La promesse française nourrit l’espoir des chrétiens d’Irak

Réfugiés au Liban, les chrétiens d’Irak aspirent à rejoindre la France, qui déclare vouloir favoriser leur accueil. Quant aux Syriens, leur droit d’asile est restreint dans l’Hexagone.

Mercredi 13 août, des centaines d’individus en nage patientent sur un terrain vague situé en face de la petite église chaldéenne de Bouchrieh, un quartier périphérique de Beyrouth. Perchés sur des camionnettes remplies de sacs de vivres, des bénévoles libanais en sueur crient les noms des quelque six cents familles de chrétiens d’Irak enregistrées auprès de l’évêché chaldéen de Beyrouth, puis distribuent à chacune un colis alimentaire contenant du riz, du lait pour bébés et des conserves. «Nous n’aidons pas que les chaldéens, mais aussi les syriaques catholiques, ainsi que les musulmans », précise le père Denha, lui-même réfugié d’Irak.

Une décennie de fuite

Assise à l’ombre de l’un des véhicules, Imane est arrivée de Mossoul il y a deux semaines et semble encore sous le choc : «Nous étions déjà harcelés avant que Daash (acronyme de l’Etat islamique, ndlr) ne prenne la ville, mais après, ils nous ont obligés à nous convertir ou à quitter la ville, sous peine de mort», dit cette mère de trois enfants en bas âge, d’une voix éteinte. A ses côtés, Salouan, jeune électricien de Qaraqosh, une ville proche de Mossoul dont 95% des 45 000 habitants étaient chrétiens, assure que, lors de sa fuite, les djihadistes lui ont pris jusqu’à sa ceinture. Son unique pantalon traîne sur le sable, brûlé par le soleil. Autour d’eux, beaucoup d’Irakiens venus récupérer leur colis viennent de Bagdad et sont installés au Liban depuis longtemps: «Ce n’était plus possible d’y vivre. Il n’y avait pas Daash, mais l’armée du Mahdi, Asaïb Ahl al-Haq (deux milices chiites, ndlr) et nous étions menacés en permanence», témoigne le robuste Soular.

L'Eglise chaldéenne du Liban soutien les chrétiens d'Irak. Crédit: Emmanuel Haddad

L’Eglise chaldéenne du Liban soutien les chrétiens d’Irak. Crédit: Emmanuel Haddad

L’hémorragie des chrétiens fuyant l’Irak rend l’évêque chaldéen de Beyrouth Michel Kassarji ombrageux: «Depuis la chute de Saddam Hussein, la peur de l’avenir, l’absence de travail et de sécurité avaient déjà poussé beaucoup de familles chrétiennes à rejoindre le Liban. Mais ici, elles se retrouvent sans papiers. L’évêché leur délivre une carte d’identité, mais elles risquent tout de même la prison en permanence. Même ici, elles vivent dans la peur», assure-t-il depuis l’archevêché chaldéen de Beyrouth.

La vague migratoire des chrétiens a fait des ondes jusqu’en Suisse, où le conseiller national UDC Erich von Siebenthal souhaite introduire une préférence religieuse en matière d’asile. En France, le 28 juillet, les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur ont réagi au sort des chrétiens du nord de l’Irak: «Nous sommes prêts, s’ils le souhaitent, à en favoriser l’accueil sur notre sol au titre de l’asile.» Onze d’entre eux ont atterri à Paris le 7 août dernier avec un visa d’asile, un dispositif rare qui offre un régime plus favorable que celui des demandeurs d’asile.

Tous, sur le terrain vague de Bouchrieh, ont entendu parler de l’appel de la France et chacun espère pouvoir quitter l’incertitude du Liban au plus vite. «Nous voulons la sécurité, c’est tout. Mais jusqu’ici, nous n’avons encore rien vu de l’annonce française», constate Na’am, une quarantenaire de Mossoul. L’évêque chaldéen est plus circonspect: «On aurait aimé que la France fasse quelque chose pour que les chrétiens puissent rester en Irak, avant qu’elle ne délivre des visas. Car personne ne veut quitter son pays. Mais l’Eglise ne peut forcer ses croyants à rester.»

Un droit d’asile à deux vitesses

Au Liban , plus d’un million de réfugiés syriens ayant fui la répression du régime de Bachar el-Assad et la violence des groupes djihadistes survivent dans des tentes et des immeubles en construction. Environ deux mille d’entre eux ont pu rejoindre la France où, depuis janvier 2013, ils sont soumis à la formalité du «visa de transit aéroportuaire»: «Les Syriens ne peuvent donc ni demander l’asile en France à l’occasion de ce transit, ni y faire escale pour rejoindre un autre pays où trouver refuge», éclaire le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Fin 2013, François Hollande s’est engagé à accueillir cinq cents ressortissants syriens, parmi les plus vulnérables. «Six mois plus tard, moins de cinquante personnes ont bénéficié de ce programme», ajoute le Gisti.

Le 1er août, l’association a donc dénoncé les «larmes de crocodile sur le sort des chrétiens d’Irak, pour masquer la fermeture des frontières à tous les persécutés du Proche-Orient». Selon eux, la solidarité envers les chrétiens cache mal un calcul politique cynique: «Mieux vaut manifester une sympathie vertueuse à l’égard d’une religion culturellement dominante en France, pour éviter de se mettre à dos la partie la moins tolérante de l’opinion hexagonale.»

Article publié dans le journaliste suisse Le Courrier, jeudi 15 août 2014.

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