L’Olivera : le grain de folie d’une coopérative de vin catalane
Parfois, dans les journaux, on découvre des histoires intéressantes. Un matin automnal à Barcelone, devant un café plutôt médiocre -je dis ça parce que je viens de passer une semaine en Italie, ça calme- je feuillète El Periodico, le journal local en Catalogne, et découvre une initiative intéressante: une coopérative viticole qui fait travailler des personnes souffrant de problèmes psychologiques et dont l’avenir, sans une attention et une compréhension portée sur leur différence, risque de se résumer à l’hôpital psychiatrique et/ou la pauvreté sociale et économique.
Cette coopérative, L’Olivera, existe depuis des décennies dans un petit village catalan, Vallbona de les Monges, où elle produit un vin devenu réputé et une huile d’olive, avec un processus de récolte manuel où la productivité horaire ne doit pas pas interdire le respect du rythme de chacun. Et depuis quelques années, dit l’article du Periodico, elle a ouvert une nouvelle cave dans les hauteurs de Barcelone, où des jeunes en réinsertion se forment à la vigne dans l’espoir que, in vino veritas aidant, Bacchus rende une petite visite aux employeurs de la région et fasse en sorte qu’ils soient séduits par ces jeunes pas comme les autres mais pas démunis de qualités pour autant. Dans cette époque tendue pour les finances publiques de la Catalogne comme de toute l’Espagne, la primauté de l’action publique est au rétablissement de la balance courante. On sucre les investissements dans le social, la coopération, la santé et l’éducation, ce qui pimente le quotidien des plus fragiles et n’améliore pas forcément les chiffres du marché de l’emploi. Mais la main invisible étant aveugle, il faut lui laisser du temps, se justifie-t-on.
Je discute souvent avec un thésard qui travaille sur la mémoire historique en Espagne, un mec comme ça (je fais un geste sympathique devant mon ordinateur) qui s’y connaît en mouvements sociaux. Pour lui, les coopératives, c’est de la poudre aux yeux -dis-moi si je me trompe Sélim- ça ne changera jamais le système en vigueur, celui qui nous a mené à la crise actuelle. En attendant, je republie des articles qui ont été diffusés dans la presse sur L’Olivera, après que j’ai été rendre visite à Carles, Pau et les autres à Vallbona et au sein du Parc Collserola. J’y ai vu un laboratoire, des visages souriants mais graves, une expérimentation sociale, pas de grandes paroles. Juste une graine solidaire jetée dans la mécanique antisociale qui domine les débats politiques dans l’Espagne fauchée.
Pour les visuels, un documentaire a été réalisé sur L’Olivera.
En Catalogne, un vin allie solidarité et préservation du terroir
In vino veritas. Depuis Pline l’Ancien, le vin accompagne les hommes dans leur quête de vérité. 2000 ans plus tard, dans le village catalan de Vallbona de les Monges, la coopérative L’Olivera use de la viticulture comme thérapie pour ses membres handicapés et comme ressource pour revaloriser le terroir et préserver l’environnement. Reportage.
«Parfois, ça te frappes de découvrir à quel point ils peuvent faire certaines choses mieux que toi». Toni venait juste de recevoir son diplôme d’agronomie quand il a décidé de rejoindre la coopérative L’Olivera pour faire les vendanges en septembre. La singulière expérience le pousse à rester pour la saison de l’huile d’olive en automne et on le retrouve en hiver, les genoux dans la terre calcaire en train de former les vignes avant le bourgeonnement printanier. S’il prolonge sa présence, c’est autant pour l’opportunité de travailler la vigne rarement offerte à un jeune que pour l’expérience humaine. Car pour la première fois, il travailler sur un pied d’égalité avec les 17 membres handicapés de la coopérative.
Pied d’égalité
Depuis 1974, L’Olivera s’est donné pour but ultime de vivre et de travailler main dans la main avec les individus de la région catalane qui souffrent de handicaps mentaux. A l’origine, c’est une manière de prendre à revers la logique d’enfermement qui prévalait sous le régime franquiste. « A l’époque, la seule réponse que proposait l’administration espagnole était la construction de grands centres où peu ou prou tous les individus qui n’étaient pas conformes à la société étaient entassés. Des mouvements se proposent alors de jouer le rôle de familles pour les personnes handicapées et L’Olivera en fait partie. Sauf que nous n’étions pas des experts en psychothérapie, juste des gens comme tout le monde qui décidions de vivre et de travailler avec eux », remémore Carles, l’actuel directeur dédié à 100% à la coopérative, 34 ans après l’avoir rejoint. Aujourd’hui, les 35 membres de la coopérative récoltent les fruits de cette vision éthique ainsi que ceux qui poussent de la terre de Vallbona de les Monges, un village catalan d’à peine cent âmes en pleine renaissance grâce à la renommée acquise par le vin de L’Olivera.
