Réseaux chrétiens : la voix dissidente contre la « papolatrie » de l’Eglise espagnole

 

Redes Cristianas (Réseaux Chrétiens) réunit 160 communautés en Espagne. En marge des JMJ, ils ont osé brandir la pancarte « Le Pape, pas avec mes impôts », et ils dénoncent aujourd’hui la papolatrie comme un nouveau fondamentalisme. Depuis cinq ans, ces chrétiens dissidents militent pour une Eglise plus modeste et plus moderne.


Gênant. La présence de chrétiens espagnols aux côtés d’associations laïques et athées pour critiquer le coût et la forme de la visite du pape à Madrid à l’occasion des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ, nos éditions de jeudi et vendredi) fait siffler les oreilles de l’archevêque de la capitale, Antonio María Rouco Varela. Qualifié d’anti-JMJ et d’athée par pléthore de médias et de politiques, la manifestation qui a réuni 15 000 personnes mercredi s’est déroulée au milieu des provocations des pèlerins et s’est achevée sur une charge policière faisant onze blessés, dont trois policiers. Au moins huit personnes ont été détenues.

Pourtant, l’appel de Redes Cristianas, Europa Laica et la Unión de Ateos y Librepensadores sous le slogan «La visite du pape oui, mais pas comme ça», est au contraire un cri du cœur, l’appel à l’édification d’une Eglise plus démocratique et plus humble en période de crise.
Plus moderne, parce que l’Eglise espagnole régresse, selon Evaristo Villar, porte-parole de Redes Cristianas (Réseaux Chrétiens). «Les prêtres sont en quelque sorte en train de sacraliser la ville de Madrid. Ils confessent dans le Parc de Retiro, organisent des messes dans les parcs publics… L’Eglise officielle avance à marche forcée contre la sécularisation!» Plus de 160 mouvements composent le réseau de chrétiens, dont le manifeste conteste «la course pour conquérir le pouvoir à tout prix» du diocèse espagnol.

Plus de démocratie

Ces chrétiens en fronde sont aussi bien membres des Communautés chrétiennes populaires, des Chrétiens pour le socialisme que de la commission chrétienne de la Fédération LGBT espagnole (lesbiennes, gays, bi et trans). Tous se sont réunis il y a cinq ans autour d’un objectif commun: «Nous souhaitons une Eglise plus démocratique, où laïcs et chrétiens de tous horizons auraient une voix, un peu comme le revendiquait le Concile Vatican II», explique Raquel Mallavibarrena, représentante de Somos Iglesia et porte-parole de Redes Cristianas.

Au lendemain de la chute du franquisme, l’Eglise espagnole s’est pourtant montrée réceptive aux changements sociaux: «Il y a eu un moment très beau où le front épiscopal a accompagné l’ouverture de la société», se souvient Evaristo. «L’Eglise catholique, de principal soutien au régime franquiste, a fini par compter dans ses rangs des prêtres emprisonnés à Zamora (petite ville au nord de Madrid où le régime franquiste enfermait les prisonniers politiques, ndlr), situation inédite dans un Etat confessionnel jusqu’à 1978», note même Rafael A. Simón dans son doctorat sur «l’Eglise catholique espagnole dans la Transition depuis le franquisme».

Puis Antonio María Rouco Varela est arrivé à la tête de la Conférence épiscopale (de 1999 à 2005). Opiniâtre, l’archevêque de Madrid âgé de 75 ans n’a pas hésité à répondre aux jeunes indignés espagnols que leurs problèmes «ont à voir avec le travail, mais surtout avec des choses plus profondes: leur âme et leur cœur». A la veille des JMJ, il autorise les prêtres à «pardonner» les femmes qui avaient avorté, moyennant une «pénitence» pendant la semaine des Journées mondiales de la jeunesse. De quoi faire frissonner de nombreux chrétiens espagnols pas forcément au diapason avec la vision critique du Vatican sur la «laïcité agressive» du gouvernement de José Luis Zapatero, favorable au mariage homosexuel et au droit à l’avortement.

 

Et la Somalie?

