L’indignation qui vient

 

Cinq mois après sa naissance à Madrid, le mouvement des indignés se répand – non sans vives réactions – dans d’autres couches sociales et à travers 45 pays, dont la Suisse.


Le 15 octobre (15-O) comme la promesse d’un second souffle. Cinq mois après la mobilisation fondatrice du 15 mai (15-M) à Madrid, les indignés s’apprêtent à défiler contre la toute-puissance des marchés et pour la démocratie réelle dans 400 villes, disséminées dans 45 pays(1). Une internationalisation qui tombe à pic pour les pionniers espagnols. Car depuis la rentrée, le mouvement essuie de plus en plus de critiques ouvertes, voire d’interdictions. Preuve que ses idées dérangent de plus en plus.

«Coup d’Etat»
Fin août, le maire conservateur de Guadalix de la Sierra avait mis sa petite citadelle de 2500 habitants sur la carte médiatique, en annonçant que les individus qui organiseraient des assemblées populaires ou des campements dans cette ville s’exposeraient désormais à des amendes allant de 750 à 3000 euros. Officiellement, il s’agissait de «favoriser le bon déroulement de la vie commune» et de protéger «le patrimoine urbain» face aux «agressions, altercations et usages illicites». Entre les lignes de cette «ordonnance de coexistence citoyenne» signée le 11 août, un ras-le-bol de plus en plus assumé des édiles du Parti populaire (PP) contre le 15-M.

 

Photo : ©Emmanuel Haddad

La présidente de la Communauté de Madrid Esperanza Aguirre (PP) n’y va pas par quatre chemins: «Derrière le principe de démocratie directe peut se cacher un coup d’Etat», a-t-elle déclaré le 26 septembre, à l’occasion de la présentation du livre El Primer Naufragio du polémiste conservateur Pedro J. Ramírez.

Répression
Une référence aux vingt-deux indignés arrêtés début octobre à Barcelone, après leur regroupement le 15 juin devant le parlement catalan. Pour avoir bousculé certains députés, ces manifestants – dont l’identité a été obtenue par la police grâce aux images des médias – risquent une inculpation pour délit «contre les institutions de l’Etat».

L’arrivée des indignés à Bruxelles, en vue de la manifestation européenne du 15 octobre, certains ayant fait la route depuis l’Espagne ou les Pays-Bas, n’a pas été moins mouvementée. Le campement au parc Elisabeth s’est soldé par 48 arrestations.
Les méthodes du 15-M seraient-elles à revoir? «J’ai subi comme les autres ma part de violences policières. Les changements que nous voulons appliquer impliquent une action sur tous les fronts, tant dans la rue que par une pression citoyenne sur les représentants politiques», estime à l’inverse Rafael Palomo, qui revendique «la résistance civile, légitime quand les lois sont le fait de la volonté des plus riches».

Indignation, de l’école à l’hôpital
Avec deux autres indignés, il est allé défendre le 6 octobre devant le parlement andalou un élargissement d’un instrument de démocratie directe que connaît la région, l’initiative législative populaire (ILP), aux questions d’économie, de redistribution ou d’emploi. «Ce que nous proposons, c’est d’ouvrir le système aux citoyens, leur permettant d’influencer les représentants, sans avoir à créer de parti politique.» Un discours qui commence à faire tache d’huile dans toute la société espagnole.

Tout comme la radicalité du 15-M semble avoir contaminé les mouvements sociaux traditionnels. Depuis le 20 septembre, des milliers de professeurs, de parents d’élèves et d’étudiants madrilènes font grève et manifestent contre les coupes budgétaires dans l’éducation publique. «L’école publique se transforme en assistance publique», explique au Courrier Teresa Esteban, du Syndicat des travailleurs de l’enseignement de Madrid (STEM). «D’un côté, on supprime les postes des professeurs intérimaires du public; de l’autre, les parents qui placent leurs enfants dans le privé sont exonérés fiscalement.»

Photo : ©Emmanuel Haddad

L’ampleur du soulèvement contre les coupes dans l’éducation et la santé publique était totalement inattendue: «Une telle mobilisation n’avait pas été vue depuis très longtemps. Les dirigeants du PP [grands favoris des élections de novembre] savent désormais que leur politique aura un coût public et politique», prévient la syndicaliste.

Déjà, la Catalogne se met au diapason. L’Institut catalan de la santé vient ainsi d’annoncer un plan de 45 millions d’euros d’économies sur la main-d’œuvre dans la santé publique: baisse généralisée des salaires ou suppression de 1500 emplois, une alternative peu réjouissante.
«Rien à perdre, tout à gagner», le slogan qui dominera les manifestations interconnectées de samedi 15 octobre devrait inspirer de plus en plus d’Espagnols, estime Teresa Esteban. «Ce qui compte, c’est qu’il y ait une réponse citoyenne», souligne-t-elle. Le 15-M entame son internationalisation. En Espagne, il éclabousse déjà tous les pans de la société.

 

Cet article a été publié initialement dans l'édition du 15 octobre du journal suisse Le Courrier.  

Photos : ©Emmanuel Haddad

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