Le raid sanglant des Brigades Abdallah Azzam à Beyrouth

Un double attentat contre l’ambassade d’Iran a fait hier au moins 23 morts et 146 blessés. Les civils paient une nouvelle fois les tensions qui déchirent la région.

«Je conduisais dans la rue au-dessus de l’ambassade d’Iran lorsque ma voiture a fait un bond d’un demi-mètre au-dessus du sol. Deux minutes après, une nouvelle explosion a retenti. En me rendant sur les lieux, j’ai vu des morceaux de chair éparpillés sur le sol. C’étaient les restes de l’un des djihadistes qui s’était fait exploser.» Revenu passer un mois de vacances dans son pays d’origine, Hassan, cuisinier à Shanghai, est passé à une rue d’une mort atroce et absurde, avec dans le rôle des porteurs de la mort deux bombes humaines des Brigades Abdallah Azzam, le groupe qui revendique cette nouvelle intrusion sanglante dans la banlieue sud de Beyrouth, le fief du Hezbollah. Dans la rue du quartier résidentiel Bir Hassan où se situe l’ambassade d’Iran, plusieurs immeubles n’ont plus ni fenêtres ni balcons. Le long des trottoirs, des voitures calcinées bordent la chaussée où, avant l’arrivée des secours, une pluie de corps sans vie est venue éclabousser le bitume noirci. Vingt-trois personnes sont mortes et plus de 146 blessées. Parmi eux, Ebrahim Ansari, l’attaché culturel de l’ambassade d’Iran, et Redouan Faris, son chef de la sécurité. Les autres sont des passants, ainsi que les nombreux Libanais qui faisaient la queue devant l’ambassade lorsqu’une motocyclette a foncé vers l’entrée à 10h, conduite par un kamikaze, avant qu’une voiture remplie d’explosif ne fonce sur le bâtiment deux minutes plus tard, provoquant la plus grosse des deux explosions.

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Le Hezbollah aussi visé
«Vous voulez des informations sur l’attentat? Demandez aux Saoudiens et à Israël!», s’écrie l’un des riverains, sympathisant du Hezbollah et persuadé que l’attaque a été commanditée par l’Arabie saoudite, opposant régional de l’Iran. Tandis que Riyad finance les groupes rebelles qui veulent la chute de Bachar al-Assad, Téhéran soutient le Hezbollah, le parti de Dieu libanais qui a déployé 10000 combattants en Syrie; ils luttent actuellement aux côtés du régime syrien à Qalamoun, ville frontalière avec le Liban et zone stratégique entre Damas et Homs.

«Les Brigades Abdallah Azzam ont revendiqué l’attentat contre l’ambassade d’Iran dans un communiqué qui contient deux revendications: le retrait du Hezbollah de Syrie et la libération des prisonniers islamistes incarcérés au Liban», explique Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes à l’Institut français du Proche-Orient. Les Brigades Abdallah Azzam ont été créées en 2009 par le Saoudien Saleh al-Qaraawi, l’un des leaders d’al-Qaïda. Mais jusqu’ici, le groupe n’avait pas encore fait parler de lui: «Ils communiquent beaucoup contre la discrimination de la communauté sunnite au Liban et, depuis la révolution en Syrie, contre la politique du Hezbollah en Syrie. Mais certaines voix se faisaient ironiques sur les forums internet djihadistes, appelant le groupe à moins parler et agir plus», précise Romain Caillet. C’est désormais chose faite avec «la ghazwa (le raid) de l’ambassade iranienne à Beyrouth», nom de l’opération menée par l’unité Hussayn Ben Ali.

Crédit photo: Emmanuel Haddad

Crédit photo: Emmanuel Haddad

Le pays encore fragilisé
Tammam Salam, premier ministre désigné en l’absence de gouvernement au Liban, estime que «la meilleure réponse à ce schéma diabolique est d’être patient et de fortifier notre unité». Une unité friable, qui fait du Liban un Etat passoire, victime et partie prenante de la déstabilisation régionale. Suite à l’attentat, voué, selon Romain Caillet, à fragiliser le Hezbollah au Liban pour l’obliger à retirer ses forces de Syrie, Hassan Nasrallah, le leader du parti de Dieu, a immédiatement appelé à poursuivre la campagne militaire en Syrie «aussi longtemps que nécessaire».

 

Article publié le 20 novembre 2013 dans le journal suisse Le Courrier.

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