Le Liban toujours sous pression

La crise couve toujours à Ersal, une ville proche de la frontière avec la Syrie. Des dizaines d’otages restent détenus par des djihadistes et les civils fuient les combats.

[En italique, actualisation du papier, écrit jeudi 7 août mais publié mardi 12 août en raison des innombrables mauvaises nouvelles qui noient le Moyen-Orient et ses habitants dans une eau glacée à l’odeur de Styx,  par la rédaction de la Liberté]

Le président du Parlement libanais, Nabih Berry, vient de rejeter toute négociation avec les djihadistes qui retiennent des dizaines de soldats et policiers, tombés entre leurs mains lors de la bataille de Ersal (nord-est du pays) la semaine dernière. Ce weekend encore, des informations ont filtré sur une liste de 20 islamistes actuellement incarcérés que les djihadistes voudraient faire libérer en contrepartie de l’élargissement de leurs otages.

Au bout d’un long couloir sombre, une raie de lumière tombe sur le visage d’une jeune femme aux yeux rouges. A ses côtés, sa mère sanglote, ses larmes coulant le long des ornières de son visage ridé. « Notre fille s’enfuyait d’Ersal avec ses trois enfants dans un pick-up mardi, quand une roquette a réduit le véhicule en cendres », explique Abou Khaled el-Dadi, le mari de l’inconsolable, depuis leur maison familiale de Laboué, localité située à 4 kilomètres d’Ersal, dans la vallée de la Bekaa.

Une attaque éclair

Samedi 2 juillet, l’arrestation d’Imad Ahmad Joumaa, membre des Brigades Fajr al-Islam de Homs qui ont prêté allégeance à l’Etat Islamique, a entraîné un soulèvement armé aussi soudain que massif dans cette ville frontalière avec la Syrie. Plusieurs centaines de combattants djihadistes ont pris le contrôle d’Ersal et capturé plus de vingt soldats. Ces hommes, armés de fusils et de roquettes, ont surgi des montagnes environnantes et des camps de réfugiés, la ville de 40 000 Libanais s’étant transformée en un havre pour plus de 100 000 réfugiés syriens ayant fui les combats de Qousseir et de Qalamoun, opposant l’armée syrienne, alliée au Hezbollah, aux insurgés syriens.

Pendant cinq jours, Ersal s’est transformée en zone de guerre, l’armée libanaise tirant des obus depuis Laboué tandis que 1000 soldats et 5000 réservistes tentaient des incursions pour déloger les djihadistes, qui répondaient par des tirs de roquettes et des salves de fusil automatique. Des centaines de civils ont fui les combats pour se réfugier dans les villes alentours, mais l’explosion du véhicule transportant la fille d’Abou Khaled el-Dadi et ses enfants a mis un terme tragique à l’évacuation.

Les civils pris en otage

« Nous avons pu évacuer 103 soldats blessés et 14 martyrs, ainsi que 4 civils blessés et 7 corps de combattants djihadistes retrouvés sans vie entre Laboué et Ersal », énumérait mercredi 6 juillet Abdallah Zogheib, chef ambulancier de la Croix Rouge. Le dimanche précédent, une ambulance avait été accueillie par des tirs à Ersal, obligeant l’organisation de secours à travailler depuis Laboué, où une clinique d’urgence a été installée, avec 10 ambulances et 50 secouristes présents en continue. Impossible, depuis, de connaître le nombre exact des victimes. Les sources officielles font état de 17 soldats tués, 50 combattants et 12 civils.

Mais jeudi 7 juillet, les résultats de la médiation de l’association des oulémas musulmans se sont fait sentir : le cessez-le-feu obtenu la veille a été prolongé pour 24 heures ; 3 militaires et 7 membres des Forces de sécurité intérieure ont été relâchés, tandis que les combattants armés se retiraient peu à peu de la ville. Dans la ville où la Croix Rouge a enfin pu pénétrer, 30 corps brûlés par des tirs d’obus ont été retrouvés dans un camp informel de réfugiés.

