Le Somaliland, abri précaire des Éthiopiens

Alors que le régime d’Addis-Abeba a déclaré l’état d’urgence pour six mois, de plus en plus d’Éthiopiens trouvent refuge dans l’État voisin, îlot de stabilité régional.

Levé à l’aurore, Neshwan ouvre tous les matins le restaurant éthiopien Gojo, situé au centre-ville d’Hargeisa, capitale de l’État auto-proclamé du Somaliland, séparé de Mogadiscio en 1991 suite à une guerre sanglante. Il y a six mois, cet Éthiopien oromo de 21 ans n’avait jamais quitté sa ville natale de Dire Dawa et le voilà exilé dans l’État voisin, toujours pas reconnu par la communauté internationale, l’avenir amputé : « J’étais en deuxième année d’ingénierie mécanique quand les manifestations ont commencé. Autour de moi, beaucoup d’amis ont été arrêtés et j’ai fui, par peur de finir comme eux », dit-il.

Bien avant le début du soulèvement des Oromos en novembre 2015 contre l’expansion d’Addis-Abeba sur leurs terres, dont la répression a fait plus de 500 morts selon Human Rights Watch, les membres de cette ethnie majoritaire et historiquement marginalisée votaient avec leurs pieds. Entre janvier 2006 et avril 2016, 736 538 personnes ont quitté la Corne de l’Afrique pour rejoindre le Yémen, dont une majorité d’Éthiopiens qui part chercher du travail en Arabie saoudite, selon le Secrétariat régional des migrations mixtes.

Le centre de recherche assure, chiffres à l’appui, que les Éthiopiens continuent de traverser en masse le Golfe d’Aden malgré le conflit au Yémen : entre mars 2015 et avril 2016, 114 093 personnes ont rejoint le Yémen, dont 85 % d’Éthiopiens. Certains s’enfuient par Obock, le port de Djibouti, d’autres par Bossaso. Ces derniers traversent le Somaliland, souvent à pieds, pour rejoindre le port du Puntland.

Un Etat en paix

Mais beaucoup d’Éthiopiens restent vivre au Somaliland où la paix y est appréciée. Contrairement à la Somalie, endeuillée par les attentats chroniques de la milice islamiste Al Shebab, le Somaliland jouit depuis 25 ans d’une relative stabilité et, faute d’investissements directs étrangers dus à son statut incertain, le pays se développe grâce aux investissements massifs de sa diaspora.

Wadage, 39 ans, a ouvert un salon de barbier et un restaurant dans le centre-ville de la capitale. Ses commerces sont un refuge pour les Éthiopiens menacés par le pouvoir en place : « J’embauche des jeunes qui ont maille à partir avec les autorités éthiopiennes. Ils sont parfois membres de l’opposition politique, ou tout simplement n’ont pas leur carte du parti au pouvoir, ce qui les empêche de trouver un emploi. Certains d’entre eux risquent la prison et n’ont pas vu l’Éthiopie depuis sept ans. Désormais, leur vie est ici », dit-il dans la salle de son restaurant où flotte l’odeur du jebena buna, le café traditionnel éthiopien.

L’aide humanitaire est rare

Selon Xhemil Shahu, directeur de l’UNHCR au Somaliland, sur les quelque 20 000 Éthiopiens présents au Somaliland, « 80 % des demandeurs d’asiles obtiennent le statut de réfugiés. 92 % d’entre-eux sont Oromos. » Une fois sauf dans ce pays où le PIB est le 4e le plus bas du monde, il leur faut travailler pour survivre, car l’aide humanitaire y est rare.

Fares, 25 ans, est serveur dans l’un des nombreux restaurants yéménites d’Hargeisa, ouverts par des réfugiés ayant fui la guerre au Yémen. Le jeune oromo revient de loin : « Quand les manifestations ont débuté à Dire Dawa, j’ai tout de suite voulu y participer, car j’en avais marre d’être un citoyen de second rang. Avec mes compagnons, nous avons été arrêtés et enfermés dans une cellule étroite. Au bout de deux semaines, on a pu s’échapper par le toit et j’ai décidé de fuir à Hargeisa. »

Depuis l’été, la région amhara manifeste aussi contre le régime d’Addis-Abeba. Zelias, écrivain amhara, a échappé de peu à la répression d’une manifestation à Debre Markos. Depuis, il erre à Hargeisa, les idées noires : « En Éthiopie, tu ne peux pas parler, ni écrire, sans risquer d’être taxé de terrorisme et d’être emprisonné. » Depuis sa chambre étroite, il prépare un essai sur la violence politique en Éthiopie.

Article publié le 3 novembre 2016 dans le journal La Croix

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