« Je peins les entailles de la vigne avec un fongicide, il est bio, entièrement naturel », explique Esteban, concentré à cette tâche répétitive, cigarette aux lèvres. Au sein de la coopérative, ce travailleur souffrant d’un handicap psychologique détient le même droit de vote que la trentaine d’autres membres, bien que Toni et Isabelle aient une qualification supérieure et exercent des tâches plus créatrices, comme la formation et l’élagage des vignes. A l’instar de Toni, Isabelle, une jeune ingénieure agronome française qui a rejoint la coopérative il y a deux ans, ne s’imagine pas travailler ailleurs ni autrement. Ce n’est pas une question de salaire, il est voté en assemblée et les écarts sont faibles, plus l’impression de participer à un projet unique en son genre.
« Nous sommes tous handicapés »
L’Olivera, à la manière des grands vins, est le fruit d’une longue maturation. En 38 années, elle est passée de la communauté spirituelle utopique à une coopérative rentable de vin et d’huile ressuscitant le terroir local. « L’Olivera est née parce qu’un prêtre de Barcelone a estimé que la différence pouvait être une chose normale. Jusqu’à présent, les gens souffrant de handicaps restaient à la maison, parce qu’avoir un enfant à problèmes était une sorte de châtiment. Mais pour José Maria Segura, nous sommes tous différents et chacun a son propre handicap », rappelle Carme. Aujourd’hui grisonnante, la responsable de l’aide sociale de L’Olivera est parmi les pionnières de la communauté lancée par le prêtre Segura et en garde un souvenir intact : « Nous étions parfois jusqu’à 300 ! Les gens entraient et sortaient comme dans un moulin. Peu à peu, des individus souffrant de handicaps psychologiques viennent vivre avec nous. Il y a d’abord eu Joan, puis Jordi, souffrant de trisomie, nous a vite rejoints, suivi de Ramon et d’Alfons. Nous vivotions de gardes d’enfants ou de culture maraîchère. Mais en 1978, quand le fondateur de la communauté meurt, nous commençons à réaliser que chacun a sa propre vision de ce que doit devenir la communauté. »
Viabilité vs communauté
Si les pionniers de L’Olivera partagent la même indignation sur le sort réservé aux handicapés sous le régime franquiste, dur de se mettre d’accord sur le moyen de faire perdurer l’aventure : « En 1982, le conflit débouche sur le départ de tous ceux qui vivaient en communauté et Carme, son mari et moi, qui vivions dans le village, faisons face à un dilemme : faut-il fermer la maison ou poursuivre l’aventure, mais d’une autre manière ? On se dit que Joan, Jordi et les autres n’ont pas à payer nos désaccords et on décide de rester. Mais la viabilité de la coopérative a eu raison de la vie en communauté. »
Ou presque. A 14 heures, travailleurs agricoles et œnologues se réunissent tous autour d’un repas concocté par Pere, réputé pour son gratin d’artichaut comme pour son humour incontinent. Pere partage tous ses repas dans cette résidence, où les baies vitrées offrent une vue imprenable sur les champs de vigne, avec 16 autres personnes souffrant de handicaps plus ou moins aigües. Il est sûrement le plus bavard avec Alfons, qui fait partie des meubles, mais tous partagent le même régime alimentaire et les mêmes heures de travail. A 8h30, direction les champs ou la cave à vin jusqu’à 13h30, puis le travail se poursuit de 15h30 à 18h30, heure où les membres de la coopérative ayant un pied-à-terre dans le coin retournent chez eux. Seuls ceux qui souffrent d’un handicap sérieux sont assignés à résidence et des travailleurs sociaux se chargent de leur accompagnement.