Au cours des négociations, les cheikhs salafistes de l’association des oulémas, deux desquels ont été blessés, ont souligné l’urgence d’une aide humanitaire pour les civils prisonniers des combats. Or mercredi, un véhicule rempli de vivres décidé à se rendre à Ersal a été stoppé par l’armée et la municipalité de Laboué, de peur que les combattants ne s’emparent de son contenu. Le ton est monté entre les soldats et les conducteurs du véhicule, jusqu’à ce que la foule rassemblée se mette à crier : « Dieu soutient l’armée ! » en tapant des mains. Parmi eux, trois pères de soldats retenus en otage par les djihadistes criaient leur désespoir de revoir leurs fils vivants, alors qu’une vidéo circulant sur les téléphones portable montrait un soldat décapité par des membres de l’Etat Islamique, soit disant membre de l’armée libanaise.

A gauche, le père d'un des soldats pris en otage, défait. Crédit: Emmanuel Haddad

A gauche, le père d’un des soldats pris en otage, défait. Crédit: Emmanuel Haddad

Sans hésiter, les habitants de Laboué ont ouvert leur porte aux civils ayant réussi à fuir les combats. Ersal, ville à majorité sunnite, a pourtant accueilli et soigné des opposants syriens civils et armés au régime de Bachar el-Assad, tandis que Laboué, ville chiite aux mains du Hezbollah, affiche son soutien au régime syrien. « Nous sommes tous des descendants de Mohammed, peu importe que l’on soit sunnite ou chiite. Les habitants d’Ersal viennent tout le temps ici, en bonne entente », assure Moustapha, vendeur de légumes dans la rue principale de Laboué, un poster de Bachar el-Assad et plusieurs portraits d’Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, collés au-dessus de sa balance rouillée.

Derrière l’armée, le rôle polémique du Hezbollah

« Nous sommes contre le sectarisme, abonde Samir depuis sa boutique de bricolage, à quelques encablures. Ma femme et moi sommes communistes, le client ici est un chrétien du village d’Al Qaa et Zougheib, mon employé, est d’Ersal. Mais je peux vous dire que sans l’intervention du Hezbollah en Syrie, les djihadistes de l’Etat Islamique auraient déjà pris nos femmes et nos enfants. Car l’armée libanaise est faible », assure-t-il. Surgissant des rayons, son épouse contredit : « Ce n’est pas l’armée qui est faible, c’est son matériel qui est hors d’âge, comparé aux armes dernier cri utilisées par les djihadistes », assure-t-elle. De fait, suite au revers initial de l’armée à Ersal, le Premier ministre libanais Tammam Salam a demandé à la France d’accélérer la livraison d’armes à destination de l’armée libanaise, après le chèque de 3 milliards de dollars que l’Arabie Saoudite lui a remis fin 2013 dans cet objectif.

Suite à l’incursion de l’Etat Islamique à Ersal, Saad Hariri, leader sunnite opposé au Hezbollah, a affiché son soutien à l’armée, tout en rappelant son opposition à l’intervention du Parti de Dieu en Syrie. Des députés sunnites du nord du Liban vont jusqu’à affirmer que la présence du Hezbollah aux côtés de l’armée syrienne est responsable du débordement du conflit syrien au Liban. « Au fond d’eux, ils savent que sans le Hezbollah, le Liban serait déjà un califat, mais ils doivent répondre aux attentes de leurs électeurs », nuance un docteur de Baalbeck, le chef-lieu de la Bekaa, bastion du parti de Dieu.

Les habitants d’Ersal et de Laboué, eux, subissent ce débordement depuis longtemps. En rentrant chez lui, Samir pointe du doigt une affiche montrant un visage d’adolescent placardée dans la rue : « C’est Chérif, mon neveu ; il a été tué par les djihadistes l’an dernier à Ersal, sans aucune raison. Il avait 18 ans », soupire-t-il.

Article publié mardi 12 août dans les quotidiens suisses La Liberté et Le Courrier.

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