L’or mine l’avenir du nord de la Grèce

La société canadienne Eldorado Gold a décidé d’exploiter une mine d’or au plein cœur d’une forêt ancestrale, au risque d’enterrer le futur de la région.

Entre le VIe siècle avant J.-C. et le XXIe siècle, 33 millions de tonnes de minerai ont été extraites de la mine de Cassandre. En vingt-cinq ans, Eldorado Gold compte en extraire 380 millions. Tout, dans le projet minier implanté dans une forêt ancestrale de la région de Chalcidique, dans le nord de la Grèce, est démesuré.

Paradis naturel en sursis
D’abord, la beauté de la nature. Inscrite en partie au réseau Natura 2000, la forêt de Skouries regorge d’espèces rares d’animaux et de plantes, ses abeilles produisent 10% du miel en Grèce, les cours d’eau qui creusent les flancs du mont Kakkavos, planté en son cœur, procurent la seule eau potable de la région. Sa destruction programmée est tout aussi immense: depuis 2003, la société Ellinikos Xrysos (Hellas Gold) a acquis une concession de 317 km2, dont une grande partie dans la forêt, 310 logements, deux mines souterraines et des tunnels souterrains, 30 000 m2 de bureaux, etc. Le projet de la société minière est de creuser la montagne pour en faire une mine à ciel ouvert, de creuser un autre trou géant dans la forêt pour y déposer le bain de déchets chimiques issus du processus de trituration de l’or et de creuser un tunnel passant sous le niveau de la mer, entre les villages d’Olympiada et de Stratoni, pour y transporter le minerai de la mine à l’usine. «Ils veulent faire de la Chalcidique une région de monoculture périssable, alors que nous avons une économie diversifiée et durable», regrette Thanasis Krammydas, un habitant de Iérissos, l’un des villages mobilisés contre le projet.

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Crédit photo : Emmanuel Haddad

L’argument massue scandé par l’Etat grec est la création d’emplois que va débloquer le projet minier. Mille deux cent cinquante emplois directs et, à terme, cinq mille emplois doivent être créés dans les villages de Stratoni, Ierissos, Olympiada et Megali Panagia. Déjà, des habitants ont été recrutés par la société, notamment à Stratoni, village minier où jusqu’aux logements des mineurs sont financés par leur employeur. «Mais ils ne disent pas combien d’emplois ils vont détruire!» souligne le cinquantenaire au visage d’Aristote, natif de la région.

Rejets d’arsenic
Car si l’étude d’impact environnemental d’Hellas Gold a été approuvée par l’Etat en 2011, un collectif de citoyens réunissant les villages de Iérissos, Megali Panagia et Olympiada, situés autour de Skouries, s’est élevé contre cet accord. Ils rappellent que le Conseil d’Etat avait stoppé le projet minier de TVX Gold à Skouries en 2002, jugeant que le projet de la société canadienne causerait des dégradations écologiques supérieures à ses retombées économiques.
Les habitants de Iérissos ont donc décidé de réaliser leur propre enquête. Université Aristotle de Thessalonique, Chambre technique de Grèce, spécialistes de physique environnementale, géologues, ingénieurs, médecins… tous les experts ont été mis à profit. Le résultat est alarmant: «Dans la méthode ‘flash smelting’ (fusion éclair) utilisée pour transformer le minerai à Skouries, ils prévoient d’utiliser de l’arsenopyrite obtenu depuis la mine d’Olympiada. Si on jette la moindre goutte de cyanide – je ne suis pas sûr que ce soit exclu –, alors d’énormes quantités d’arsenic seront dissoutes, empoisonnant les sols et l’eau», explique Giorgos Triantafalydis, membre de la commission de la Chambre technique de Grèce. L’arsenic, métal lourd cancérigène, risque d’être diffusé dans toute la chaîne alimentaire de la région.
Autre source d’inquiétude: un bain de 182 millions de mètres cubes de déchets à haute teneur en arsenic va être stocké dans une partie de la forêt que l’Etat a cédée gratuitement en mars 2012. «L’an dernier, nous avons produit 1,5 tonne de miel. Cette année, 50 kg», complète Theodoros, apiculteur de Iérissos, déjà tenté de déménager en Crète. Les abeilles fuient la poussière soulevée par les constructions et les gaz utilisés pour la répression des manifestations. Selon l’étude d’impact réalisée par Hellas Gold, à terme, la pollution atmosphérique va dépasser le plafond en vigueur, avec des rejets de métaux lourds tels que l’arsenic, le cadmium ou le manganèse. Les abeilles ont du nez. Hellas Gold n’a pas donné suite à la demande du Courrier d’en savoir plus sur son étude d’impact. La société n’a donc pas pu répondre à l’accusation des universitaires et des villageois qui lui reprochent de construire sans permis technique, à proximité d’une zone protégée par le réseau Natura 2000.

