Vous voulez sauver l’Espagne ? Choisissez votre candidat !

 

Les citoyens? Le gouvernement? Les institutions européennes? L’Allemagne?

«L’Espagne va-t-elle être sauvée par l’Europe?» est devenu le premier feuilleton télé-réalité de l’été. Chaque épisode a son lot de trahisons, de coups de théâtre, d’alliances improbables et de corruption. L’Europe presse l’Espagne de lui demander de l’aide pour sauver ses banques. Une téléconférence de l’Eurogroupe a été convoquée pour ce samedi 9 juin, mais Madrid semble vouloir attendre encore un peu, au moins le temps d’avoir le résultat de son audit bancaire. Le suspense ne retombera pas avant le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement des 28 et 29 juin, où l’on saura si les participants acceptent de voler au secours de la quatrième économie de la zone euro.

Alors en attendant le début de la deuxième saison, «la Grèce va-t-elle quitter la zone euro?», diffusée à partir du 17 juin, arrêtons-nous sur les principaux protagonistes de la série et voyons lequel est le mieux placé pour faire plier les autres à sa solution pour aider l’Espagne:

  1. les citoyens espagnols
  2. le gouvernement espagnol
  3. les institutions européennes
  4. l’Allemagne

 

1. Citoyens ordinaires: les outsiders se rebiffent

Le feuilleton médiatique se focalise sur une seule question: faut-il sauver l’Espagne? Isidro Lopez, de l’Observatorio Metropolitano, la balaie d’un revers de la main:

«Le plan de sauvetage est une soumission aux intérêts des créanciers de l’Espagne, principalement les banques allemandes et françaises. La crise de l’euro est celle d’un modèle d’accumulation d’agents financiers qui doivent maintenir à tout prix une rentabilité élevée à leurs placements. Sauver l’Espagne, c’est sauver ses créanciers.»

Fort de cette grille de lecture, le mouvement des Indignados a décidé de mettre Rodrigo Rato en prison. L’idée de s’en prendre à l’ex-président de Bankia et de la Banque financière d’épargne, qui a quitté le Titanic de la finance espagnole avec 1,2 million d’euros d’indemnités, est née lors du premier anniversaire du 15M.

 

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Alors que la commission d’enquête parlementaire sur le sauvetage de Bankia, estimé à 23,5 milliards d’euros, demandée par les partis de l’opposition, a été refusée à trois reprises par le PP (parti conservateur au pouvoir avec la majorité absolue), la plateforme 15MpaRato a utilisé le crowdsourcing pour financer le dépôt d’une plainte contre Rodrigo Rato. Il fallait 15.042 euros pour déposer la plainte, 19.413 euros ont été récoltés en une journée.

La plainte collective et participative contre Rodrigo Rato compte déjà sur le témoignage de plusieurs anciens employés de Bankia, et sur le travail de la plateforme OpEuribor. Le leitmotiv? «Le coup de la banque, ce n’est pas une faillite, c’est une escroquerie. Pas un euro de plus aux banques», annonce le site du 15MpaRato.

 

«La solution à l’islandaise est très courageuse, mais l’Islande est un cas particulier. Notre cas ressemble plus à celui de la Grèce ou du Portugal. Pourquoi pas mettre Rato en prison, mais il faudra surtout un jour se poser la question du remboursement de la dette, comme le fait le parti Syriza en Grèce», réagit Isidro Lopez.

L’Islande a mis en prison quatre ex-dirigeants de la banque Kaupthing, nationalisée en octobre 2008, jugés responsables de la crise islandaise. Les Indignés espagnols ont donc les yeux rivés vers Reykjavik.

Coup de théâtre, jeudi 7 juin, le parquet anticorruption a annoncé que, à la suite de plaintes répétées de particuliers, une enquête sur cinq délits présumés (falsification de documents, administration déloyale et délit sociétaire, escroquerie, appropriation indue et délit comptable) s’ouvrait sur Bankia. Seront analysées la fusion des sept caisses d’épargne donnant naissance à la banque début 2011 et sa sortie en Bourse en juillet 2011. De quoi donner espoir aux Indignados dans leur soif de justice, voire de bouc-émissaire.

En parallèle, un audit citoyen de la dette est en train d’être réalisé, avec comme objectif de dénoncer la transformation de la dette illégitime des banques ayant spéculé dans l’immobilier en dette publique. A rembourser par les contributeurs.

  • Point fort: la force du désespoir, la légitimité démocratique.
  • Point faible: la lenteur de la justice et les failles de la démocratie espagnole, 24e sur la liste de l’Indice de la démocratie de The Economist et dernier pays avant le début des «démocraties défectueuses».

 

2. Le gouvernement espagnol: une étoffe de héros

Mais mieux vaut ne pas s’attendre à des miracles. D’une part en raison du paradoxe de la mondialisation, souligné par Dani Rodrik, auteur de The globalization paradox: il est impossible de combiner la mondialisation, la démocratie et la souveraineté nationale.

