Un an aux mains des djihadistes

Depuis un an, 25 soldats et policiers libanais sont retenus en otage par deux groupes djihadistes opposés au régime syrien. Leurs familles vivent l’enfer, tandis que les négociations pour leur libération piétinent.

Hussein Youssef, le teint hâlé et l’oeil éteint, fume cigarette sur cigarette sur un matelas posé aux pieds du Grand sérail, imposante bâtisse ottomane où se retrouvent épisodiquement les 24 ministres du gouvernement provisoire de Tammam Salam. Derrière sa silhouette fine se tient le portrait de son fils Mohammed, soldat de l’armée libanaise, kidnappé par l’Etat islamique (EI) il ya un an à Ersal. «Il avait 28 ans à l’époque. Son fils, alors âgé de deux mois, sait désormais marcher et parler. Il n’a pas vu ses premières dents pousser», soupire l’homme originaire de Rachaya, qui passe désormais ses journées à Beyrouth, dans le camp de fortune improvisé par les familles des otages.

Le 2 août 2014, dans la ville d’Ersal frontalière avec la Syrie, des groupes djihadistes armés ont pris une trentaine de militaires et de policiers libanais en otages, suite à des affrontements avec l’armée libanaise qui ont duré cinq jours et fait plusieurs dizaines de victimes. Un an plus tard, 25 d’entre eux sont toujours prisonniers: 16 sont retenus par le Front Al Nosra, la filiale d’Al Qaeda en Syrie; les neuf autres par l’EI, parmi lesquels le fils d’Hussein. Al Nosra a déjà accepté d’en libérer 11, mais en aabattu deux. L’Etat islamique a refusé toute négociation et a procédé à la décapitation de deux otages.

«Où est la vérité?»
A 50 ans, Hussein en aperdu l’appétit de vivre: «Je ne mange qu’une fois par jour, pour pouvoir tenir sur mes jambes. Voilà neuf mois que je n’ai plus de nouvelles de mon fils.» A ses côtés, Marie Khoury vient de rendre visite àson frère George lors de la fête de fin du Ramadan, le samedi 18 juillet. «Un convoi a transporté toutes les familles des otages d’Al Nosra dans la grotte où ils les détiennent. Là, j’ai pu parler à mon frère et il allait mieux que moi! Il était bien nourri, propre et son moral était bon», livre-t-elle. Contrairement à l’EI, le Front Al-Nosra est en dialogue permanent avec les familles des otages. Mais la jeune femme reste inquiète: «Le leader du Front Al-Nosra nous a dit qu’il n’y avait aucune avancée dans les négociations avec l’Etat libanais. Deux jours plus tard, le général de la Sécurité générale Abbas Ibrahim, en charge des pourparlers, nous assurait qu’ils étaient proches d’un accord. Où est la vérité?»

Un destin lié au Hezbollah
Une année que les familles des soldats kidnappés sont balancées entre promesses de libération du gouvernement et démentis de la part des preneurs d’otages. A plusieurs reprises, ils ont coupé les principales artères du pays en guise de protestation. Comme en juillet dernier, lorsque les pourparlers échouaient à nouveau à porter leurs fruits. Pour le chercheur au «Carnegie Endowment», Mario Abou Zeid, ce nouvel échec est lié à l’opération militaire menée par le Hezbollah en juin 2015 dans le Qalamoun, en Syrie, contre les combattants djihadistes opposés au régime de Bachar el-Assad: «Cette attaque aété l’élément clé qui a bloqué les négociations. Avant, on discutait les détails d’un échange d’otages contre la libération de plusieurs détenus djihadistes de la prison de Roumieh. L’intervention du Hezbollah y a mis fin, car les otages sont la dernière carte des groupes djihadistes pour assurer leur survie», analyse-t-il.

L’armée et les divisions politiques
Depuis son bureau beyrouthin, le général de l’armée libanaise à la retraite, Hisham Jaber, va plus loin: «La question des otages libanais est régionale, pas nationale. Il faut aller à la source pour obtenir leur libération, c’est-à-dire s’adresser directement aux chefs d’Etat turc et qatari, qui ont les clés du dossier», dit-il en tirant sur son cigarillo. Selon lui, le dossier des otages symbolise la faiblesse de l’armée libanaise: «L’armée aurait pu mener une opération militaire contre ces preneurs d’otages avant qu’ils ne trouvent une cache sécurisée. Mais elle-même est retenue en otage, par les divisions politiques libanaises!», assène-t-il. «Un camp [le 8 mars, dirigé par le parti chiite Hezbollah, ndlr] est aux ordres de l’Iran, l’autre [le 14 mars, rangé derrière les sunnites du Courant du Futur, ndlr] de l’Arabie saoudite. Du coup, aucune décision n’est prise. Pourtant, elle doit être soutenue dans sa lutte contre les terroristes à la frontière.»

Portrait d'un otage devant le Grand Sérail - Crédit photo: Emmanuel Haddad

Les civils sur la ligne de front
Président du Comité des oulémas musulmans, qui anégocié la libération des onze otages aux mains d’Al-Nosra en août 2014, cheikh Adnane Imama continue de suivre le dossier de près: «Désormais, leur leader Abou Malik el-Talli dit ne plus souhaiter que la libération de cinq femmes détenues dans la prison de Roumieh, ainsi que des garanties sur la sécurité des réfugiés syriens présents àErsal», déclare-t-il au «Wort». A Ersal, 40. 000 Libanais vivent aux côtés de plus de 60.000 réfugiés syriens qui ont fui les batailles de Qousseir et du Qalamoun, remportées par l’armée syrienne et le Hezbollah. Les civils d’Ersal ont été les premières victimes du siège imposé aux groupes armés retranchés dans les hauteurs de la ville: «Nous avons dit à plusieurs reprises aux groupes djihadistes qu’ils avaient tout perdu au Liban. Les habitants d’Ersal leur en veulent car ils ne reçoivent plus de nourriture et de médicaments àcause d’eux. Le camp du 14 mars dénonce leur attaque contre l’armée libanaise et le 8 mars est leur ennemi. Tout le monde est contre eux et libérer les soldats est pour eux la meilleure solution. Mais jusqu’à aujourd’hui, il y a un problème de confiance mutuelle entre l’Etat libanais et les preneurs d’otages», souligne cheikh Adnane Imama, avant de conclure: «Ce sont les familles des otages surtout qui en paient le prix fort.»

Article publié dans le quotidien luxembourgeois Wort, le 2 août 2015.

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