Agriculture sociale
Les journées sont intenses, mais « il y a un aspect thérapeutique indéniable derrière le travail manuel que nous perpétuons à la coopérative », juge Pau Moragas, responsable des vignes. Depuis 1996, cet œnologue de formation y supervise l’élaboration d’un vin de qualité, sans oublier les valeurs originelles de la coopérative. « Il existe une tension permanente, mais nécessaire, entre rentabilité économique et intégration sociale ». A en croire ce trentenaire mal rasé, le modèle d’agriculture sociale expérimenté à Vallbona de les Monges est encore une pratique émergente en Espagne : « L’agriculture se polarise de plus en plus entre, d’un côté, une agro-industrie basée sur la mécanisation à outrance, une superficie de plus en plus grande, un mode de production excluant les personnes peu productives et une perte de goût conséquente des produits et de l’autre, une agriculture de valeur ajoutée vers laquelle nous nous tournons ici, tant pour la qualité de ses produits que pour le respect de l’environnement local et de par son mode de production intégrateur. »
Outre les vertus thérapeutiques du travail au grand air, Carles souligne l’autre avantage majeur qui a poussé la coopérative à choisir la culture du vin comme mode de subsistance : « En 1989, on embouteille le premier vin de Vallbona de les Monges : le Costa del Segres, un blanc sec. Cela a beaucoup apporté à la coopérative, reconnaît le directeur de L’Olivera. Le vin est un produit de prestige, il a une valeur ajoutée et cela donne du sens et de la reconnaissance au groupe. Et peu à peu, cela nous permet de devenir autonome par rapport à l’administration, d’attirer les dons de fondations, ce qui permet d’employer aujourd’hui 40 personnes. » Tandis que ses mains découpent avec agilité les sarments des vignes à l’aide d’un sécateur pneumatique, le jeune Sergi confirme : « Ce n’est pas pour rien que les gens s’intéresse à L’Olivera. Il y a quelque chose de vrai, d’authentique dans notre manière de travailler. » Ayant quitté l’école parce que « ses parents ne lui ont jamais inculqué ce qu’était une norme » selon Carme, il a trouvé sa place entre Alfons, qui recouvre les entailles de la vigne de fongicide, et Josep Maria, ouvrier agricole expérimenté, ravi de travailler la vigne avec en si bonne compagnie : « ça fait un bien fou ! Ils ont cette manière de dire les choses avec sincérité inconnu des gens « normaux » qui ont tendance à ne pas dire ce qu’ils pensent. L’ambiance s’en ressent : elle est parfois sèche, mais toujours plus franche. »
« Vignes retrouvées »
Entre deux coups de sécateur, il explique que de l’intégration des personnes fragiles et marginalisées à la préservation de l’environnement local, il n’y a qu’un pas : « En Espagne, les petits producteurs locaux ont longtemps été dépendant de quelques grandes caves qui achetaient leurs raisins pour concevoir leur vin. Puis un jour, ces derniers se sont mis à planter leurs vignes et les petits agriculteurs se sont retrouvés obligé de vendre à prix bradé, voire d’abandonner la production », rappelle-t-il. La philosophie de notre travail ici, c’est d’offrir une seconde vie à ces cultures abandonnées, comme on donne une chance à tous les travailleurs, pas seulement aux plus compétitifs ».
Partenaire du mouvement Slow Food -une organisation présente dans 150 pays qui valorise l’alimentation éthique, locale et de qualité- la coopérative s’attèle à redécouvrir les cépages locaux abandonnés par les agriculteurs locaux et les utilise pour concevoir de nouveaux vins. Le premier résultat commercial né de cette expérimentation est un vin rouge qui porte l’étiquette « vinyes trobades » (« vignes retrouvées »). Les cépages qui le composent, du garnatxa negra au monastrell en passant par le picapoll negre, le montvedro et le garró i trobat, sont tous issus de la région de La Noguera, une zone riche mais mal connue par rapport au Penedés voisin.
Poursuivre sans illusions
L’élaboration des vins de L’Olivera repose sur le flair de Clara et Elisabeth, l’une responsable et l’autre œnologue de la cave, située dans une ancienne ferme alimentée à la biomasse. Cette année, la bouteille de Coster del Segre de L’Olivera porte une étiquette biologique. Les autres devraient bientôt suivre, « le seul élément qui ne respecte pas le critère bio pour les autres vins est la présence d’un cépage issu d’une production conventionnelle », précise Clara. La jeune brune au visage doux mais fatigué ne cache pas qu’au-delà de toutes les valeurs positives qui l’attachent à la coopérative, le quotidien est dur : « Mes premières années ont été dures, avec des journées qui finissaient au mieux à 20 h et peu d’espace pour l’intimité », avoue-t-elle. D’ailleurs, Carles ne se laisse pas bercer par les illusions quant à l’opinion de certains des membres handicapés du groupe : « Les vertus thérapeutiques prétendument associées au monde rural ne s’appliquent pas de la même manière à tout le monde. La différence, c’est qu’une personne autonome peut partir si elle s’ennuie. Les personnes handicapées, elles, n’ont souvent pas d’autre alternative que de rester », dit-il sans sourciller, en précisant qu’au cours des 38 années, seule une dizaine de personnes handicapées sont parties et autant sont rentrées à leur place.
