Grèce: liaisons dangereuses entre pouvoir et néonazis

Aube dorée, le parti néonazi grec crédité de 13% à 15% des intentions de vote, tisse de longue date un réseau d’intérêts réciproques avec le pouvoir en place. Quant à la police, elle se montre complice de la «chasse à l’homme» quotidienne perpétrée par Aube dorée contre les immigrés.

Athènes, mi-juillet 2013. Avec cinq ans de récession économique dans le compteur et un taux de chômage à 27%, la capitale
grecque ne désemplit pas. Habitués à partir se ressourcer dans les îles de la mer Egée, 73% des Grecs n’iront pas en vacances cette année, selon un sondage de l’Institut national de la statistique. Tandis que le coeur des Athéniens balance entre résistance et résignation, le visage réjoui d’Ilias Panagiotaros, député du parti Aube dorée, s’éclaire dans le hall d’un hôtel de luxe. A l’étage du
Chrystal City, le gratin du parti néonazi grec, qui a obtenu 6,92% des voix aux législatives de juin 2012, assiste à la présentation
de deux livres publiés par le centre Aigis, son nouveau think tank.

Un parti nazi…
Theodoros Koudounas, militant depuis 1986 du parti scellé d’un méandre grec aux allures de svastika nazi, harangue l’assistance: «Nous ne sommes pas le monstre décrit par les médias. Nous avons une véritable idéologie, celle qui fera des citoyens grecs des bataillons de militants au service de la nation!» Une idéologie que décline Costantinous Alexandrakis, l’un des auteurs: «Le capitalisme et le judaïsme sont les deux faces d’une même monnaie. La solution contre ce fléau vient du peuple grec, de la pureté du sang.» Un spécialiste financier du parti le relaie, pour qui la crise du capitalisme est liée à l’emprise des juifs sur l’économie: le docteur de la reine Elisabeth était juif, Colbert avait un ami juif… Autant de preuves implacables, selon lui, du complot sioniste. Le public approuve. Nikolaos Michaloliakos, fondateur d’Aube dorée en 1985, est venu assister à la présentation, nouvelle phase d’une normalisation progressive de son parti au sein du système politique grec. Jadis marginal, avec 0,29% des votes aux élections législatives de 2009, Aube dorée est aujourd’hui le troisième parti grec. Devant les médias, ses membres refusent désormais d’être qualifiés de néonazis ou de fascistes, préférant le terme de patriotes. Mais en petit comité, le masque tombe. «Aube dorée n’est pas un parti d’extrême droite, c’est un parti nazi», précise tout de go Anna Stai, fondatrice de l’Initiative antinazi, un mouvement qui vise à faire interdire le parti. Sous son bras, la militante aux yeux cernés porte les archives du magazine Aube dorée, édité depuis 1980. Pêle-mêle, des portraits de Waffen SS, un hommage  à Adolf Hitler écrit par Ilias Kasidiaris, député et porte-parole du parti, des articles
vantant la collaboration avec les nazis s’étalent sur la table de son café athénien habituel.

… proche des industriels


Outre la littérature du parti, les sorties de ses députés sont là pour confirmer son identité fasciste: Ilias Panagiotaros appelant à tuer les Albanais et les homosexuels, Giorgos Germinis détruisant les stands de travailleurs immigrés au marché de Rafina, Eleni Zaroulia, femme du chef et députée, qualifiant les étrangers de «soushommes »… Autant de signaux qui devraient faire d’Aube dorée un parti infréquentable. Et pourtant, «même avant leur succès politique, dès 1992, quand ce n’était qu’un rassemblement de skinheads, leur deuxième congrès s’est tenu dans l’un des plus grands hôtels d’Athènes, propriété d’un grand armateur grec. Le Pen y pose aussi ses valises à chacune de ses visites en Grèce», précise Dimitri Psarras, auteur du Livre noir d’Aube Dorée. Selon le journaliste grec à la barbe poivre et sel, Aube dorée est bien «un parti nazi, mais qui fait partie du système depuis le début, que ce soit par sa relation avec les services secrets, l’Eglise ou les armateurs. Beaucoup de députés actuels d’Aube dorée étaient les gardes du corps d’armateurs et d’industriels de renom», ajoute-t-il. Dimitri Psarras n’est pas le seul à affirmer qu’Aube dorée est financé par l’oligarchie grecque. «Nous savons que le parti a reçu une importante somme d’argent avant les élections de 2012. En douze mois, Aube dorée est passé de trois bureaux à cinquante-deux dans toute la Grèce! Des rumeurs insistantes courent sur Evangelos Marinakis, un armateur grec propriétaire du club de foot Olympiakos. La théorie se tient, car Aube dorée recrute chez les ultras du club, situé au Pirée, un quartier où le parti jouit d’un fort soutien. Mais ce ne sont pour l’heure que des rumeurs», précise Antonis Vradis, géographe grec dont la thèse porte sur les conséquences spatiales de la crise.

