vote pour les petits partis et le vote blanc font le jeu du PP », estime à l’inverse la participante d’#AritmEtica20N. Je comprends mieux pourquoi je me suis fait rabrouer en parlant d’« organisations ».

 

©Emmanuel Haddad

A gauche, mais pas socialiste

Dans un article paru sur Le Parisien, un « porte-parole » des indignés avance que le point d’information des indignés sur la Plaza Catalunya permet aux gens de connaître « les différentes possibilités de vote » mais ne donne en aucun cas « des consignes de vote ». « Democracia real Ya ne va demander de voter pour personne, nos objectifs vont plus loin que  le nom du parti au gouvernement », affirme pour sa part un membre de Democracia Real Ya à cafebabel.com. Quel que soit l’issue du vote du 20N La plateforme citoyenne s’engagera sur 8 fronts : l’élimination des privilèges de la classe politique, la lutte contre le chômage, le droit au logement, les services publics de qualité, le contrôle des entités bancaires, la fiscalité, les libertés citoyennes et la démocratie participative et la réduction des coûts militaires.

Mais pour ceux qui, encore ancrés dans les représentations classiques et partisanes de la politique, tiennent absolument à savoir pour qui vont voter ces auto-proclamés 99%, Sara, une étudiante suédoise qui suit le 15M depuis ses débuts à un élément de réponse :  « Les ‘indignés’ insistent pour dire qu’ils représentent toute la société, qu’ils sont comme tout le monde, mais pour le moment, je n’ai vu que des gens qui se considèrent à gauche. En revanche, il est vrai que tous les âges et toutes les conditions sont représentés. »

Article publié sur le magazine européen en ligne cafebabel.com le 17 novembre, trois jours avant les élections.

 

Les indignés, entre calculette et vote nul

 

A la veille du scrutin, les sondages révèlent un nombre encore incroyablement élevé d’indécis: près d’un tiers de l’élec-torat espagnol ne saurait pour qui voter. Quelque 9millions d’électeurs, qui ne sont pas uniquement convoités par les partis. Les indignés ont eux aussi pris leur bâton de pèlerins pour en finir avec le bipartisme. «L’abstentionnisme et le vote blanc font le jeu du PP», prévient ainsi le site internet  d’#AritmEtica20N. L’objectif de cette table de mathématiques appli-quées, qui fait un carton sur Twitter, est de calculer quelle liste alternative est la plus proche d’ôter un siège au trio dominant de la politique espagnole – PP, PSOE et CiU (parti catalan conserva-teur). En Catalogne, par exemple, les calculs penchent en faveur des écoso-cialistes d’ICV.L’initiative ne fait toutefois pas l’una-nimité chez les indignés: «Je comprends parfaitement les raisons stratégiques d#AritmEtica20N, mais je ne crois pas qu’elle soit productive. Le jeu parlemen-taire ne nous intéresse pas. Utilisons plutôt nos forces pour le discréditer et fomenter des pratiques démocratiques parallèles», devisent les blogueurs de madridmemata. C’est ce que feront les partisans du «vote nul utile». Sur la place Catalunya de Barcelone, Mar et José Luis distribuent des bulletins un peu spé-ciaux, à glisser dans l’urne le 20 no-vembre. A la place de la liste électorale choisie, on y trouve deux pétitions: «L’ouverture d’un processus constitu-tionnel populaire pour obtenir un systè-me réellement démocratique» et «la suspension du paiement de la dette souveraine espagnole jusqu’à ce que le maintien des droits sociaux, des services et prestations publics soient garantis». Pourquoi ne pas appeler au vote blanc? «Parce que le nul n’entre pas, contrairement au blanc, dans le décompte total des voix.» Il ne renchérit donc pas le billet d’entrée des petits partis au parlement, explique versussistema.com. De son côté, Anonymous joue le ras-semblement: «Vote pour tout parti qui ne favorise pas la ‘partitocratie’, ou vote nul si tu ne te sens pas représenté. Mais vote.»

 

©Emmanuel Haddad

Article publié sur le quotidien suisse Le Courrier samedi 19 novembre 2011

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