Nigérien qui se noiera le dernier

Publication tardive. La guerre au Mali ? Déjà terminée, et bien avec ça. A moins que cela ne dépende de la perspective, comme le résume l’historien Gregory Mann: « It is looking ever more likely that France will claim to win its war while Mali fails to win its own. » Quoiqu’il en soit, le ministre des Affaires Etrangères nigérien pointe déjà vers la Libye pour avertir du prochain danger qui plane sur le Sahel… Une bonne raison de se pencher encore une fois sur la position du Niger face à la menace de contagion séparatiste et djihadiste du Mali vers ses terres. Car sur ce coup là, au moins à court terme, on peut dire qu’ils ont anticipé… Pas comme Mazou devant les buts du Mali, mais ne mêlons pas l’équipe de foot nigérienne à tout ça, au risque de ruiner le capital sympathie du Niger avant même de commencer…

« Quand la barbe de ton voisin brûle, mouille la tienne », dit-on à Niamey. Le Niger a déployé des contre-feux efficaces pour éviter la propagation de l’incendie malien.

Voisin du Mali, avec lequel il partage 821 km de frontière, le Niger a toujours considéré la crise malienne comme une « question de sécurité intérieure », selon les mots de son président Mahamadou Issoufou. Dès les premiers affrontements entre l’armée malienne et le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), en janvier 2012, les Nigériens ont vu les déplacés maliens originaires des villes de Tessalit et Ménaka rejoindre les villes frontalières d’Abala et Mangaize, au Niger. Quand les groupes terroristes AQMI, Mujao et Ansar Eddine ont commencé à s’implanter dans les grandes villes du Nord-Mali, le gouvernement nigérien a tout de suite craint qu’ils puissent un jour prendre la même route que les déplacés maliens. « Des groupes qui sont à Ménaka, que leur reste-t-il pour rentrer au Niger si on ne les contient pas ? », interroge le ministre de la Justice et porte-parole du gouvernement Marou Amadou.

Niamey se préparait à une « guerre inéluctable »

La guerre au Mali était attendue comme la saison des pluies au Niger. Dès mai 2012, le budget est retoqué au dernier moment pour permettre à celui de la Défense de passer de 35 à 73 milliards de F.CFA. Mais bien avant, le Niger pressentait déjà la menace : « Depuis l’effondrement de l’État libyen en 2011, on s’est dit que la situation au Sahel était grave et qu’il fallait se concentrer sur un élément important du programme du président Mahamadou Issoufou : la sécurité intérieure et extérieure. Nous avons mis les moyens pour concourir à la modernisation de l’armée et au renforcement du moral des troupes. Avant même l’annonce de l’indépendance de l’Azawad par le MNLA, le Niger préparait cette guerre qui était pour nous inéluctable », rappelle Marou Amadou, également ministre des Affaires étrangères par intérim. Inéluctable, la guerre éclate finalement au Mali, précipitée par l’intervention française dans la ville de Konna, le 11 janvier, afin d’éviter qu’elle ne tombe aux mains des combattants d’Ansar Eddine. Le Niger se porte aussitôt volontaire pour mener « une guerre qui nous est imposée, une guerre injuste », selon les mots de son Président. Le 16 janvier, le soutien à l’unanimité de l’Assemblée nationale lui permet d’envoyer un contingent de 680 soldats nigériens au Nord-Mali. « Quand une guerre s’impose à toi, ou tu la fais ou elle te retrouvera », justifie Marou Amadou. À l’heure actuelle, « l’histoire donne raison à Mahamadou Issoufou », lit-on dans Le Sahel, l’organe du pouvoir nigérien. L’intervention française a été auréolée de succès et soutenue par la population malienne. De quoi donner du crédit à la position intransigeante du Niger, qui a toujours refusé de se rendre à la table des négociations dressée par la Cedeao à Ouagadougou, et dont les troupes sécurisent aujourd’hui la ville de Gao.

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Le MNLA ne séduit pas les Touaregs du Niger

