Les lendemains d’un ancien otage libanais d’Al-Nosra

Libéré le 1er décembre 2015, Ziad Omar a retrouvé sa famille après 16 mois de détention aux mains du groupe djihadiste armé, affilié à Al-Qaida.

Ziad Omar conduit le long de la ligne droite qui sépare sa maison de Baalbek, au milieu de la vallée de la Bekaa. Cette langue de terre fertile de 4 429 km² plantée entre deux chaînes de montagnes, c’est son jardin. Son père y était agriculteur et il a étudié la psychologie dans l’une de ses universités, avant de devenir membre des forces spéciales de l’armée.

La journée est pluvieuse, mais à mesure qu’il se rapproche des ruines romaines de l’ancienne Heliopolis, le soleil perce. Dans les ruelles de la ville à majorité chiite parsemées de drapeaux du Hezbollah (milice chiite libanaise), le colosse de 39 ans achète plusieurs poulets, puis prend le temps de boire un café devant le temple de Bacchus, au risque de mettre sa femme en colère. En passant devant le bâtiment de l’armée, il sourit : « C’est ici que je vais passer le reste de ma carrière désormais. Assis devant un bureau, à un quart d’heure de voiture de chez moi. »

16 mois de détention

Pris en otage par le Front Al-Nosra, le 2 août 2014 dans la ville d’Ersal, frontalière de la Syrie, Ziad Omar a été détenu pendant 16 mois par le groupe affilié à Al-Qaida aux côtés d’une vingtaine de soldats de l’armée libanaise.

« Ils ont volé une partie de ma vie », dit-il simplement. Libéré le 1er décembre dernier, il n’aspire plus qu’à rester auprès de sa femme Sabrina et de leurs deux filles, Greta et Grace. C’est la première fois qu’il revient sur cette période sombre, dont il distingue deux phases : « D’abord, ils te détruisent psychologiquement. Ils effacent tout ce que tu avais : tes souvenirs, tes liens avec les gens, tes relations de confiance. Une fois qu’ils ont fait table rase, ils reconstruisent en se posant eux-mêmes comme la seule source de confiance. Ils détournent ta mémoire au profit de leur cause, jusqu’à faire de toi un parfait salafiste », dit-il de retour chez lui.

« Pendant six mois, ils nous ont privés de nourriture, frappés, torturés, menacés de mort. Ils ont même tué certains d’entre nous. Puis, à mesure que nous adoptions leur interprétation religieuse radicale, ils se sont mis à être plus respectueux et nos familles ont pu nous rendre visite », ajoute-t-il.

Sabrina, sa femme, sourit : « La première fois que je l’ai revu, c’était le 14 février, jour de la Saint-Valentin », dit-elle en riant.

Neuf soldats libanais toujours détenu par Daech

Ces deux-là n’ont pas eu l’amour facile. La mère de Sabrina, sunnite, ne voulait pas qu’elle épouse Ziad, un chiite. Forcée de se marier avec son cousin, elle finit par divorcer et convole avec Ziad, coupant les ponts avec sa famille.

Pendant sa détention, elle a cru tout perdre. Depuis son retour, les choses reprennent peu à peu leur cours : « On voulait avoir un dernier enfant, acheter une maison. Tout s’est arrêté et désormais, rien n’est plus pareil », dit-elle. « Papa, ne sors pas ! », crie soudain Greta dans sa poussette. Le couple se regarde sans rien dire.

L’État libanais n’a pas donné de compensation aux familles des soldats détenus. À l’inverse, Ziad affirme que « 32 millions de dollars (28 millions d’euros) ont été payés par l’intermédiaire du Qatar, 25 prisonniers islamistes échangés contre les 16 soldats libanais. Quoi qu’il en soit, un soldat doit être prêt à toute éventualité », estime-t-il, décidé à aller de l’avant. Sabrina, elle, n’hésite pas à dire qu’« il y a eu des négligences au sommet de l’État ».

Pendant sa détention, Ziad a en tout cas pu constater le haut niveau de préparation de ses geôliers : « Ils sont très bien informés sur nous. Ils savaient exactement où l’armée libanaise avait ses casernes, le type d’arme dont elle disposait. Ils doivent disposer d’informateurs au sein de l’armée ou des services de renseignement. »

À ce jour, neuf soldats libanais restent détenus par Daech, quelque part dans les montagnes de l’Anti-Liban qui séparent la vallée de la Bekaa de la Syrie. Leurs familles assurent que leur mouvement ne restera pas pacifique si le Liban échoue à renouer le contact avec leurs geôliers.

Article publié dans La Croix le 23 mars 2016.

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