«Pour obtenir une preuve, il faudrait une source haut placée qui cherche à éliminer l’un de ses concurrent en livrant ce genre de secret», avance Augustine Zenakos, directeur de la publication du mensuel indépendant Unfollow. En attendant, de nombreuses coïncidences soulèvent le doute. «Par exemple, le fait que l’avocat de plusieurs députés d’Aube dorée compte aussi parmi sa clientèle Yannis Alafouzos, directeur de Skai media group, Dimitris Melissanidis, un riche armateur, propriétaire du club de foot AEK Athens, et qu’il soit un proche du premier ministre Antonis Samaras. Pour nous, c’est plus qu’une coïncidence, mais on ne peut rien prouver», regrette lui aussi le journaliste, en tirant sur sa pipe sur la place d’Exarchia, le quartier anarchiste d’Athènes. Autre élément faisant douter de la nature antisystème du parti, son attitude au parlement: «Ils ont voté pour l’exonération de taxes en faveur des armateurs», explique Dimitri Psarras, avant d’enfoncer le clou: «C’est également le seul parti de l’opposition à avoir soutenu le décret du gouvernement pour la fermeture soudaine d’ERT, le groupe audiovisuel public, laissant sur le carreau 2655 salariés grecs.» Aube dorée, un phénomène à double face. Populiste, raciste et antisystème, le parti distribue de la nourriture et procure des soins gratuits, mais pour les seuls citoyens grecs, chassant les immigrés à coups de barres de fer et de couteaux. Nationaliste et élu à l’Assemblée, il soutient la politique d’austérité du gouvernement et vote en faveur des industriels. Pas sûr que les jeunes chômeurs de 18 à 24 ans, le gros de son électorat, sachent qu’en votant pour Aube dorée, ils soutiennent les mesures de la Troïka et du gouvernement.

La police favorise la chasse aux immigrés

«Je rentrais chez moi en métro quand j’ai vu quinze jeunes au crâne rasé s’en prendre à un homme noir de 50 ans. J’ai foncé, pris le pauvre homme et l’ai poussé dans le métro. Partout, c’était la chasse à l’homme, des jeunes noirs se faisaient courser, une peur indescriptible dans les yeux. Ensuite, une fille d’Aube dorée m’a sauté dessus, puis ils se sont tous mis à me frapper. Quand la police est arrivée, ils riaient à moitié. J’ai dit que je voulais porter plainte. Un membre d’Aube dorée m’a menacée devant eux. Puis la police m’a conseillé de ne pas porter plainte, me disant que mon agresseur était une amie de la fille du chef d’Aube dorée, qu’elle allait payer le juge et que j’allais perdre.» Chloé Khritaras est photojournaliste à Athènes. La jeune francogrecque a dû déménager après l’agression:
quatre gros bras d’Aube dorée l’attendaient devant chez elle. Elle se dit pourtant chanceuse, n’étant pas immigrée. Car les témoignages des migrants recueillis dans les rapports de Human Rights Watch, Amnesty International ou du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (UNHCR), disent tous la même chose: les immigrés victimes de violences racistes renoncent souvent à porter plainte auprès de la police grecque, muette dans le meilleur des cas, complice dans beaucoup d’autres.

Chasse à l’homme
C’est dans le quartier athénien où vivait Chloé Khritaras, Agios Panteleimonas, que la «chasse à l’homme» a commencé fin 2008. «Une centaine d’Afghans vivaient sur la place centrale du quartier. Aube dorée a infiltré un comité de quartier et a fédéré ses membres contre les migrants. Un jour, ils sont venus armés de barres de fer sur la place et nous n’avons rien pu faire: ce fut une véritable chasse à l’homme », se souvient Ilia, militante antifasciste et résidente du quartier. Nasim, jeune Afghan arrivé en Grèce voilà douze ans, est resté y vivre deux ans après l’attaque. Pour résister. «Mais un jour, Aube dorée s’est introduit chez mon voisin pakistanais en pleine nuit pour l’agresser. Je savais que j’étais le prochain sur la liste, donc je suis parti», enrage-t-il.

