Les civils assiégés et bombardés dans la deuxième ville syrienne craignent de connaître le même sort que dans les autres poches rebelles assiégées : ne plus jamais pouvoir rentrer chez eux.
À Alep, la population redoute un transfert forcé
Le chaos règne à Alep, la deuxième ville de Syrie, où des milliers de civils tentent de fuir les zones bombardées. Firas al-Khateeb, porte-parole du Haut-Commissariat aux réfugiés en Syrie, ne cache pas son impuissance : « Nous avons préparé un entrepôt pouvant accueillir jusqu’à 45 000 personnes dans le quartier de Jibreen, à l’ouest d’Alep. Déjà 6 000 civils s’y sont réfugiés. Nous ignorons par quel biais ils sont arrivés. La situation est volatile, on se contente d’accueillir ceux qui s’échappent », livre-t-il.
Ali Kador, fondateur de l’ONG Espace d’espoir, qui mène des projets agricoles et éducatifs à l’est d’Alep, assure à La Croix : « Parmi les 6 000 civils ayant fui à l’ouest, 1 300 ont été tués par les forces alliées au régime. Ils épargnent femmes et enfants et tuent tous les hommes, hormis les plus âgés. » Joint par WhatsApp, ce militant basé à Alep affirme que « les civils de l’est d’Alep soutiennent la révolution, donc le régime ne les laissera pas quitter les quartiers assiégés sains et saufs ».
Des déplacements massifs de civils
Sam Heller, chercheur sur la Syrie à la Century Foundation, nuance : « Il est probable que l’on assiste à des déplacements massifs de civils fuyant les bombardements du régime et l’offensive sur le terrain. Par la suite, il y aura sûrement une évacuation des combattants restants et d’un nombre limité de civils irréductibles en dehors de la ville. Mais je ne pense pas que le régime veuille nettoyer Alep de sa population sunnite. Il veut la garder au sein de la ville, sous son contrôle », analyse-t-il.
Pourtant, les habitants de l’est d’Alep, assiégés depuis septembre, craignent de subir le sort d’autres poches rebelles précédemment encerclées par l’armée syrienne jusqu’à l’étouffement.
À Homs, Daraya, Moadamiyeh et Khan el Sheikh, les sièges du régime ont abouti à des accords de reddition. Les groupes de combattants restants ont déposé les armes et rejoint Idlib, au nord-ouest, tandis que la population civile a été en majorité évacuée.
À Homs, ville à majorité sunnite, 3 082 logements ont été détruits, 5 750 sévèrement endommagés et 4 946 partiellement endommagés par les bombes, les tanks et les bulldozers du régime, selon les images satellites de l’ONU, provoquant la fuite de ses habitants.
Des Alaouites viennent s’installer
Les combats terminés, de nouveaux venus ont peu à peu pris leur place, comme le raconte Hania*, une Syrienne qui se rend fréquemment dans le quartier de Karm el-Zeitoun : « En trois mois, ce quartier a été détruit. De ses 100 000 habitants, seuls sont restés une poignée de civils alaouites qui ont combattu aux côtés du régime. Un an plus tard, des Alaouites du village voisin d’al-Amria sont venus s’installer. Ils ont investi les maisons encore habitables des anciens occupants sunnites. C’était la première phase d’un transfert forcé de population. Par la suite, des Alaouites de Tartous sont aussi venus s’installer. »
Dans un rapport intitulé « Nettoyage ethnique silencieux en Syrie », l’ONG Naame Sham lie la destruction de certains quartiers rebelles à des plans de reconstruction urbaine qui risquent de changer l’équilibre démographique en Syrie. Entre autres, le décret présidentiel n°66, voté en septembre 2012, autorise la création de deux zones de planification urbaine à Damas.
La première de ces zones est al-Mazzeh, au sud-est de Damas, la seconde englobe Kafarsouseh, Qanawat, Basateen, Daraya et Qadam, au sud de Damas. Autant de quartiers détruits par le régime et vidés de leur population à majorité sunnite qui avait pris part au soulèvement populaire amorcé en mars 2011.
À Alep Est, de nombreux civils sunnites, par peur de ne plus pouvoir revenir, choisissent de chercher refuge au sud de la zone assiégée, plutôt que de se rendre à Jibreen, dans la partie ouest contrôlée par le régime, où le Croissant rouge syrien est prêt à les accueillir.
Article publié le 29 novembre 2016 dans le journal La Croix
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