Les otages (nigériens) oubliés du désert

La France est le pays qui compte le plus d’otages dans le monde. L’information est lâchée comme une bombe sur les ondes de RFI. Au total, quinze Français manquent à l’appel, depuis que sept d’entre eux ont été capturés le 19 février dans le nord-est du Cameroun, à la frontière avec la région de Boro au Nigeria, connue pour abriter les peu recommandables Boko Haram et Ansaru. Depuis la capitale du Niger, les Français n’étaient déjà pas rassurés avant l’enlèvement, car le Nigeria n’est pas non plus très éloigné de Niamey. Mais pour les non-Français, c’est une autre paire de manches. Le week-end précédant l’annonce du kidnapping de sept touristes français revenant de leur visite du parc naturel camerounais de Waza, je devais me rendre dans la région de Dosso pour un reportage.

J’étais accompagné d’autorités nigériennes de renom et n’imaginais pas qu’un simple poste-frontière allait poser problème. Arrogance typiquement française, car à la sortie de Niamey, les policiers m’ont immédiatement demandé ma nationalité et, voyant mon passeport français, m’ont invité à retourner chez moi, à me barricader et à ne jamais ouvrir la porte aux étrangers ayant le visage recouvert d’une tagelmoust. Le cortège nigérien suivait son cours sans moi, mon reportage tombait à l’eau.

Cinq minutes plus tard, une famille de Belges arrivait au poste de contrôle, lunettes de soleil, chemises africaines, la dégaine des vacanciers du dimanche prêts à en découdre avec les animaux du safari. Là encore, la police a été claire: sans escorte armée, pas question de quitter Niamey. Trop dangereux. Sur ce, la mère de famille belge descend du véhicule, outrée, s’approche et me dit que l’interdiction pour les Français d’accord, mais eux sont Belges, si les ravisseurs s’approchent, ils se mettront à parler flamand et tout ira bien. Et puis les girafes du Parc W sont si belles, quel dommage pour leurs enfants qui quittent le pays le lendemain…
Qu’aura pensé cette mère de famille en apprenant qu’une famille de touristes a été enlevée sur la route des girafes du Cameroun? Qu’ils auraient dû parler anglais? Dans sa tête, il y a différents types de Blancs en Afrique occidentale: les Blancs français et les autres. Dans la tête des autochtones, il y a les Blancs et les autres. Elle a eu la chance de ne pas l’apprendre à ses dépens et à ceux de ses enfants.

Reste qu’au Niger, on écoute RFI et non la RTBF. On entend donc que la France est le pays qui compte le plus d’otages au monde et on les plaint. Mais a-t-on une idée du nombre de Nigériens retenus en otage? «Pour connaître les otages nigériens, il faut se rendre sur place», avoue Nana Issaley, une chercheuse nigérienne du Laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL), qui revient de deux années de terrain dans la région de Zinder. Ses recherches sur les nomades peuls de la région située à cheval entre la zone agropastorale du Sahel et le désert du Sahara l’ont menée jusqu’au massif de Termit, dans le désert. Là, elle a rencontré d’aimables Toubous qui l’ont invitée à venir visiter leur maison, tout en lui précisant que leur maison, c’était le désert. Le chef de police du coin a entendu leur conversation et l’a mise en garde: «Fais attention à toi. Ces gens-là risquent de te prendre en otage. Ils détiennent une collégienne depuis 5 ans et nul ne sait où elle se trouve. Une autre personne vient à son tour de disparaître.»

Avant de parler au policier, Nana ne savait pas non plus que des Nigériens étaient retenus en otage dans le désert, sans que personne ne le sache ou, du moins, ne juge bon de l’annoncer à la radio et d’engager une «chasse à l’homme» pour les retrouver, comme le fait la France au Nigeria. Par contre, elle sait ce que la prise en otage implique pour la victime. Fin 2012, son frère faisait partie des six Nigériens de l’ONG Befen kidnappés dans la région de Zinder et transportés jusqu’au nord du Mali. Relâchés dans le désert tandis que leur camarade tchadien a été tué, ils sont rentrés chez eux saufs, mais pas forcément sains: «Mon frère est suivi par deux psychologues. Il est sous antidépresseurs. Il ne veut pas me dire ce qui s’est passé, mais ça va très mal depuis son enlèvement.» La douleur des victimes, celle des proches, est incommensurable. Les Français ne le savent que trop, eux qui sont pris pour cible par les groupes terroristes qui espèrent financer leurs activités dans la région en touchant de juteuses rançons. Les Nigériens, par contre, n’en ont pas la moindre idée, ni de la difficulté de repartir de zéro après avoir été enlevé comme du vulgaire bétail, ni du nombre de Nigériens qui subissent actuellement ce triste sort.

Chronique publiée le 9 mars sur Le Courrier.

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