De l’autre, parce que le gouvernement espagnol a clairement opté pour le troisième au détriment du deuxième. Le PP l’a fait savoir par la voix de sa secrétaire générale: «Il faut être responsable pour demander des responsabilités», a déclaré Maria Dolores de Cospedal, affirmant que le parti au pouvoir était tout à fait ouvert à une commission d’enquête sur Bankia… Mais pas maintenant.

Union sacrée. C’est le message du gouvernement repris par les médias, El Mundo se demandant si Mariano Rajoy pourrait devenir un héros en se réinventant face à la crise bancaire espagnole. Tout le monde doit se mobiliser pour éviter «l’humiliation» d’un plan de sauvetage du même acabit que celui taillé pour la Grèce, le Portugal et l’Irlande par la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI). Cette mesure marquerait la fin prématurée du mandat du chef de file du PP et impliquerait une nouvelle série de réformes d’austérité pour une population qui se serre déjà la ceinture jusqu’à l’étouffement.

Pas question, dès lors, de ne mentionner ne serait-ce que son hypothèse. José María Beneyto, après avoir évoqué la possibilité d’un sauvetage, a précisé que ce ne serait pas «l’apocalypse»: cela impliquerait de «traverser un certain nombre de lignes rouges de l’Etat-Providence et de la structure constitutionnelle». Le député du PP a été récompensé de sa franchise en se voyant destitué de son poste à la sous-commission du Fonds de restructuration ordonnées bancaires (FROB).

La stratégie du «tous soudés» a ses techniques: d’abord, répéter que «l’Espagne ne va pas subir d’intervention». Ensuite, effrayer sur le danger de la mise sous tutelle pour préserver l’idée de souveraineté nationale: «On agite l’épouvantail d’une intervention extérieure et on joue carte de la peur pour légitimer les structures politiques existantes», analyse Isidro Lopez. En bon élève, Juan Roig, président des supermarchés Mercadona, la deuxième entreprise familiale d’Espagne, prévient donc que l’Espagne subira une intervention si les Espagnols ne se mettent pas à travailler plus.

Un sauvetage en force, hors de question. Par contre, on n’est pas contre une intervention en douceur. D’ailleurs, elle a déjà lieu. «Certains avancent que l’Espagne subit déjà une intervention indirecte depuis mai 2010, quand Rodriguez Zapatero a lancé la première vague de coupes budgétaires, imposées par l’Union européenne. D’autres considèrent que l’intervention a eu lieu quand la BCE a commencé à acheter de la dette publique espagnole sur le marché secondaire pour réduire ses coûts de financement», précise Laia Mestre, chercheuse au Centre d’études et de documentation internationale de Barcelone (CIDOB).

Autrement dit, la perte de souveraineté nationale qui va de pair avec une politique de rigueur est une autre ligne rouge que le gouvernement est prêt à franchir afin de ne pas être traité comme les autres Piigs (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne). Un choix qui tient à l’adhésion du PP de Mariano Rajoy à la rigueur proposée par Angela Merkel: «Pendant la campagne électorale, Mariano Rajoy parlait de convertir l’Espagne en « Allemagne du Sud ». Bien qu’il n’ait pas réussi à concrétiser en quoi consistait cette proposition, c’est vrai qu’il a fait siennes les recettes d’Angela Merkel: politiques d’austérité, coupes dans le budget de l’Etat et réformes structurelles», précise Laia Mestre, qui illustre cette posture par le comportement européen de l’Espagne:

«L’Espagne n’a pas défendu ouvertement la nécessité de créer des eurobonds, instruments qui pourraient pourtant lui être utiles, parce que l’Allemagne y est opposée.»

Union sacrée et copier-coller du programme du CDU, telles sont les deux stratégies de Mariano Rajoy pour faire sortir l’Espagne de sa crise bancaire la tête haute. Quant aux responsables de la crise, ils seront (peut-être) mis en cause plus tard.

  • Point fort: le rapprochement avec l’Allemagne
  • Point faible: l’alliance inégale avec l’Allemagne

 

3. Institutions européennes: objectif intégration

Timides, retranchées derrière le duo franco-allemand, les institutions de l’UE pourraient bien devenir la solution plébiscitée pour faire face à l’urgence du renflouement de l’Espagne: «L’Allemagne et la France ont joué un rôle prédominant depuis le début de la crise de la zone euro, parce qu’on évolue dans un domaine non-prévu dans les traités. Il était inévitable que l’action soit intergouvernementale, et c’est vrai que les institutions ont joué un rôle moindre. Mais José Manuel Barroso et Herman Van Rompuy ont servi à trouver des compromis entre les dits Etats membres», livre André Sapir, de l’Institut de Bruegel.

Ce professeur d’économie à l’Université libre de Bruxelles estime toutefois que «ce qu’a montré la crise, en Espagne et avant en Irlande, c’est qu’on manquait de mécanisme institutionnel pour éviter que les banques atteintes dans un pays doivent chercher une solution purement nationale, un peu comme si la Californie connaissait l’explosion de sa bulle immobilière et qu’on lui demandait de la gérer seule. C’est de cette faiblesse qu’est née toute la discussion sur l’Union bancaire. Elle existait depuis des années mais l’urgence du sauvetage de l’Espagne a accéléré sa mise en œuvre».