Subvention illégale
En 2011, la Cour d’Etat a rejeté la pétition de la population de faire stopper le projet. Après l’arrêt de 2002 qui avait abouti à une conclusion inverse, TVX Gold s’était déclarée en faillite et l’Etat a racheté ses actions pour 11 millions d’euros… avant de les revendre, sans appel d’offres, dans la même journée à Hellas Gold. En 2011, la société canadienne Eldorado Gold a acheté 95% des actions pour 1,8 milliard d’euros. Pas de doute pour les villageois de Iérissos et de Megali Panagia, la forêt de Skouries a été bradée. L’Etat grec doit en effet tirer 19 milliards d’euros de recettes en privatisant à tour de bras avant 2016, selon le programme concocté par ses bailleurs de fonds (UE, BCE, FMI). Chose rare, même la Commission européenne est d’accord avec eux. En 2011, elle a déclaré que l’Etat grec a délivré une subvention publique illégale à Hellas Gold, dont le propriétaire, Giorgos Bobolas, est un magnat de l’immobilier et des médias. Et d’exiger qu’Hellas Gold rembourse 15,3 millions d’euros. Au lieu d’accepter l’argent, l’Etat a fait appel. Un paradoxe, là encore, démesuré.

A Iérissos, «la victoire ou la mort»

«C’est un miracle qu’il n’y ait pas encore eu de morts!» Irini est psychologue dans le village de Iérissos, 3500 habitants, encastré entre la mer Egée et le mont Kakkavos, 640 mètres, que la société minière Eldorado Gold compte bien remplacer par un énorme cratère à -140 mètres.

Depuis la première manifestation contre le projet de mine d’or dans la forêt de Skouries, le 13 mars 2011, les patients d’Irini ont des angoisses nouvelles: «Il y a d’abord la crainte de perdre son emploi à cause de la pollution que va entraîner la mine. Beaucoup de gens vivent du tourisme ici, et qui voudrait continuer à venir si l’eau et l’air se remplissent de métaux lourds et d’arsenic? Mais leur plus grande peur, c’est de perdre un proche au cours des manifestations.»

Une peur à laquelle se joint désormais celle de finir en prison. Le 21 octobre 2012, une marche contre la mine d’or organisée par les habitants de Iérissos et de Megali Panagia est violemment réprimée par la police. «Ils tiraient les gaz lacrymogènes à hauteur d’épaule, pas en l’air. Un homme de 53 ans en a reçu un dans le pare-brise; il a failli s’étouffer. Quand il est sorti de sa voiture, les policiers l’ont frappé à terre. Il a perdu plusieurs dents. Mais c’est lui qui est poursuivi en justice par la police pour ‘tentative de coups et blessures volontaires’!» s’indigne Arho, une jeune mère de famille de Megali Panagia. En novembre 2013, elle témoignera lors de son procès.

Quatre habitants de Iérissos sont actuellement en prison préventive, dont deux depuis trois mois. Le 17 février 2013, 40 personnes cagoulées ont attaqué le site de la mine de Skouries à coups de cocktail Molotov, blessant un garde du site. L’enquête policière qui a conduit aux arrestations est très critiquée. «Ils les ont arrêtés sans autre preuve qu’une cagoule prélevée à 800 mètres des faits, sans savoir depuis quand elle était là, à partir de l’ADN qu’ils ont prélevé de force!» livre Irini. Avocate à Iérissos, Eleonora étaye: «La prison préventive est normalement réservée aux criminels qui risquent de quitter le pays. On voit mal la nécessité pour des pères de famille qui se sont présentés librement à l’audience.»

Crédit photo: Emmanuel Haddad

Crédit photo: Emmanuel Haddad

Entre le prélèvement de force de l’ADN d’une centaine d’habitants, mineurs inclus, et la charge policière dans le village, remplissant les salles de classe de l’école primaire de gaz lacrymogène, le ton est monté d’un cran. En réponse, un groupe a brûlé le poste de police et des barricades ont été érigées sur les principaux axes. Depuis, la police n’est pas revenue, et Iérissos est qualifié de village d’Astérix par Nikos Dendias, le ministre de l’Ordre public. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, des groupes d’habitants montent la garde aux entrées de la ville. «S’ils voient la police arriver, ça nous laisse dix minutes pour nous préparer», explique Maria Kadoglou. Enseignante au village, Stella se tient à l’une des entrées, sous un toit de planches de bois sur lequel flotte un drapeau inconnu. «Un prêtre nous l’a donné en revenant du mont Athos. C’est écrit ‘la victoire ou la mort’!»

Samedi 3 août, 10 heures. La pharmacienne distribue les masques et le Maalox (médicament utilisé contre le gaz lacrymogène), tout Iérissos est au lieu de rendez-vous de la nouvelle manifestation contre la mine d’or. A Megali Panagia, les T-shirt SOS Khalkidiki sont aussi de sortie sur la place du village. Une file de deux à trois mille habitants se forme dans la forêt de Skouries, le long des sept kilomètres qui les séparent du site minier d’Hellas Gold. Là, un bataillon de policiers les attend de pied ferme. Les souvenirs de la dernière manifestation, où les membres de la MAT (les CRS locaux) avaient couru derrière les manifestants pendant 7 km en leur tirant des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc, sont gravés dans les mémoires.

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Les habitants font demi-tour après une prise de parole de la députée canadienne Niki Ashton, du parti New Democracy, venue apporter son soutien au mouvement citoyen. Sur le chemin du retour, tandis que beaucoup se montrent frustrés de ne pas être allés plus loin, Eleonora tempère: «Seize personnes attendent encore d’être convoquées par la police après l’arrestation des quatre premiers. Les gens ont peur. En Grèce, la prison préventive peut durer dix-huit mois.»

Reportage publié dans le journal suisse Le Courrier lundi 26 août 2013.

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