En Syrie, l’écran de fumée de l’impunité
Bachar el-Assad est accusé de crimes contre l’humanité par la Haute Commissaire des droits de l’homme de l’ONU, preuves à l’appui. Et après ?
« Quiconque accuse doit donner des preuves », sermonnait encore le président syrien Bachar el-Assad peu après l’attaque chimique du 21 août, qui fît plus de 1000 morts dans la banlieue de Damas, dans une interview au Figaro. Or depuis août 2011, la Commission d’investigation indépendante (CoI) sur la Syrie, créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, a recueilli plus de 2000 interviews dans les pays limitrophes à la Syrie et, faute d’autorisation d’enquêter sur place, par Skype ou téléphone depuis le pays en guerre. De quoi permettre à la Haute Commissaire aux droits de l’homme Navi Pillay d’accuser haut et fort Bachar el-Assad d’être l’instigateur de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ce lundi 2 décembre à Genève. Mais qu’on ne s’y trompe pas, « les rapports de la CoI répètent déjà depuis deux ans et demi que les plus hautes sphères du gouvernement syriens sont directement responsables de ce qui a lieu en Syrie. Navi Pillay a juste été un poil plus loin cette-fois, en visant directement le chef de l’Etat », explique Rupert Colville, son porte-parole.
Des rapports qui reviennent en détail sur les « bombardements indiscriminés, exécutions sommaires, campagnes d’arrestation arbitraire, pratiques systématiques de la torture, disparitions forcées, violences sexuelles et autres violations graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire », comme l’énumère Mathieu Routier, membre du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme (REMDH), dont les partenaires syriens participent à l’enquête des Nations Unies. Le rapport d’août 2012 revient tant sur les crimes du régime que ceux perpétrés par les rebelles, précisant que leurs abus « ne sont pas de la même gravité, fréquence et échelle que ceux des forces du gouvernement et des chabbiha (milice du régime, ndlr). »
Les preuves ne manquent pas donc, contrairement à ce qu’affirmait el-Assad au journaliste du Figaro. C’est l’accusation qui pèche. Car Navi Pillay a beau souligner que l’accord sur les armes chimiques « ne doit pas constituer une distraction » par rapport aux crimes persistants du régime syrien, son appel à poursuivre le chef d’Etat syrien devant la justice internationale risque de rester lettre morte. « Je doute que la mise en accusation de Bachar el-Assad change quoi que ce soit. Il faudrait, pour qu’elle ait une suite, que le Conseil de sécurité de l’ONU se prononce en ce sens et saisisse la Cour pénale internationale, ce qui est évidemment exclu en raison des vétos russe et chinois », tempère Ignace Leverrier, ancien diplomate et chercheur sur le monde arabe.
La « distraction » de l’accord sur les armes chimiques, obtenu in extremis le 27 septembre par la diplomatie russe pour éviter une intervention franco-américaine en Syrie, a en effet redonné une place au président syrien à la table des négociations, dont le prochain round doit se jouer le 22 janvier 2014 à Genève. Or « le sentiment d’impunité pour les personnes impliquées dans des crimes internationaux est un facteur de perpétuation et de prolongation du conflit », estime Mathieu Routier.
Seule note d’optimisme, la sortie de Navi Pillay pourrait jouer en faveur de l’opposition à Genève II, selon Ignace Leverrier : « Elle permettrait de considérer Bachar el-Assad comme disqualifié pour diriger la période intérimaire, dont l’opposition ne souhaite pas qu’il fasse partie. » Faute de remise en question de l’impunité du régime par le Conseil de sécurité de l’ONU, seul organe capable de saisir la Cour pénale internationale, l’exclusion de Bachar el-Assad du processus de justice transitionnelle pourrait être un premier pas vers une prise en considération du droit des victimes du conflit syrien. Une urgence pour « mette un terme à ce qui apparait comme une faillite complète du système international dans sa fonction de protection des populations civiles », estime Mathieu Routier. Militant des droits de l’homme depuis plus de trente ans en Syrie, Aktham Naisse va plus loin : « Laisser le conflit se poursuivre constitue aussi un crime contre l’humanité de la part de la communauté internationale », affirme le lauréat du prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits de l’Homme en 2005.
Article publié sur le journal suisse Le Courrier mardi 10 décembre 2013.
L’impact de l’enquête du Conseil des droits de l’homme, selon Jabeur Fathally, professeur et chercheur en droit à l’Université d’Ottawa et directeur exécutif et chercheur principal de JuriGlobe.
Tel que son nom l’indique, le comité d’enquête du Conseil des droits de l’homme a pour rôle d’enquêter sur les atteintes graves et les violations du droit international des droits de la personne et du droit international humanitaire. Son mandat est alors limité dans l’espace et dans le temps et il ne peut avoir qu’un rôle consultatif. C’est-à-dire que l’enquête en question est soumise au Conseil des droits de l’homme, lequel pourrait formuler des recommandations à l’Assemblée générale et surtout au Conseil de sécurité de l’ONU.
J’aimerais souligner que ce conseil est formé, entre autres, par des États qui n’ont jamais respectés un minimum les droits de la personne. Il n’a aucune crédibilité aux yeux de plusieurs États, gouvernements et experts…Faut-il rappeler qu’en 2006, Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, avait accusé le Conseil, lorsqu’il s’est penché sur les crimes commis par l’armée israélienne, d’être politisé et de constituer une ‘’atteinte à la réputation des Nations Unies (sic)’’ ?
Réagissez, débattons :