La Catalogne va restreindre la construction de mosquées

Tradition et histoire seront des critères pour accepter de nouveaux lieux de culte, selon un projet de réforme. Faut-il y voir le refus de mosquées ?

 

Selon le texte de réforme que le gouvernement catalan (à majorité CiU, la droite nationaliste catalane) doit approuver courant septembre, les municipalités ne devront plus modifier leurs plans d’urbanisme pour accueillir les centres de culte de toute religion dans les dix ans à venir, comme le prévoyait la loi des centres de culte votée en 2009. Ils ne le décideront qu’« en fonction des nécessités sociales », et en tenant compte « du niveau d’implantation et de l’enracinement de chacune des Eglises, confessions et communautés religieuses de Catalogne ». L’autre évolution majeure tient à ce que tout nouveau centre de culte « doit tenir compte des caractéristiques architecturales, culturelles, de la tradition, de l’histoire, et de son impact sur les éléments artistiques. »

 

« Loi de la jungle »

Pour les représentants des minorités religieuses musulmanes et évangéliques, les plus importantes en Catalogne, mentionner « la tradition » et « l’histoire » risque de donner le champ libre aux municipalités de freiner la construction de nouveaux centres non-catholiques. « Nous en avions fini avec l’arbitraire, mais nous revenons à présent à la loi de la jungle », a déclaré le secrétaire général du Conseil Evangélique de Catalogne Guillem Correa, péremptoire.

« Il suffisait de dire qu’il faut respecter les normes architecturales, comme n’importe quelle construction », regrette pour sa part l’ex-secrétaire à l’Immigration du gouvernement catalan Oriol Amorós, opposé à la réforme. Selon lui, « derrière cette évolution, il y a le traumatisme que supposerait pour beaucoup de personnes de voir des minarets pousser dans leur environnement urbain. » Une allusion à Plataforma per Catalunya (PxC), le parti de droite populiste qui a remporté 67 sièges de conseillers municipaux aux élections municipales du 22 mai dernier, et dont le programme politique se base en grande partie sur le refus de la construction de mosquées en Catalogne.

« Il ne faut pas toujours penser au pire », rétorque Xavier Puigdollers, le directeur des affaires religieuses du gouvernement catalan, qui se veut rassurant.  « Vous connaissez un peu la Catalogne ? Il y a 947 municipalités, dont beaucoup de petites bourgades situées en montagne. Beaucoup n’ont pas les infrastructures adéquates pour mettre en œuvre les modifications urbanistiques prévues par la loi. En pleine période de crise, la réforme leur donne donc plus de temps », a-t-il déclaré au Courrier, précisant que la refonte de la loi ne supprimait en aucun cas la nécessité de réserver une place aux centres religieux. « Si une municipalité en détecte la nécessité, elle le fera. » Quant aux craintes soulevées par les termes « tradition » et « histoire », le directeur des affaires religieuses les balaie du revers de la main : « Cela n’a rien à voir avec la religion ! Les municipalités rénovent leur centre-ville avec des bâtisses en pierre pour attirer le tourisme. Les normes urbanistiques s’appliquent à toutes les constructions, religieuses ou non. »

 

Photo : (cc)REMY SAGLIER - DOUBLERAY/flickr

« Il n’y a pas de mosquées en Catalogne »

Reste le constat de la précarité des lieux de cultes musulmans, 159 en Catalogne contre 2500 catholiques et 600 temples évangéliques. Pour Ahmed Bensallah, président de l’association Llum del Nord qui promeut les échanges culturelles entre le Maroc et la Catalogne, « il n’y a pas de mosquées en Catalogne. La mosquée est un bâtiment avec certaines spécificités architecturales – une coupole, un minaret, une arche… On ne peut pas dire qu’un garage ou une salle de prière en sous-sol répondent à ces critères. Il y a des bien des salles grandes et habilitées à la prière, concède Ahmed Bensallah, mais ce ne sont en aucun cas des mosquées ». En 2006, le deuxième Congrès des Imams et Présidents de mosquées de Barcelone avait d’ailleurs appelé de ses vœux à la construction d’ « une mosquée digne de ce nom à Barcelone, qui serve de référence islamique dans le pays ». L’appel reste d’actualité.

 

Préserver le dialogue

Deux projets de mosquée, l’un à Torroella de Montgrí-L’Estartit, l’autre à Salt, ont coup sur coup été suspendus en Catalogne cet été. Et le maire de Torroella Jordi Cordón (CiU) a fait explicitement référence à « l’harmonie architecturale » de sa ville pour mettre un coup d’arrêt au projet. Ahmed Bensallah y voit de la « discrimination institutionnelle » et craint que la réforme de la loi ne serve de prétexte aux municipalités pour refuser tout projet de mosquée « digne de ce nom », comprenez avec un minaret et une coupole.

Mais Xavier Puigdollers rappelle que ces deux projets n’ont été suspendus que temporairement : « Il y avait des irrégularités, elles vont être corrigées ». Selon lui, « il va falloir faire des efforts des deux côtés. A Torroella, les deux partis négocient pour que la mosquée respecte mieux les normes architecturales en vigueur. Quant à Salt, il y a déjà 4 oratoires musulmans et 6 temples évangéliques, rappelle-t-il. Vous savez, 47% de la population de Salt est d’origine immigrée. La réforme de la loi va permettre de repenser en profondeur l’accueil de cette diversité. » Il conclut, en guise d’avertissement : « L’important, c’est de préserver le dialogue. »

Cet article a été publié le 10 septembre sur Le Courrier, quotidien suisse publié à Genève.

Photo : Une : (cc)Anduze traveller/flickr ; texte : (cc)REMY SAGLIER - DOUBLERAY/flickr

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