Etudiants catalans: portrait d’une génération sans boussole… par elle-même

 

A l’heure où le journal El Pais se préoccupe du sort des #nimileuristas, ces jeunes Espagnols qui rêveraient d’avoir un salaire de 1000 euros et se débrouillent pour vivoter en attendant d’aller tenter leur chance à l’étranger, des étudiants de Barcelone ont décidé d’occuper symboliquement le rectorat de leur université pendant 3 jours, afin de dénoncer leur précarisation et la destruction de l’université publique telle qu’ils la conçoivent. L’occasion de tendre l’oreille sur leurs attentes, leurs stratégies pour le présent et le regard qu’ils portent sur un avenir incertain.

Une manifestation contre la réforme de l’université publique, une banque assiégée, une photo qui fait le tour du monde, et l’étudiant catalan devient une menace à l’ordre public. Mais derrière le masque de la violence se cache le refus d’un futur sans avenir. Parole aux jeunes.

Une « marée rouge » déferle dans les agences de l’INEM, le Pôle emploi local, à Madrid. Chaque 9 du mois, pour ne pas se résigner face au chômage de masse, les indignés ont décidé de recueillir à l’INEM des conseils pour monter leur coopérative, créer une garderie communautaire ou lancer un marché solidaire. Les jeunes apprécieront. Car, 49% d’entre eux sont pris dans la trappe à chômage. Beaucoup sont déjà dans les starting-blocks pour partir à l’étranger, réminiscence des jeunes Espagnols qui, à la fin du 19ème siècle, allaient tenter leur chance en Europe ou en Amérique latine.

Les adultes ont deux options face à ce péril jeune espagnol. S’ils choisissent d’y voir une « métaphore de la société« , à la manière de Walter Benjamin, ils ne s’étonneront pas des manifestations étudiantes qui ont rempli les rues des grandes villes ces derniers jours, voire les soutiendront.

Parole aux occupants

Mais en Catalogne, depuis mercredi 29 février, c’est la peur qui guide leurs regards portés sur ces jeunes. Avec pour alibi une image: la Une du New-York Times sur laquelle un jeune ayant brisé une vitrine de banque est repoussé par un employé. C’était lors d’une manifestation de 25.000 à 70.000 étudiants défilant pour défendre l’université publique. L’image incarne désormais la menace de la radicalisation d’une partie de cette jeunesse sans avenir, « Misérables de 2012″ selon un édito de José Luis Alvarez, professeur à l’ESADE Business School publié dans La Vanguardia.

Qu’en pensent les premiers concernés? Entre le 28 février et le 3 mars, les plus mobilisés d’entre eux ont occupé le rectorat de l’Université de Barcelone, malgré la menace d’être expulsés par la force. A l’intérieur de l’enceinte historique située en plein centre-ville, entre cours improvisés, tables rondes et cuisine collective, ils profitent des oreilles de Myeurop pour s’exprimer sur leurs dilemmes face à un avenir en pointillés.

 

 

Crédit photo : Emmanuel Haddad

 

Réformer, oui, mais en mieux

Gerard, 20 ans, est passé par les Beaux-Arts avant de se rediriger vers l’anthropologie. Comme beaucoup, il craint que la hausse des frais d’inscription de l’université n’augmente les inégalités face à l’éducation supérieure. Sans opter non plus pour l’immobilisme, il voit mal comment faire mieux avec moins. Du jardin du rectorat, où il est venu soutenir l’occupation, il confie:

« L’université n’est pas parfaite, loin de là. Les classes sont de plus en plus remplies et les conditions de moins en moins bonnes. Je suis d’accord pour une réforme, mais avec plus de budget, pas moins ! »

 

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Après une nuit presque sans sommeil passée sur les dalles du rectorat, Pénélope explique pourquoi elle a décidé de participer à l’action étudiante.

« Il faut faire quelque chose car bientôt, on ne pourra plus étudier ! Les professeurs touchent un salaire de plus en plus réduit, ils doivent travailler ailleurs pour arrondir leurs fins de mois, ce qui fait chuter la qualité ».

Plutôt que la rigueur, l’étudiante en anthropologie de 27 ans, travailleuse sociale depuis 4 ans en parallèle, veut croire à l’existence d‘alternatives.

J’ai des amies en fac d’économie qui ont fait une étude sur la redistribution de l’argent de l’université. S’il était utilisé d’une autre manière, on n’aurait pas à réduire le budget autant. Mais il faudrait pour cela que les dirigeants renoncent à leurs privilèges.

Un étudiant se rapproche de la conversation. Il était déjà là lors de l’occupation du rectorat en 2009 contre l’adoption du plan de Bologne sur l’harmonisation des diplômes en Europe [qui s’est terminée par l’expulsion par les forces de la police, détenant 6 étudiants et en blessant 21]. Ce qui le gêne dans la réforme de l’université, c’est la réforme de la gouvernance, qui permettrait à un conseil social composé de personnalités extérieures au monde académique d’élire le recteur: « C’est la porte ouverte à la privatisation de l’éducation publique ».