Mais jusqu’à quand ? « On a pu constater avec le temps que tout conflit né au Mali passe ensuite au Niger… et viceversa ». Issouf Ag Maha sait de quoi il parle. En 2007, ce maire touareg de la ville de Tchirozérine, au Nord-Niger, a participé à la rébellion touarègue à l’appel du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ). Aujourd’hui ex-rebelle et partie-prenante du processus de paix avec le gouvernement nigérien, il redoute l’attrait des groupes armés du Nord-Mali sur les jeunes touaregs du Niger : « Les frontières sont poreuses, la population circule. Ici, les jeunes sont attirés, au-delà de l’aspect idéologique, par l’argent facile promis par les groupes narcotrafiquants. On craint donc qu’avec la fin de la rébellion du MNJ, les 4 000 jeunes rompus à l’exercice militaire qui ont été laissés dans la nature soient attirés vers les mouvements comme Ansar Eddine », affirme-t-il depuis Agadez. Car à l’instar du Nord-Mali, l’histoire récente de la région d’Agadez est une longue répétition de rébellions armées de la part d’une partie de sa population touarègue, suivie de répression plus ou moins féroce par l’armée nigérienne et d’accords de paix qui peinent à être mis en oeuvre. Faut-il craindre que les Touaregs du Nord-Niger suivent l’appel indépendantiste du MNLA ? Pas si on en croit Ahmed Wagaya, ex-rebelle du MNJ et aujourd’hui conseiller du Premier ministre nigérien pour défendre la paix au Nord-Niger : « Au Mali, ils revendiquent l’intégrité territoriale de l’Azawad. Mais nous n’avons jamais revendiqué la séparation d’Agadez du reste du Niger ! La communauté touarègue du Niger revendique des choses plus matérielles », affirme-t-il. « Notre revendication essentielle est la participation plus importante des populations au sein des exploitations minières, par un accès à l’emploi dans ces mines et une attention accrue au développement local de la part des sociétés minières », complète Issouf Ag Maha. La revendication du MNLA n’a donc pas eu d’écho au Niger. Mieux encore, les Touaregs y attendent avec impatience la fin de l’instabilité dans la région : « Depuis l’avènement d’AQMI, toute la bande sahélo-saharienne a été définie comme zone rouge par le ministre français des Affaires étrangères, ce qui a anéanti la manne touristique, source très importante de revenu pour les Touaregs. Le manque à gagner est énorme ! », insiste le maire de Tchirozérine, qui ne voit pas d’un mauvais oeil l’annonce de l’implantation d’une base de drones américains de surveillance dans la région d’Agadez : « C’est une bonne chose, car le risque est qu’une fois dans l’Adrar des Iforghas, les groupes terroristes du Nord-Mali se déplacent vers le massif de l’Aïr, au Niger, pour se réfugier. Seule la surveillance aérienne peut les en empêcher ».

Plus de sécurité, moins de développement ?

À quoi tient la stabilité du Nord-Niger face à l’embrasement du Nord-Mali, malgré leur apparente similitude ? À une « mixité réussie » au Niger, selon le président Mahamadou Issoufou, prenant l’exemple du Touareg Brigi Rafini, qu’il a nommé Premier ministre. « Depuis Hamani Diori, le premier président de la République du Niger, une attention toute particulière a été prêtée à l’intégration des communautés du Nord. Un régime n’est pas démocratique s’il ne tient pas compte de la place de toutes ses communautés, y compris les minoritaires », ajoute Marou Adamou qui précise toutefois que « le risque de contagion chez les Touaregs du Niger n’est pas nul, car nos deux espaces présentent les mêmes réalités ». En effet, à l’heure actuelle, les exrebelles touaregs du Niger, qui ont abandonné les armes pour la table des négociations, sont dans l’expectative : « Après les promesses, nous attendons encore des résultats concrets. Il y a certes eu une accalmie, mais au niveau du développement et de l’accès aux biens matériels, rien de concret n’a été réalisé à part l’intervention de l’UE dans le cadre de la sécurité », signale Ahmed Wagaya, rappelant que la paix au Nord-Niger ne gagnera que si elle est accompagnée du développement. La mission civile EUCAP Sahel, mission de l’Union européenne au Sahel, vise justement à concilier développement et sécurité : « Depuis août 2012, nous mettons en place la stratégie nigérienne pour le développement et la sécurité de la bande sahélo-sahélienne. Nous avons déjà réalisé plusieurs stages de formation des forces de sécurité et de défense nigériennes, pour garantir une meilleure efficacité et un meilleur suivi dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé », précise le chef de la mission, Francisco Espinosa, depuis les bureaux de la mission de l’UE à Niamey. Le développement est la première victime de la guerre menée par le Niger au Mali, selon le secrétaire général de l’association Alternative Niger, Moussa Tchangari : « Le fait de doubler le budget de la Défense a joué sur les budgets sociaux. La promesse de dédier 25 % du budget 2012 à l’éducation n’a pas été tenue. On est à moins de 20 % aujourd’hui. Dix pour cent du budget devaient être dédiés à la santé : on est à 6 % », dénonce-t-il. Des indicateurs à surveiller de près par le président Mahamadou Issoufou, qui assurait début février que « la pauvreté est le terreau de tous les terrorismes ».

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