Un nouveau parti sahraoui veut rompre le monopole du Front Polisario

 

Pour la première fois depuis 36 ans, le Rassemblement Sahraoui Démocratique propose une alternative au Front Polisario. Les Sahraouis ont-ils, eux aussi, droit à leur révolution démocratique ?

 

Le 10 octobre 2010, quelque 60 000 Sahraouis d’El-Ayoun, la capitale de la partie du Sahara occidental occupée par le Maroc depuis 1975, ont installé un campement de khaimas (tentes berbères) à Gdeim Izik pour réclamer le référendum d’autodétermination prévu par le droit international depuis 1991. Le 8 novembre, le «campement de la liberté» était rasé par l’armée marocaine. Un an plus tard, vingt-trois jeunes Sahraouis croupissent toujours dans les geôles marocaines, dans des conditions «pénibles», selon les défenseurs des droits humains.

Dans le désert, une voix veut rompre l’écho du Polisario

Lundi 10 octobre 2011, une manifestation de commémoration organisée par les Sahraouis à El-Ayoun s’est soldée par des affrontements violents. Sultana Jaya, militante des droits de l’homme qui avait déjà perdu l’usage d’un œil, a été blessée à l’autre. Mais entre les deux répressions, le printemps arabe a fait son œuvre. Aujourd’hui, ce n’est plus une mais deux voix sahraouies qui s’élèvent contre cette énième atteinte à la liberté d’expression. «La rupture entre les Sahraouis et le Maroc est totale», dénonce d’un côté Bucharaya Beyún, délégué du Front Polisario en Espagne. «Tout Sahraoui a le droit de s’exprimer et de manifester, à condition que ce soit non-violent. Le Maroc doit l’accepter», déclare de l’autre Salah Khatri. Le jeune homme est le porte-parole et fondateur du Rassemblement sahraoui démocratique (RSD), «l’alternative démocratique au Polisario», comme il l’a défini lors de la conférence de presse de lancement de son parti, organisée à Paris le 25 mars. Son programme? Un discours plus conciliant à l’extérieur, proposant «une solution politique consensuelle négociée (…) qui prenne en compte les intérêts de notre région, le Maghreb». A l’intérieur, une dénonciation des abus du mouvement de libération nationale dans les camps et les zones libérées inspirée des révolutions tunisienne et égyptienne: «Le Front Polisario a installé son pouvoir sur des pratiques de népotisme, de triba-lisme et de corruption», assure Salah Khatri.

 

©Emmanuel Haddad

Détournement d’aide humanitaire et frustration

Selon lui, le blocage des négociations avec le Maroc sert les intérêts des membres de ce parti unique qui régit la vie des camps du sud-ouest de l’Algérie, où se sont réfugiés plus de 150 000 Sahraouis depuis l’occupation de leur territoire par le Maroc en 1975. Sous quelle forme? «Ils détournent l’aide humanitaire, placent les membres de leurs familles aux postes importants, disposent de villas, envoient en priorité leur cercle de proches dans les hôpitaux étran-gers», énumère Salah Khatri au Courrier. Fondateur de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) le 28 février 1976 sur 15% du territoire sahraoui, «le Front Polisario a essayé la guerre, de 1976 à 1991, puis les négociations, mais aucun des deux n’a marché. Et les victimes, ce sont nous, le peuple sahraoui», dit le jeune homme, dont le père et le frère vivent dans les camps de réfugiés. «La seule solution est la démocratie, non seulement pour les Sahraouis, mais dans toute la région du Maghreb.» Cela fait dix ans que Salah Khatri, ancien étudiant de sociologie passé par la Syrie puis par Aix-en-Provence et Paris, est entré en dissidence. Il fait partie de cette génération de Sahraouis nés hors de la zone occupée ou très tôt déplacés vers les camps. Il n’est donc pas surpris de l’écho obtenu par le RSD auprès des jeunes de la diaspora européenne ou maghrébine. Frustré par l’immobilisme politique actuel, malgré les résolutions de l’ONU qui octroient aux Sahraouis le droit d’organiser un référendum d’autodétermination depuis 1991, le fondateur du RSD s’inspire des récentes expériences démocratiques des pays voisins: «Nous voulons offrir au peuple sahraoui la possibilité de contrôler ses représentants. Depuis la création de la république sahraouie en 1976, nous n’avons jamais vu l’instauration d’institutions républicaines, c’est-à-dire le droit de vote, la liberté de la presse et le pluralisme politique. Le Polisario est bicéphale. D’un côté, c’est un mouvement de libération nationale, de l’autre, un parti républicain, car la RASD est reconnue par plus de soixante-dix pays. Il doit désormais faire un choix entre ses deux postures.»

©Emmanuel Haddad

Servir les intérêts du Maroc?

Aucun doute pour Bucharaya Beyún, le RSD, dont il dit n’avoir jamais entendu parler, est une énième tentative marocaine de briser l’unité nationale sahraouie. «Le Maroc a toujours voulu créer de la désinformation, de la confusion, chaque fois que nous organisons notre congrès (tous les quatre ans, du 15 au 19 décembre 2011, ndlr). Tous les Sahraouis qui luttent le font au sein du Polisario. Le Polisario est un moyen et non une fin. Quand l’indépendance sera effective, alors des élections auront lieu et toutes les forces politiques seront les bienvenues. Mais jus-qu’à présent, tous ceux qui ont essayé de faire quelque chose en-dehors du Polisario ont tou-jours fini par apporter de l’eau au moulin maro-cain», déclare-t-il depuis Madrid au Courrier.

Sur Internet, de nombreux sites et blogs d’informations pro-marocains ont en effet repris l’annonce de la création du RSD. En guise de réponse, le leader du mouvement se veut encore une fois conciliant: «Nous sommes les enfants du peuple sahraoui. Nos familles ont tout donné pour lui. C’est pourquoi nous allons faire notre premier congrès dans les camps, pour couper court au discours qui nous réduit à un parti défendant les intérêts du Maroc. Pour la première fois depuis trente-six ans, les Sahraouis ont le droit à avoir une alternative.»

 

Pour plus d’infos:

Le site du Front Polisario en français

Le site du Rassemblement sahraoui démocratique

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