En juin 2012, on apprend que la moitié des policiers ont voté pour Aube dorée aux élections législatives où le parti néonazi a récolté près de 7% des voix. A Agios Panteleimonas, personne n’est surpris. «Quand des membres d’Aube dorée agressent un migrant, les policiers attendent qu’ils aient fini pour embarquer la victime de l’attaque, pas les agresseurs», s’insurge Ilia. En octobre, le quotidien britannique The Guardian publie le témoignage anonyme d’un officier de police, déclarant que les services secrets savent depuis longtemps que des «poches fascistes» sévissent au sein de la police, mais que l’Etat a préféré «garder les éléments fascistes ‘en réserve’ et les utiliser pour ses propres fins».

Soutien officiel des autorités 

Pour les chercheurs grecs Antonis Vradis et Dimitris Dalakoglou, si les forces de l’ordre ont laissé l’extrême droite mettre la main sur le quartier, c’est avant tout pour donner une réponse à la révolte sociale qui grondait. En décembre 2008, à la suite de la mort d’un jeune de 15 ans, abattu d’un coup de revolver par un policier, des émeutes quotidiennes ont éclaté dans la capitale grecque, avec pour noyau dur le quartier anarchiste d’Exarchia, laboratoire de la contestation. «Aube dorée a alors inflitré un comité de quartier d’Agios Panteleimonas et a commencé à imiter le modèle des assemblées ouvertes d’Exarchia. Sauf que c’était pour mettre en place son programme raciste et anti-gauchiste. L’objectif était de faire d’Agios Panteleimonas un anti-Exarchia», expliquent les chercheurs en géographie et en anthropologie depuis un bar d’Exarchia. Lors d’une manifestation anti-immigrés organisée dans le quartier en juin 2009, le vice-ministre Christos Markoyiannakis, en charge de la police, vient apporter son soutien aux «citoyens indignés», c’est-à-dire au comité de quartier chapeauté par le parti d’extrême droite. Un signe sans précédent, selon les chercheurs, que l’Etat grec a décidé de soutenir la violence de rue d’Aube dorée. Trois ans plus tard, la police ferme le squat anarchiste de Villa Amalias, qui résistait tant bien que mal aux ratonnades quotidiennes d’Aube dorée dans le quartier. Désormais, le parti néonazi y impose sa loi d’airain sans entraves.

La goutte d’eau
«Aube dorée est la dernière carte du système, estime Antonis Vradis. Comme le gouvernement ne peut plus donner de carottes, il donne du bâton », dit-il, en référence à la politique d’austérité qui a drastiquement réduit le train de vie de la classe moyenne grecque. Coordinateur national de Keerfa, mouvement antiraciste et contre la menace fasciste, Petros Constantinous ajoute que la montée du fascisme en Grèce est inséparable de la mise en oeuvre d’une politique migratoire raciste: «Le gouvernement grec entasse les immigrés dans des camps de détention, n’a sûrement pas naturalisé un étranger depuis plusieurs années… Depuis août 2012, son programme Xenios Zeus, ‘Zeus l’hospitalier’, donne carte blanche à la police pour contrôler au faciès, avec des abus à la clé. L’extrême droite surfe sur cette politique raciste pour agresser les immigrés et demander leur expulsion », s’indigne le militant antifasciste. Il précise que l’Union européenne ne laisse pas de marge de manoeuvre à l’Etat grec qui, ayant signé la convention Dublin II, ne peut pas laisser les migrants sans papiers arrivés en Europe par la frontière turco-grecque quitter la Grèce pour déposer une demande d’asile dans un autre Etat membre de l’UE. Le visage le plus macabre des liaisons dangereuses entre police et Aube dorée sort au grand jour en octobre 2012. Le quotidien britannique The Guardian révèle que quinze militants antifascistes ont été torturés dans le commissariat de police d’Agios Panteleimonas. Leur tort? S’être confrontés à Aube dorée pour dénoncer les ratonnades anti-immigrés. C’est la goutte d’eau. Deux mois plus tard, le ministre de l’Ordre public et de la protection des citoyens, Nikos Dendias, propose de créer un département dédié aux violences racistes au sein de la police grecque. A l’heure actuelle, seule une arrestation a été rapportée, écrit The Economist.

