Issoufou, à l’aune du réel
Lutte contre la corruption, investissement dans l’éducation et la santé, développement durable… Où en sont les engagements pris par Mahamadou Issoufou, après deux années à la tête du Niger ?
Devant la foule de Nigériens réunis au Palais des sports de Niamey le 7 avril 2011, Mahamadou Issoufou, fraîchement élu président de la République, déclare : « Le peuple nigérien attend de moi une nouvelle gouvernance politique et économique ». À l’époque, le Niger se remet à peine du « Tazarché », la tentative de l’ex-président Mamadou Tandja de s’offrir un troisième mandat présidentiel hors des règles constitutionnelles, avortée par un coup d’État militaire le 18 février 2010. Quels changements la « nouvelle gouvernance » du nouveau Président et de la coalition majoritaire, le Mouvement pour la renaissance du Niger (MRN), a-t-elle apporté ? « Il est un peu tôt pour comparer son mandat avec les dix années de Mamadou Tandja. Mais une chose est sûre, à l’époque, son arrivée a suscité de l’espoir », se souvient Mounkaïla Halidou, instituteur aujourd’hui à la tête d’un mouvement de contestation dans l’éducation. L’ensemble du corps enseignant y a cru, en écoutant Issoufou déclarer que « l’école recevra le quart des ressources budgétaires pendant les cinq prochaines années ». Les citoyens ont aussi reçu avec enthousiasme l’engagement du président à combattre « la corruption, les passe-droits, les trafics d’influence, les détournements des deniers publics, notamment les fausses factures et les surfacturations ainsi que toutes les autres dérives ». Et à promettre que « les sécheresses récurrentes ne seront plus synonymes de famine ». Le 7 avril, Mahamadou Issoufou célébrait ses deux années de présidence dans une atmosphère tendue. Le Niger vient d’être relégué par le PNUD à la 186e place dans son classement des pays en fonction de l’Indice de développement humain (IDH). Vingt-et-un fonctionnaires du ministère de la Santé ont été emprisonnés un mois plus tôt après avoir détourné près de 975 millions de F.CFA (1,5 million d’euros) de fonds publics destinés à des vaccins. Et la grève des enseignants menace de déboucher sur une « année blanche » pour les étudiants.
Guerre des chiffres
Au Niger, le bilan des engagements de la majorité donne lieu à une compétition politique autour de statistiques aussi radicalement opposées qu’invérifiables. « Le bilan sera blanc ou noir, selon que vous soyez dans la majorité ou dans l’opposition, résume Hassane Amadou Diallo, coordinateur de l’Association nigérienne de lutte contre la corruption. Il suffit de se pencher sur celui des douze premiers mois. Le Président avait annoncé avoir construit 2 800 classes et créé 64 000 emplois en un an, soit encore plus que ses engagements de campagne. En réponse, Seini Oumarou, le chef de file de l’opposition, a publié des chiffres d’un autre acabit : 314 classes créées au lieu de 2 800, 22 809 emplois au lieu de 64 000… Impossible de dire lequel des deux a raison », admet-il. Pour éviter de renouveler la polémique du 7 avril 2012, « la présidence a formé une équipe de 12 journalistes pour aller voir sur le terrain ce qui a vraiment été fait pendant ces deux années », explique Assoumana Malam Issa, vice-président du groupe parlementaire PNDS Tarraya, le parti majoritaire du MRN. Le député reconnaît en effet que « l’administration a tendance à gonfler les chiffres », tout en regrettant que « l’opposition, elle, se base sur des rumeurs. »
De plus en plus de transparence
Preuve que le nouveau gouvernement sait tirer des leçons de ses erreurs. Autre remise en question, la lutte contre la corruption. Car malgré les engagements pris par le chef de l’État le jour de son investiture, le premier scandale de corruption révélé sous le régime de la VIIe République a bien failli le décrédibiliser durablement. Suite à une inspection d’État, une affaire de fausses factures s’élevant à 1,8 milliard de F. CFA (2,75 millions d’euros) payées par le Trésor public, et datant de l’époque de la transition militaire, a été mise au jour fin 2011. Un an plus tard, le ton a changé. Le 12 septembre 2012, Mahamadou Issoufou annonce dans un discours qui marque les esprits qu’aucun Nigérien ne pourra désormais échapper à la justice. Le directeur général des Douanes vient alors d’être limogé pour avoir fermé les yeux sur la corruption généralisée au sein de son administration et les inspections se multiplient au sein des différents ministères. Arrestations au ministère des Transports, de la Santé, préfet de Téra mis sous les verrous… La corruption devient plus visible. Preuve que le régime s’engage à être plus transparent, comme le montre le classement mondial de Transparency International sur la corruption, où le Niger est passé de la 134e place en 2011 à la 113e en 2012. Selon l’économiste nigérien Abarchi Magalma, la lutte contre la corruption répond à deux objectifs : « Démontrer aux bailleurs de fonds qui nous aident que nous sommes plus responsables. Et aux citoyens qui contribuent au budget de l’État que leurs ressources sont mises à profit. Car si les ressources destinées à l’éducation ou à la santé sont mal gérées, tout développement durable est compromis ».
Le beurre et le canon
Un quart du budget devait être alloué chaque année à l’éducation, seuls 15 % sont annoncés pour 2013. La recommandation de l’Organisation mondiale de la santé de destiner au moins 10 % du budget à la santé n’est pas non plus appliquée. Au même moment, le budget de la Défense a plus que doublé en 2012, passant de 35 à 73 milliards de F.CFA (de 53,3 à 111,2 millions d’euros). L’envoi d’un
contingent de 675 hommes au Nord-Mali, dans le cadre de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma), est venu confirmer l’analyse faite par le Président lors de son investiture : « La situation que nous vivons aujourd’hui illustre bien, pour un pays donné, la disparition de la frontière entre défense extérieure et sécurité intérieure ». Autrement dit, bien que les ressources budgétaires débloquées pour la défense soient autant de manque-à-gagner pour la santé ou l’éducation.
« Une révolte contre nous-même »
Abarchi Magalma précise qu’il en va autant de la sécurité extérieure que de la stabilité intérieure : « L’un des freins au développement du Niger, c’est son instabilité politique. Trois coups d’État depuis l’avènement de la démocratie en 1991, c’est un désastre économique ! ». Car quelle que soit la volonté du gouvernement aux affaires, le développement n’est possible qu’en cas de continuité d’un régime à l’autre. « On ne peut pas parler de développement en seulement cinq ans. Alors, pour sortir de la queue de peloton du classement du PNUD, le gouvernement a décidé de réaliser des “ emprunts intelligents” auprès des autres pays en développement. Dans l’agriculture par exemple, on a vu l’Inde faire sa révolution verte pour nourrir une population croissante. Le Niger va faire la sienne avec l’initiative 3N ». L’un des engagements phares du MRN que cette initiative 3N (les Nigériens Nourrissent les Nigériens). L’objectif est de développer les cultures irriguées afin d’éviter qu’une faible pluviométrie ne débouche sur un risque de famine généralisée. Déjà 1 322,24 hectares de terres nouvelles ont été mis en valeur, selon les chiffres officiels.
Article publié dans le bimensuel Le Magazine de l'Afrique, mai-juin 2013.
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