Evaristo, lui-même prêtre, regrette que l’Eglise prétexte des JMJ pour «imposer la morale chrétienne contre l’éthique des lois votées par le peuple, et ce en appelant à la désobéissance civile afin de s’opposer au droit à l’avortement et au mariage gay». Mais ce qui l’indigne par-dessus tout, c’est le lien entre les JMJ et les grands argentiers espagnols. Avec les autres 120 prêtres du Forum des prêtres de Madrid, il affirme que «les mécènes de Rouco blanchissent leur argent en passant sous la soutane du pape». En effet, l’archevêque de Madrid a fait appel à la Fondation Vivo Madrid pour financer les JMJ, à hauteur de 25 millions d’euros (l’autre moitié ayant été assumée par la municipalité). Or la fondation réunit les plus grandes entreprises de l’IBEX 35, le principal index boursier de la Bourse de Madrid, et elles seront exonérées d’impôts jusqu’à 80% de ce qu’elles ont investi.

Dans un communiqué publié dans la presse espagnole, les prêtres madrilènes accusent ces entreprises d’être à l’origine de la crise. Ils leur reprochent tant la hausse des salaires de leurs dirigeants que leur exploitation de la main-d’œuvre des pays du Sud ainsi que l’utilisation de paradis fiscaux pour maximiser leurs profits. «Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent», préviennent-ils l’archevêque Rouco Varela, citant l’Evangile.

Et c’est l’Evangile sur le cœur qu’ils ont rallié les organisations laïques et athées dans les rues madrilènes pour critiquer l’institution ecclésiastique, en compagnie de milliers de manifestants. Une posture on ne peut mieux résumée par le théologien espagnol José María Castillo dans une tribune intitulée «Les voyages du pape et les voyages de Jésus» sur le site Periodista Digital: «Pourquoi le pape ne se rend pas, pour l’instant au moins, en Somalie et au Kenya, et qu’il reste là-bas, dans les camps de réfugiés?» demande-t-il. Et, comme si c’était nécessaire, au même titre que Redes Cristianas précise ne pas être «anti-pape» mais bien «pour une refondation de l’Eglise en phase avec la modernité», le théologien précise: «Si je le dis, ce n’est pas pour attaquer l’Eglise et le pape. Au contraire. Je le dis parce que j’ai la conviction ferme de la force qu’ont l’Eglise et le pape pour toucher les cœurs et les consciences quand la vie d’êtres si fragiles et désemparés est en jeu.»

La «papolatrie» est un fondamentalisme

Un mois après, les JMJ ont laissé des traces en Espagne. Le congrès de l’association des théologues Jean XXIII se penchait pourtant sur le fondamentalisme et ses principales manifestations, en invitant des penseurs de divers continents, toutes religions et identités culturelles et ethniques confondues. Mais à la grande surprise (?) des 900 personnes présentes à Madrid lors de la cérémonie de clôture dimanche 11 septembre, la «papolatrie» est rentrée dans les sujets de discussion, aux côtés du terrorisme islamique et de son revers, le fanatisme évangéliste. La «papolatrie»? Selon le manifeste du congrès, elle s’est déployée lors des JMJ, qui «ont offert une image autoritaire et patriarcale de l’Eglise, étrangère aux problèmes réels des jeunes, et a fomenté l’exaltation du pontife, jusqu’à tomber dans la papolatrie, une des plus nettes expressions du fondamentalisme. Le tout avec l’appui et le soutien des différentes institutions municipales, régionales, militaires et entreprenariales.» La hiérarchie de l’Eglise espagnole ira-t-elle un jour à confesse pour se repentir de papolatrie ?

 

Cet article, excepté le dernier paragraphe, a été publié le 20 août 2011
sur Le Courrier, (excellent) journal suisse publié à Genève

Photos : Une : (cc)Madrid2011jmj/flickr ; texte : (cc)Ferminius/flickr

Liens à suivre :

Le site de redes cristianas : http://www.redescristianas.net/
Le site du Foro Curas de Madrid : http://www.forocurasdemadrid.org/

 

Quelques 160 communautés réunies dans la plateforme Redes Cristianas (Réseaux Chrétiens), ont osé brandir la pancarte « Le Pape, pas avec mes impôts », en marge des JMJ. Depuis cinq ans, ils militent pour une Eglise plus modeste et plus moderne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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