Malgré les aléas, l’ambition sociale et écologique du projet attache. Car Carles n’a pas non plus décidé de quitter le bateau, 34 ans après, à l’instar de Carme, Pau et des plus jeunes comme Isabelle. De la communauté utopique à la coopérative réaliste, les membres de L’Olivera se lèvent chaque matin conscient de la « tension nécessaire » entre solidarité et rentabilité qui recouvre chacune de leurs décisions. Au-delà de ce que l’avenir marqué par la crise économique réserve à L’Olivera, « toutes les entreprises devraient fonctionner de la même manière », conclut Pau.
Cet article a été publié le 3 avril 2012 sur Le Courrier, journal suisse indépendant.
A Barcelone, la vigne adoucit les troubles mentaux
Leurs troubles psychologiques auraient pu laisser ces douze jeunes Barcelonais sur le bord de la route. Apprentis viticulteurs depuis 15 mois à la coopérative de vin solidaire L’Olivera, ils découvrent les règles du monde professionnel en concevant le prestigieux vin de Barcelone. Avec l’espoir d’un nouveau départ à la clé. Reportage.
Devinette. Ils ont Barcelone à leurs pieds et depuis un an, ils enivrent les invités des réceptions officielles de Xavier Trias, le maire CiU (parti nationaliste catalan de droite) de la capitale catalane. Qui sont-ils? A Can Calopa, depuis les hauteurs du Parc naturel Collserola qui surplombe les 1,6 millions de Barcelonais, 12 jeunes – Jose, Jose Antonio, Ivan, Edu, Carlos, Àngel, Javi, David, Víctor, Óscar, Joan, Cristian – conçoivent le vin officiel de la ville de Barcelone sur les trois hectares de vignes de cépages méditerranéens, des syrah et grenache espagnols au sangiovese italien, en passant par les grecs agiorgitiko et aglianico.
Un maire mégalomane créé un vin solidaire
En mars 2001, quand le maire socialiste Joan Clos lance l’idée de créer un vin pour la ville de Barcelone, l’opposition ironise. Le porte-parole de l’actuel parti au pouvoir, le CiU, affirme alors « ne pas comprendre la mégalomanie du maire ».
Onze ans plus tard, le maire Xavier Trias a oublié se réticences d’antan et arrose toutes ses réceptions avec du vin rouge de Can Calopa, sans perdre une occasion de rappeler la portée œnologique du projet, qui préserve les cépages méditerranéens situés entre le 42 et le 38ème parallèle, ainsi que son essence solidaire. Les douze viticulteurs souffrent tous, en effet, de troubles de comportement, voire de maladies mentales.
Loin de l’ambiance feutrée des « brindis » de la plaça Sant Jaume, la solidarité entre Edu, Carlos, Juan, Victor et les autres apprentis vignerons de Can Calopa a mis plus du temps à s’installer. Pendant les premiers mois, il y en avait parfois un de levé sur les 12, les disputes étaient assez fréquentes, il fallait répéter chaque jour les mêmes exigences pour que le travail soit fait », se rappelle Rocio, responsable des trois hectares de ceps de Can Calopa, qui ont donné quelque 13.000 bouteilles en 2011.
L’exclusion sociale plus forte que la maladie mentale
La cause de ces débuts difficiles? Si les 12 jeunes sélectionnés par la mairie pour vivre et travailler dans les vignes de la ville souffrent « de troubles de comportements en majorité, certains de handicaps, voire de maladies mentales », comme l’explique Gemma, une des monitrices diplômée de psychologie. « Les problèmes quotidiens sont plus dus à leur exclusion sociale et à la déstructuration familiale dont ils ont souffert qu’à leurs troubles psychologiques », précise la jeune femme, qui partage son temps entre la coordination du travail de la vigne et l’organisation d’activités sociales, une fois le dur labeur terminé. On n’attend pas d’eux qu’ils connaissent le monde du vin sur le bout des doigts, mais on fait en sorte qu’ils acquièrent une discipline de travail: se lever à l’heure, travailler en équipe, respecter l’autre… », précise Rocio. « Regarde Edu par exemple, maintenant il me note toutes les allées qu’il a débroussaillées par écrit », dit-elle en montrant le jeune fan de rap de 19 ans, concentré sur sa débroussailleuse, beaucoup moins « distrait » qu’à ses débuts.
