Procès Hariri: une justice estropiée
Neuf ans après les faits s’ouvre aujourd’hui le procès des assassins du premier ministre Rafic Hariri devant le Tribunal spécial pour le Liban. L’intérêt de l’affaire a été très affaibli en raison d’une politisation à outrance.
Après neuf ans de travail, 20 millions de dollars annuels de l’Etat libanais engouffrés depuis 2007, le procès du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) s’ouvre enfin aujourd’hui à Leidschendam, petite ville de Hollande-Méridionale. Les accusés sont Moustafa Badreddine, Salim Ayache, Hussein Oneissi et Hassan Sabra: tous sont sympathisants du Hezbollah, le parti chiite fondé par l’Iran au début des années 1980 et allié de la Syrie. Mais l’espoir soulevé par l’enquête à ses débuts est bien loin. «De nombreuses voix avançaient que le Tribunal spécial pour le Liban allait contribuer à changer la situation au Liban. Malheureusement, le fait que les Libanais soient témoins d’un assassinat du même genre quelques semaines avant le début du procès souligne la faiblesse du TSL à s’attaquer à l’impunité qui prévaut au Liban», avance Lina Khatib, directrice du centre de recherche Carnegie sur le Moyen-Orient.
Les accusés absents
Symbole de cette faiblesse, le procès s’ouvre sans les quatre accusés, qui seront jugés in abstentia. «L’absence des accusés est un frein à la découverte des commanditaires de l’assassinat», regrette Moustapha Allouche, ex-député du Courant du futur, créé par Rafic Hariri. «Les preuves récoltées ne pourront pas être débattues ni approfondies», abonde Lina Khatib, qui s’empresse d’ajouter: «Mais cette faiblesse est le résultat de la politisation de l’enquête par les deux camps opposés au Liban. Ils ont estropié le tribunal avant même qu’il
ne puisse marcher.» D’un côté, le camp des pro-Hariri a collecté de faux témoignages pour orienter la commission d’enquête internationale sur la piste de la Syrie et de son allié libanais, le Hezbollah. Ce n’est qu’au bout de quatre ans que les quatre officiers supérieurs enfermés sur la base de ces faux témoignages seront relâchés par le TSL, faute de preuve. De l’autre, le Hezbollah a d’emblée refusé de reconnaître l’existence du tribunal et a dénoncé un complot ourdi par Israël et les Américains pour le fragiliser.
Minée par la violence
Cette politisation à outrance autour de l’organe judiciaire a accru une violence que sa création avait pour ambition d’éradiquer.
Les enquêteurs du tribunal ont été violentés, les attentats se sont multipliés contre les voix antisyriennes et les personnalités proches de l’enquête. En décembre 2010, défaitiste, un rapport de l’International Crisis Group admet que «l’espoir que le TSL devienne un précédent pour la justice internationale dans la région s’est dissipé, alors que l’enquête s’est retrouvée empêtrée, et contaminée par un tiraillement local et régional vers la guerre.» Un autre espoir s’est depuis évanoui. «Le TSL devait contribuer à changer le système politique et juridique libanais. Jusqu’à présent, ce n’est pas le cas. Depuis l’attentat contre Hariri, les groupes politiques libanais répètent les mêmes erreurs. Aucune volonté de réforme n’est possible tant qu’ils continueront à être engagés dans des luttes de pouvoir interne», regrette Lina Khatib.
Résultat, pour la politologue libano-américaine Randa Slim, l’ouverture du procès est un «non-événement». Il faut dire que l’intérêt des Libanais pour le TSL a depuis été évincé par la guerre en Syrie et son débordement au Liban. Tous les regards sont désormais tournés vers la conférence de Genève qui se tiendra la semaine prochaine, ainsi que les débats autour de la formation d’un futur gouvernement, après bientôt un an de paralysie. Une perte d’intérêt qui pourrait, paradoxalement, permettre à la justice de travailler dans des conditions plus sereines.
Une première juridique
Le 14 février 2005, à 12h56, le premier ministre Rafic Hariri et 22 membres de son cortège disparaissent à jamais du paysage politique libanais: 1800 kg d’équivalent TNT viennent de les réduire en poussière, dans le centre-ville de Beyrouth qu’Hariri a reconstruit après
la guerre civile à coups de pétrodollars saoudiens. Le Pays du Cèdre est en deuil… Et en colère. L’assassinat du leader sunnite est vu comme un énième viol de la souveraineté libanaise par le voisin syrien; la Révolution des cèdres éclate alors dans les rues beyrouthines et met fin à 25 ans de mainmise syrienne sur le pays.
Le 27 décembre 2013, l’ex-ministre des Finances Mohammed Chatah, proche du clan Hariri, est raflé par un véhicule piégé, à quelques encablures du lieu de l’attentat de son prédécesseur. Réaction immédiate de Saad Hariri, le fils et héritier politique de Rafic Hariri: «Ceux qui ont assassiné Mohammed Chatah sont ceux qui ont assassiné Rafic Hariri».
Pendant ce laps de temps, un organe de justice inédit va se créer né de la collaboration entre le Conseil de sécurité de l’ONU et l’Etat libanais, pour trouver les auteurs de l’assassinat d’Hariri et mettre un terme à l’impunité des poseurs de bombe. Le 7 avril 2005, une commission d’enquête indépendante est lancée pour enquêter sur le crime, relayée par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), juridiquement né le 30 mai 2007, par la résolution 1757 de l’ONU. Pour la première fois, un tribunal à caractère international, à cheval entre le droit international et la loi libanaise, a pour fondement juridique un acte terroriste, considéré comme «une menace contre la paix et la sécurité internationale».
Article publié jeudi 16 janvier 2014 sur les quotidiens suisses La Liberté et Le Courrier
Réagissez, débattons :