Ce mécanisme, appelé de ses vœux tant par la BCE que par l’Allemagne et l’Espagne et dont la naissance devrait être rendu officiel au Conseil européen du 29 juin, implique «une supervision des banques, donc une perte de souveraineté nationale. Mais en échange, de la solidarité, un système d’assurance de dépôt, et la fin de la fuite de capitaux de pays déjà affaiblis», précise André Sapir. Il permettrait de mettre fin à l’interaction négative entre dette publique et solvabilité bancaire, le problème majeur de l’Espagne.

Seul hic, elle ne pourra pas en bénéficier à temps et pourrait bien devoir recevoir la même aide avec conditions qui a servi à «sauver» la Grèce. Bruxelles semble toutefois soucieuse d’éviter «l’humiliation» à l’Espagne. La Commission européenne vient de repousser d’un an, à 2014, l’objectif de réduire son déficit à 3% (il est aujourd’hui à 8,9%).

  • Point fort: Avec le Mécanisme européen de stabilité et l’union bancaire, l’UE pourrait sortir renforcée de l’urgence espagnole.
  • Point faible: Elle arrive trop tard et confirme la pensée de Jean-Paul Fitoussi: «En Europe, on parle beaucoup mais on agit peu.»

 

4. L’Allemagne: la tour d’ivoire

C’est là que l’Allemagne rentre en jeu. Valeur refuge des marchés mondiaux en Europe grâce au faible niveau de ses obligations à dix ans, Berlin dispose d’une liberté budgétaire qui fait baver d’envie Madrid. Et la rend dépendante:

«L’Espagne a déjà assumé qu’elle ne pourrait pas sortir de la crise sans l’aide de l’UE, ce qui implique l’aide de l’Allemagne.»

L’Espagne fait donc tout pour ne pas froisser son modèle, ce qui ne lui empêche pas d’aller voir ailleurs de temps à autres. Car l’Allemagne est de plus en plus isolée depuis que Merkollande a remplacé Merkozy. C’est donc à Paris que Madrid a trouvé un allié pour évoquer une recapitalisation de ses banques sans contrepartie. Le commissaire européen des Affaires économiques Olli Rehn s’est dit convaincu par cette solution. L’Espagne n’annoncera un plan d’aide qu’une fois le rapport du FMI sur son secteur financier remis le 11 juin. Ou dans quinze jours, quand les cabinets BlackRock et Oliver Wyman auront rendu le leur. On évoque pour l’instant une recapitalisation oscillant entre 50 et 100 milliards d’euros.

Reste à obtenir l’accord de Berlin. Ce sera difficile, tant l’Allemagne est réticente à l’idée de dilapider de l’argent sans garder un œil dessus. «Une rigueur due à la prévision du vieillissement de leur population et à la dépendance à venir de son économie», selon José Ignacio Torreblanca, directeur du bureau madrilène du  European Council on Foreign Relations.

Berlin est «la ville des 7 non», explique ce professeur de sciences politiques: 1) non aux eurobonds, 2) non à la hausse du fond de sauvetage du Mécanisme européen de stabilité, 3) non à un mécanisme de résolution de crise bancaire à un niveau européen, 4) non à l’apaisement de l’austérité, 5) non à la facilitation de liquidité pour les gouvernements fragiles, 6) non à la baisse des taux d’intérêts, 7) non à la stimulation de la consommation.

 

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Le troisième non semble être devenu un oui, avec le feu vert pour une Union bancaire. C’est tout. C’est peu. D’où le rejet croissant de «l’austérité autoritaire» vantée par l’Allemagne en Espagne.

L’Allemagne est indétrônable sur la rigueur. Ok. Mais ce n’est qu’un des deux volets de la crise, selon André Sapir.

 

«Et l’opposition austérité-croissance revient à l’affrontement Merkel-Hollande. Mais sur l’autre volet, la mise en place d’instruments en communs pour résoudre la crise, le gouvernement allemand et son opinion publique sont ouverts à la question de l’union politique, c’est-à-dire à effectuer un saut qualificatif dans l’intégration. Sur le plan économique, cela signifie la création d’une union fiscale et bancaire. L’Allemagne se prononce déjà sur ce point mais la France n’a pas encore posé ses pions. Là-dessus, Angela Merkel s’accorde avec Mario Draghi, le président de la BCE, quand il affirme qu’il faut tracer une perspective sur dix ans en Europe. Il ne faut plus en rester à des rallonges, hier à la Grèce, demain à l’Espagne.»

  • Point fort: Le faible taux de ses obligations à dix ans, la pugnacité d’Angela Merkel, sa nouvelle dame de fer.
  • Point faible: son isolement croissant et son acharnement à imposer l’austérité en Europe du Sud.
Cet article a été publié sur Slate.fr le 8 juin 2012.

Réagissez, débattons :



Laisser un commentaire