L’Espagne, un paradis fiscal pour l’Eglise catholique
L’Etat espagnol pourrait récupérer 3 milliards d’euros par an si l’Eglise catholique payait l’impôt sur les biens immobiliers. Il faudrait pour cela revenir sur le Concordat signé avec le Vatican en 1979.
A combien s’élève le manque à gagner de l’Etat espagnol en raison des avantages fiscaux de l’Eglise catholique? «L’Etat passe à côté de 3 milliards d’euros chaque année. Dans la situation de crise économique et sociale actuelle, nous considérons que c’est un manque total de respect, voire une mauvaise blague, que l’on augmente l’impôt de la contribution urbaine aux citoyens, et que l’Eglise, le plus grand propriétaire, ne paye pas», répond l’association Europa Laica, dans une lettre envoyée au chef du gouvernement Mariano Rajoy (PP, parti conservateur).
Le cri poussé par cette association, qui compte autant de membres athées qu’agnostiques et catholiques, est repris ces derniers jours dans toute la presse et par une partie de la classe politique. Car tous ont entendu l’annonce de Mario Monti, chef du gouvernement italien, déclarant que désormais, l’Eglise italienne allait payer l’impôt sur les biens immobiliers. En Espagne, l’exemption de l’impôt sur les biens immobiliers (IBI) de l’Eglise a été entérinée par le Concordat signé entre l’Etat et le Vatican le 3 janvier 1979, un mois après l’approbation de la Constitution de 1978, instituant pourtant le caractère non confessionnel de l’Etat espagnol.
Pas un mot sur le Concordat
Dans une conférence de presse tenue le 1er mars, le vice-secrétaire à l’économie de la Conférence épiscopale ne mentionne pas ce traité et refuse toute allusion à l’évolution italienne: «Le régime de l’impôt sur les biens immobiliers (IBI) de l’Eglise catholique est le même que celui de toutes les fondations en Espagne, qu’elles soient d’investigation, culturelles, politiques ou associatives», déclare Fernando Giménez Barriocanal, en réponse aux journalistes qui demandent si l’Espagne pourrait suivre la voie de l’Italie. «Il y a parfois une confusion à l’heure de faire des équivalences entre Espagne et Italie. En Espagne, c’est la loi de mécénat 49-2002 qui régit le régime fiscal de l’Eglise. Si cette loi est modifiée, l’Eglise suivra. Mais aux dernières nouvelles, l’actuel projet de réforme de cette loi lancé par CiU (parti conservateur catalan, ndlr) ne va pas vers une restriction de l’exonération, mais au contraire vers son extension.»
Pas un mot sur le Concordat. Le traité bilatéral toujours en vigueur annonce pourtant «l’exemption totale et permanente de la contribution territoriale urbaine» pour «les temples et chapelles destinés au culte», «la résidence des évêques, des chanoines et des prêtres», ainsi que «l’exemption totale et permanente des impôts réels ou de produits sur la rente et sur le patrimoine». A cela s’ajoute l’exemption d’impôt sur les jardins et les vergers des hommes d’Eglise, comme le précise Alejandro Torres. Dans son étude sur «les bénéfices fiscaux des logements des ministres du culte, les jardins de propriété ecclésiastique en Espagne et le principe de laïcité», le professeur de droit ecclésiastique à l’université publique de Navarre avance que ce régime fiscal exceptionnel est «inconstitutionnel» en vertu de l’article 31.1 de la Constitution, qui stipule que «tous contribueront au maintien des dépenses publiques selon leurs capacités économiques (…)».
Des finances amputées
Selon Alejandro Torres, le régime fiscal du clergé, plus avantageux que celui des fonctionnaires, «ne peut trouver sa justification que dans l’inertie de l’histoire». Mais pour l’abolir, il faudrait revenir sur un traité bilatéral, le Concordat, dont la signature «limite la souveraineté du parlement démocratiquement élu».
Il existe toutefois une sortie juridique possible, selon le professeur de droit. «Que le parlement espagnol dénonce le Concordat pour manquement d’un des parties signataires. Car depuis plus de trente ans, l’Eglise ne respecte pas son engagement face à l’Etat.» Le Concordat stipule que «l’Eglise catholique déclare son intention d’obtenir par elle-même les ressources suffisantes pour couvrir ses besoins.» A cet effet, les Espagnols peuvent cocher chaque année dans leur déclaration de revenu une case signifiant qu’ils acceptent que 0,7% de leurs impôts soient destinés à financer l’Eglise catholique. Or, entre 1988 et 2005, l’Eglise a touché 2 055 494 578 d’euros, dont 1 625 173 707 versés volontairement par les Espagnols à partir de leur feuille d’impôt. L’Etat a donc complété les revenus de l’Eglise de 430 320 871 d’euros, à l’heure où l’Allemagne ou la France investissaient dans leur économie, pour l’adapter aux nouvelles règles du marché unique.
« Ni le PP ni le PSOE ne comptent changer les choses«
Le professeur de droit ecclésiastique tient bon de préciser qu’il n’est pas anticlérical, mais voit mal en quoi l’exemption d’impôts sur les logements et les jardins et vergers du clergé, pouvant aller jusqu’à deux hectares, est essentiel à l’exercice de la liberté religieuse. Les députés vont-ils suivre l’exemple italien et revenir sur ces privilèges fiscaux? «Moins de 10% du parlement demande la révision du Concordat, nuance Francisco Delgado, président d’Europa Laica. Ce sera une nouvelle fois à la société civile d’alerter les institutions, à l’heure où moins de 25% des citoyens se déclarent pratiquants catholiques, estime-t-il avant d’ajouter: «Mais à court terme, ni le PP ni le PSOE ne sont favorables à changer les choses. Et ils réunissent 80% des députés.»
Article publié le 14 mars dans le journal suisse Le Courrier, basé à Genève.
L’Etat espagnol pourrait récupérer 3 milliards d’euros par an si l’Eglise catholique payait l’impôt sur les biens immobiliers. Il faudrait pour cela revenir sur le Concordat signé avec le Vatican en 1979.
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