Le rôle du Hezbollah à Madaya critiqué par des chiites libanais

La « Déclaration de Madaya », initiative dissidente isolée au sein de la communauté chiite, dénonce le rôle du parti de Dieu dans le siège meurtrier de la ville syrienne.

« Nous condamnons avec intransigeance la méthode du siège, surtout quand le refus tragique de laisser passer la nourriture, l’eau et les médicaments est utilisé à des fins politiques. » Les auteurs de la « Déclaration de Madaya », le 8 janvier dernier, sont des personnalités chiites libanaises parmi lesquelles Ali Alamine et Mustafa Fahs, fils de deux dignitaires religieux. Leur prise de position face à ce drame qui a déjà coûté la vie à 35 civils, selon Médecins Sans Frontières survient au lendemain d’un communiqué du Hezbollah à travers lequel le mouvement chiite libanais se dédouane de toute responsabilité dans le siège de la ville, l’attribuant à différents groupes rebelles dans la guerre civile : « Madaya a été prise en otage depuis des mois par 600 militants membres à 60 % d’Ahrar al-Sham, à 30 % de Jabhat al-Nosra et à 10 % de l’Armée Syrienne Libre ».

Ali Alamine, rédacteur en chef du média en ligne Janoubia, réagit depuis son bureau de la banlieue sud de Beyrouth contrôlée par le parti de Dieu : « Nous avons écrit cette déclaration pour qu’une voix dissonante de celle du Hezbollah existe au sein de la communauté chiite du Liban, qui n’est pas en faveur de ce qui se passe en Syrie. Ce siège n’est pas un crime chiite. S’il y a un responsable, c’est le Hezbollah », martèle-t-il. Coauteur de la Déclaration, Malek Mroué rappelle que ces voix chiites dissidentes se sont fait entendre dès le début de l’intervention militaire du Hezbollah aux côtés du régime syrien : « La Coalition civile libanaise, groupe d’associations et d’individus principalement chiites à l’origine de la Déclaration de Madaya, a soutenu la révolution syrienne depuis ses débuts. Nous sommes des chiites non-partisans qui souhaitent la fin de la guerre confessionnelle menée en Syrie et le retour à l’état de droit », souligne ce fils d’un célèbre journaliste assassiné en 1966. Selon lui, la campagne menée par le Hezbollah et le régime syrien afin de vider Madaya et la région du Qalamoun de sa population sunnite est « une erreur historique » : « ils détruisent les liens de voisinages historiques entre sunnites et chiites dans la région. Cela risque d’isoler les chiites du Liban et de forger une haine sans fin à leur encontre », prévient-il encore.

D’autres membres de la communauté chiite libanaise se sont à l’inverse enferrés dans la haine confessionnelle. Parallèlement aux images montrant les affamés de Madaya, abondamment relayées par les médias, des selfies au racisme macabre sont apparus sur Twitter d’individus posant devant leur frigo rempli ou leur table garnie, suivis du hashtag « en solidarité avec le siège de Madaya »… « Cette campagne sur Twitter apporte la preuve que l’éducation à la sauvagerie et à l’exclusion identitaire a fonctionné. Elle confirme que le travail de manipulation idéologique mené par le Hezbollah depuis trois décennies sur la communauté chiite porte ses fruits », estime l’intellectuel chiite Lokman Slim, depuis le bureau d’Umam, centre de recherche sur l’histoire contemporaine du Liban.

Au final, que pensent vraiment les chiites de la participation du Hezbollah à la guerre en Syrie ? En juillet 2015, l’ONG Hayya Bina, cofondée par Lokman Slim, a enquêté parmi eux. 78,7 % des personnes interrogées soutenaient l’intervention du Hezbollah, 79,9 % même assuraient qu’elle renforçait leur sentiment de sécurité. Ali Alamine admet que les chiites libanais, s’ils n’en voulaient pas au début, se retrouvent désormais impliqués. Bien malgré eux :« C’est comme une lame de rasoir coincée au milieu de la gorge. Qu’on l’avale ou qu’on la retire, on se blesse. Même si les chiites ne sont pas heureux de la présence du Hezbollah en Syrie, ils savent que son retrait précipité aurait des conséquences désastreuses. »

Article publié dans La Croix le 19 janvier 2016.

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