« La plupart n’avaient pas d’autre endroit où aller »
Edu ne se bine pas trop. S’il aime la débroussailleuse, le monde du vin n’est pas pour lui. Il se voit plus continuer dans la jardinerie et sait que la carte de visite de Can Calopa lui ouvrira des portes. En attendant, il pense au rap, sa passion, et à la nouvelle petite amie qu’il s’est dégoté devant la station de train de Molins de Rei, la ville la plus proche, à 5 kilomètres.
La passion de Christian, ce n’est pas encore les filles et il n’exprime pas, non plus, d’amour démesuré pour la vigne. A 18 ans, le benjamin de la résidence est aussi le plus calme et le plus patient, une vertu appréciée par Rocio et Gemma. Toute son attention est tournée vers les oiseaux et les lapins qu’il nourrit chaque jour. Plus tard, il voudrait travailler dans une animalerie.
D’où viennent Edu, Christian et les autres? La plupart ont été orientés après une formation en jardinerie destinée aux jeunes sur le point d’abandonner leurs études. « La plupart n’avaient pas d’autre endroit où aller », résume Rocio. D’autres reviennent de plus loin. De Victor, « on ne sait pas ce qui est vrai », regrette Albert, un agriculteur qui supervise leur travail dans la vigne avec Rocio. Une chose est sûre, « quand il est arrivé, il était maigre comme un fil de fer et ne voyait pas un mètre », se souvient Maria Dolors, la responsable du centre. Après son deuxième plat de macaronis, ce jeune brun à lunettes part nourrir les lapins avec Christian, et, à 15h30, sauf quand il s’évade pour une sieste au soleil, il élague les vignes comme tous ses camarades. Certains manient mieux que d’autres le sécateur. Mais après tout, nous ne travaillons avec eux que depuis un an, et ils ont tous évolués, ça se voit dans tous les domaines. » Victor, Christian et José Antonio sur les hauteurs du parc Collserola ont profité d’un système de solidarité efficace en Catalogne pour les personnes souffrant de troubles psychologiques. Ce que j’ai appris ici, c’est que nous sommes tous handicapés à notre manière. Ce qui compte, c’est de traiter les gens sur un pied d’égalité », souligne Gemma.
Une vision du monde qui imprègne le travail de tous les membres de L’Olivera, la coopérative qui gère Can Calopa depuis deux ans. Créée en 1974 dans le petit village catalan de Vallbona de les Monges, la coopérative a d’abord existé pendant 8 ans sous la forme d’une communauté où vivent et travaillent main dans la main des personnes désireuses de changer le regard porté sur le handicap mental, avec des individus souffrant de troubles psychologiques. Peu à peu, ils se convertissent à la viticulture pour pouvoir poursuivre l’aventure financièrement et, 30 ans plus tard, les bouteilles qui sortent de leur cellier se vendent comme des petits pains, tant pour leur goût que pour la singularité de leur démarche.
Marketing municipal
A Can Calopa, le vin est réservé à la mairie et « nous ne savons pas vraiment qui y goûte », précise Rocio, qui avoue n’avoir jamais trinqué avec Xavier Trias. La ville de Barcelone est friande de communication et son vin en est une arme supplémentaire. A peine le Mobile World Congress achevé, la Fira, salon d’exposition de la ville, accueille Alimentaria, le Salon international de l’alimentation les 27 et 28 mars prochains. Le vin de Barcelone aura-t-il droit à son stand? Il le mériterait, tant ce projet d’agriculture locale et sociale confère à Barcelone une image progressiste en comparaison à Santa Comba Dão, la ville de naissance du dictateur portugais Salazar où la « cuvée Salazar », le projet viticole de la ville, macère dans le passéisme.
Joan et Oscar ne se doutent pas qu’ils participent à l’image de la capitale catalane alors qu’ils élaguent les ceps de Syrah entre les allées de Can Calopa. Il est 17h30, ce vendredi 23 mars. Demain c’est le week-end avec la possibilité de retrouver leurs petites-amies. Dans deux ans, ils partiront peut-être vers une autre formation en jardinerie. Les plus doués trouveront un boulot et Christian ouvrira peut-être une animalerie.
Cet article a été publié sur myeurop.info le 26 mars 2012.
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