Le Liban ferme la porte aux exilés syriens

 

Le Liban annonce la fermeture de ses frontières aux réfugiés syriens, après plus de trois ans d’accueil qui ont épuisé les ressources et la patience du pays. Une interdiction qui n’empêche pas les infiltrations.

Masnaa, dernière bourgade de la vallée de la Bekaa avant la frontière montagneuse libano-syrienne. Joumana et sa soeur, réfugiées syriennes au Liban, attendent leur belle-soeur et ses trois enfants, bloqués au poste-frontière depuis l’aurore. «Nous sommes dedans et ils sont à l’extérieur, faites quelque chose!», implore leur mère en larmes à leurs côtés, en direction du soldat libanais qui surveille la frontière de ses yeux bleus impassibles.

Restrictions en oeuvre
Hier, le Gouvernement libanais a officiellement adopté la mesure annoncée deux jours plus tôt, qui consacre la fermeture de ses frontières aux Syriens venant demander le statut de réfugié. «Cette décision survient car le Liban est arrivé à saturation », explique Hala el-Helou, responsable des questions humanitaires au sein du Ministère des affaires sociales. «Nous accueillons plus de 1,2 million de réfugiés syriens pour 4 millions d’habitants; c’est la plus grande proportion de réfugiés au monde! Après avoir laissé nos frontières ouvertes pendant trois ans, nous les fermons car la crise humanitaire s’est transformée en crise libanaise.»

«Les Syriens peuvent toujours venir au Liban, mais mis à part les cas d’urgence humanitaire, ils n’ont plus le droit de demander l’asile. Par ailleurs, les réfugiés syriens qui traversent la frontière puis retournent au Liban perdront leur statut de réfugié; ceux qui n’ont pas de permis de séjour seront interdits de territoire pendant 6 mois», ajoute-t-elle, précisant que ces restrictions sont déjà en oeuvre depuis au moins un mois.

Les locaux divisés
Devant le poste-frontière de Masnaa balayé par des rafales de vent sec, les locaux sont divisés sur la nouvelle mesure. «Ce n’était plus gérable, les Syriens prennent le travail des Libanais en se vendant moins cher», avance Charif, chauffeur de taxi originaire de Majdel Anjar, localité voisine. «Avant, on voyait débarquer plus de 500 personnes chaque jour à Masnaa. Depuis début octobre, on les compte sur les doigts de la main», dit le quadragénaire, l’air satisfait.

Bilal, chauffeur de mini-van au visage buriné par le soleil, l’interrompt: «Ceux qui ont les moyens peuvent continuer de passer la frontière », dit-il, énigmatique. Puis ce jeune de 29 ans détaille: certains Syriens contactent les chauffeurs de taxi locaux et, moyennant une somme de 500 dollars que ces derniers partagent avec les employés de la Sécurité générale chargés de contrôler le poste-frontière, ils peuvent pénétrer au Liban. Autour, les chauffeurs acquiescent et, ragaillardi, le natif de Majdel Anjar ajoute que beaucoup de réfugiés passent désormais par des passeurs locaux. Pour 100 ou 200 dollars, ils entrent au Liban en esquivant le poste-frontière: «Nous sommes devenus leur clé», résume le jeune homme de 29 ans. Dans une région vivant déjà de la contrebande de biens entre les deux pays, un nouveau marché s’est développé sous l’effet des restrictions: la contrebande de réfugiés.

A la frontière, même les chatons sont paralysés. Crédit photo: Emmanuel Haddad

A la frontière, même les chatons sont paralysés. Crédit photo: Emmanuel Haddad

Une clé trop onéreuse pour la belle-soeur de Joumana. Comme beaucoup de Syriens, elle n’a pas été informée des nouvelles normes en vigueur avant de quitter le Liban pour aller faire soigner son enfant. La frontière, devenue infranchissable, la sépare désormais de sa famille. Pourtant, le témoignage de Bilal rappelle à quel point la chaîne montagneuse de l’Anti-Liban qui divise les deux pays reste poreuse. Ces derniers mois, des groupes armés ont d’ailleurs multiplié les intrusions sur le territoire libanais depuis la Syrie.

Civils agressés
En août, des centaines de combattants de l’Etat islamique et du Front al-Nosra ont attaqué l’armée libanaise à Ersal, ville frontalière, faisant au moins dix-sept morts parmi les soldats et en kidnappant plus d’une vingtaine. Depuis, trois d’entre eux ont été exécutés, dont deux par décapitation. Le sort des soldats toujours captifs a plongé le pays dans la paranoïa: des dizaines de civils syriens ont été agressés à l’arme blanche, victimes de l’amalgame fait par de nombreux Libanais entre les réfugiés syriens et les combattants djihadistes venus de Syrie. L’annonce de la fermeture de la frontière aux réfugiés syriens intervient dans cette période de tension croissante. «Certains Syriens sont soupçonnés de participer à des actes terroristes. Ils sont un danger pour la stabilité du pays. Comme tout Etat souverain, le Liban est en droit de se protéger», assène Hala el-Helou.

Attaques frontalières
Reste à savoir si la mesure sera suffisante pour préserver le pays du Cèdre de futures attaques frontalières, à l’instar de celle menée à Brital, non loin de Masnaa, par le Front al-Nosra. Le 5 octobre, le groupe djihadiste y a attaqué un barrage du Hezbollah, tuant au moins 8 de ses membres. C’est la première fois que le parti chiite, première force militaire du pays du Cèdre, subit un tel assaut au Liban, depuis le début de son intervention militaire aux côtés du régime syrien de Bachar al-Assad.

Article publié sur La Liberté et Le Courrier le 23 octobre 2014.

Réagissez, débattons :



Laisser un commentaire