Autodéfense
Car la remise en cause doit aller plus loin, selon l’UNHCR. D’une part, la loi grecque ne prévoit pas de peine contre les violences racistes, la portée raciste d’un crime n’étant qu’une circonstance aggravante dans le code pénal. Il n’existe pas non plus de permis de résidence humanitaire pour les victimes de violence raciste. Résultat: seules 24 personnes ont porté plainte parmi les 154 témoignages de violence raciste rapportés en 2012 par le Réseau d’enregistrement des actes de violence raciste, coordonné par l’UNHCR et la Commission nationale des droits humains. Dans 91 cas, les auteurs étaient membres de l’extrême droite. A 25 reprises, la police était partie prenante. Depuis les bureaux de l’UNHCR, Daphne Kapetanaki soupire: «Ces 154 témoignages ne sont que la pointe de l’iceberg.» Chloé Khritaras raconte avoir passé, le mois dernier, la nuit au poste de police, pour un contrôle d’identité, subissant une fouille illégale et se voyant forcée à signer des papiers déclarant qu’elle renonçait à ses droits à un avocat. Un avant-goût de ce que subissent les milliers d’immigrés échoués en Grèce, dans l’espoir de rejoindre un jour un autre pays européen. Iraz est l’un d’eux. Demandeur d’asile iranien, il a passé trois mois dans le sous-sol d’un commissariat, partageant une cellule pour deux avec quinze autres immigrés. «J’ai menacé de me suicider, donc ils m’ont épargné. Mais les autres étaient tabassés et insultés en permanence. On n’a pas vu la lumière du jour pendant trois mois», se souvient le diplômé en droit, depuis le centre social de soutien aux immigrés Steki Metanaston, situé à Exarchia. Désormais, il participe à toutes les manifestations antifascistes organisées en Grèce. Et en attendant que la police le défende contre Aube dorée, il prend des cours d’autodéfense, à l’instar d’un nombre croissants de migrants.

Les policiers proches d’Aube Dorée ? «Des cas isolés»

«Il y a des agents de police qui estiment que, face aux difficultés que rencontre le pays et l’état de corruption du système, les solutions proposées par Aube dorée sont les seules valables. Mais ce sont des cas isolés», explique l’agent de police chargé de surveiller une manifestation antifasciste, organisée à la suite de l’attaque d’un centre social à Athènes par un groupe d’extrême droite. Reste qu’un officier de la police nationale sur deux a voté Aube dorée en juin 2012. A l’inverse, les agents de police municipale tiennent à se démarquer: «Nous sommes différents. Même si je viens de perdre mon poste, je ne rejoindrai la police nationale sous aucun prétexte», explique un policier municipal rencontré sur la place Syntagma lors de la grève générale du 11 juillet, alors que le gouvernement a annoncé l’affectation de 3500 agents de police municipaux à la police nationale. Mercredi 24 juillet, malgré une interdiction administrative, les agents de police sont présents pour couper le trafic et permettre à Aube dorée d’organiser une distribution de nourriture réservée aux Grecs, qualifiée de «soupe de la haine» par le maire d’Athènes. Depuis les élections de juin 2012, le parti finance ses actions à travers les subventions publiques, «environ 2 millions d’euros pas an», estime Dimitri Psarras. Seul journaliste à avoir interviewé le leader d’Aube dorée, il se souvient lui avoir demandé d’où venait l’argent dépensé par le parti pour son congrès en 1992. «Il m’a répondu qu’un membre du parti avait gagné au loto», dit-il en soulevant les épaules. Même esquive face aux accusations de violence perpétrées contre les migrants: «On veut nous faire passer pour des fous. Mais y a-t-il des preuves?» provoque Theodoros Koudounas, affirmant que les autres partis diabolisent Aube dorée car ils sont incapables d’arrêter sa progression. Quant aux électeurs du parti, beaucoup y arrivent par désillusion: «Je votais Nouvelle Démocratie, mais après trois ans de négociation avec la Troïka, j’ai compris qu’ils étaient tous corrompus. Seul Aube dorée fait quelque chose pour nous», justifie une femme venue chercher de la nourriture des mains du parti néonazi.

Reportage publié dans le journal suisse Le Courrier, le samedi 10 août 2013.

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