Du 15m au mouvement étudiant

C’est contre cette réforme, ajoutée aux coupes budgétaires drastiques – que même Adelaide de la Calle, présidente de la Conférence des Recteurs des Universités Espagnoles, considère insoutenables – que les étudiants sont descendus manifester dans les rues.
La violence des forces de l’ordre à Valence a servi de combustible pour que les rues de Barcelone deviennent la scène de charges policières, de destruction d’établissement bancaires et d’interpellations le 29 février, faisant la Une de tous les journaux nationaux.
La sédition est-elle la solution ? Pour Gerard,

« Les gens n’ont plus peur avec le 15M. Avant, il n’y avait qu’une minorité active à se mobiliser. Aujourd’hui, il ne manque qu’une étincelle pour que la situation explose. »

Une opinion qui ne l’empêche pas de trouver que le 15M est un peu surévalué, car « il y a une majorité silencieuse parmi les étudiants ». Laura, une étudiante d’anthropologie ayant elle aussi passé la nuit dans l’enceinte du rectorat de l’université, estime que « les manifestations pacifiques sont purement informatives. Les gens sont spectateurs, ils attendent qu’il se passe quelque chose mais ne savent pas que c’est à eux de le faire », regrette-t-elle. Les manifestations? Seulement « quand ma conscience m’interdit de ne pas le faire », mais sa vision du 15M est aux antipodes de l’euphorie médiatique:

« Avec le 15M, je suis passée du gris au noir, en voyant que les gens savaient qu’ils ne voulaient pas que les choses continuent comme ça, qu’ils sont sortis dans la rue, mais qu’au final ça n’aura servi à rien. »

A quoi sert la violence?

Les manifs un peu plan-plan seraient-elle donc inutiles? Tous les médias se sont empressés de dénoncer les dommages causés par une « minorité antisystème » suite aux dégâts causés le 29 février dans la capitale catalane.

Crédit photo : Emmanuel Haddad

Mais pour ces jeunes, habitués à la répression policière, la violence n’est pas regardée à travers la même lentille. Pour Carmen*, ce ne sont pas les étudiants qui devraient se mobiliser mais « les classes les plus affectées par la crise ».
Selon cette étudiante en philosophie, la vraie violence, plus silencieuse, c’est la précarisation: « Il ne faut donc pas s’étonner si l’on s’en prend aux symboles du capitalisme ».

 

« Jusqu’à peu, je me disais que les dégradations ne conduisaient qu’à une perte de légitimité du mouvement. Mais de plus en plus, je réalise que d’une part, c’est ce qui attire les médias, et que de toute manière il faut faire quelque chose et je ne vois pas d’autres voies. Je préfère être avec les plus radicaux et essayer de les modérer qu’avec les autres qui ne proposent pas d’alternatives »,

avance quant à elle Pénélope, qui se dit parmi les moins radicaux.

Travail, où es-tu?

Si cette jeune travailleuse sociale est heureuse de son poste à la mairie de Gava, où elle s’occupe de « tous ceux qui n’ont pas où aller », gens isolés, immigrés et autres personnes en situation sociale d’exclusion, ce n’est pas le cas de Carmen, elle qui « travaille comme serveuse, pour 4,8€ de l’heure, pour financer les études ». Elle se voit bien chercheuse, mais pense surtout à ceux qui n’ont pas d’études.

« Je ne suis pas préoccupée par mon futur professionnel, mais par celui de ceux qui sont pires que moi, ceux qui n’ont pas de formation et qui finissent par occuper les postes les plus minables ou terminent en marge de la société. »

Une opinion qui trouve écho dans les statistiques de chômage. Si le taux atteint les 49% au sein de la jeunesse, il se réduit à 20% pour ceux qui suivent des études supérieures, comme le rappelle Adelaida de la Calle, la présidente de la Conférence des Recteurs des Universités Espagnoles.

N’empêche que la fac est loin d’être une garantie contre le chômage, et Gerard en est conscient.
Beaucoup d’amis ont fini la fac en vitesse et aujourd’hui, ils regrettent de s’être pressés. Certains essayent d’aller étudier ou travailler à l’étranger, car ici il n’y a rien. Laura, en pleine période noire, n’ose pas penser à son avenir: « Je ne me vois pas avec un travail, ni avec une maison, ni avec une stabilité financière ou des garanties sociales… je ne me vois pas », déprime-t-elle.

L’émigration comme issue de secours

« J’aimerais partir l’an prochain pour étudier en Angleterre », dit tout de go Gerard, qui ne compte pas suivre l’exemple de ses camarades « qui ne font rien » au pays. Pénélope a déjà des amis qui sont partis suivre leurs études ou travailler à l’étranger, et de résumer le dilemme proposé aux jeunes Espagnols:

« Il y a deux options. Soit tu supplies pour avoir un contrat qui ne rendra pas justice à ta formation, soit tu pars chercher ailleurs. »

En guerre contre la facilité, Carmen ne s’identifie pas à « cette fibre globale et européenne qui permet de voyager n’importe où pour des motifs économiques ». Alors le seul pays où elle se verrait étudier en Europe, c’est l’Allemagne. Un pays « fondamental dans notre tradition philosophique », mais aussi pour comprendre « notre mal culturel actuel ».

*Le prénom a été modifié

 

LES POINTS CLES DE LA REFORME UNIVERSITAIRE CATALANE

  • Hausse des frais d’inscription +7,6% cette année, la plus grande augmentation depuis 10 ans. Le dilemme des recteurs d’universités? Augmenter encore les frais pour financer des bourses de mérite ou maintenir le même niveau pour ne pas pénaliser les classes moyennes. L’Espagne ne dédie que 0,1% de son budget aux bourses, soit la moitié de la moyenne européenne.
  • Gouvernance Les étudiants craignent que l’université soit gérée telle une entreprise si le recteur était élu par un conseil social au lieu d’être élu par le gouvernement de l’université. Une innovation censée flexibiliser la gestion et adapter les universités à la réalité sociale et à la compétition internationale.
  • Rigueur budgétaire 140 millions d’euros de subvention en moins pour les universités publiques catalanes en 2011 = salles non chauffées, bibliothèques fermées, mais aussi postes non renouvelés: entre janvier et octobre 2011, 559 professeurs ont perdu leur poste, selon La Vanguardia.

 

Cet article a été publié le 10 mars sur le magazine européen myeurop.info

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